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Chapitre I. Evolution d’un versant rocheux depuis la dernière phase glaciaire quaternaire

I.5 Méthodes d’investigation

I.5.1 Etudes de terrain

I.5.1.1 Caractérisation géologique et structurale

I.5.1.1.1 Méthodes cartographique et Instrumentation du versant

La cartographie précise des éléments structuraux et géomorphologiques à partir d’observation de terrain, de l’analyse de MNT, d’images satellitaires ou de photographies aériennes est essentielle pour caractériser la géométrie et la morphologie d’un mouvement de versant. Elle permet également de mettre en évidence les morphostructures caractéristiques ainsi que les éléments structuraux (failles, réseau de fractures) et morphologiques (pentes) pouvant contribuer à l’initiation ou au contrôle de l’évolution de la déstabilisation. En associant ces données à des méthodes d’auscultation : mesures de suivi cinématique par extensomètres, cibles ou points GPS permettant d’établir le champ de déplacement en surface, une première idée de la cinématique du mouvement peut être élaborée.

La Figure I-25 est un exemple de carte morpho-tectonique proposée par Jomard et al., [2010], pour le glissement de la Clapière. Cette carte permet de mettre en évidence 4 principaux compartiments composant le mouvement et de reconstruire les mécanismes de rupture gravitaire pour les profils tracés CS1 à CS4 [Jomard et al., 2010].

Figure I-25 Carte Morpho-tectonique du glissement de la Clapière. Les structures majeures superficielles divisent le mouvement en 4 compartiments principaux. Cette carte permet de reconstruire le mécanisme de la rupture gravitaire. 3 profils électriques ont été respectivement acquis le long des profils CS2 , CS3 et CS4. D’après Jomard et al., 2010.

D’autres outils de mesures peuvent également être placés sur le versant, à sa surface ou dans des forages, tel que des capteurs pluvio et nivométriques afin de quantifier les apports d’eau dans le massif. Des stations sismologiques peuvent également être placées afin de localiser les microséismes générés par l’activité du mouvement [Helmstetter and Garambois, 2010].

I.5.1.1.2 Méthodes géophysiques

Limitées généralement à la surface, et toujours localisées dans le cas de forages ou de tunnels, les observations structurales ne sont généralement pas suffisantes pour caractériser la structure interne globale et les propriétés physiques du massif. Des méthodes de prospection géophysiques peuvent alors être utilisées (Tableau I-2). Réduites par le passé à quelques dizaines de mètres de profondeur [Ferrucci et al., 2000], l’emploi de ces méthodes ne permettaient cependant pas d’acquérir dans le cadre de mouvements de grandes ampleurs des informations sur les limites en profondeur de la zone affectée. Le développement et l’application des méthodes de tomographie [Lebourg et al., 2005;

Jomard et al., 2010] permet aujourd’hui d’atteindre des profondeurs de pénétration supérieures à la

centaine de mètres. Le choix de la technique d’investigation et des dispositifs sera fonction de la profondeur d’investigation et de la résolution souhaitées, ainsi que des propriétés physiques désirées (Tableau I-2).

Deux grandes classes de méthodes sont distinguées [Reynolds, 2011] :

- les méthodes passives qui permettent de détecter des variations du champ naturel terrestre - les méthodes actives qui vont générer un signal à l’intérieur du sol et mesurer en retour des

modifications de ce signal aux moyens de détecteurs appropriés.

Tableau I-2 Méthodes géophysiques et applications principales. Modifié d’après Reynolds, 1997. 1 : méthode première ; 2 : méthode seconde ; + : méthode possible ; - : méthode inapplicable.

En reprenant l’exemple de la Clapière, des tomographies de résistivité électrique (Electrical Resistivity Tomograhy, ERT) (Figure I-26) [Jomard et al., 2010] ont été réalisées le long des profils CS2, CS3 et CS4 localisés sur la Figure I-25). La comparaison entre ces tomographies et les profils géologiques interprétatifs respectifs (Figure I-26), révèlent pour le profil ERT n°1 une très bonne corrélation entre la structure gravitaire en surface et les informations électriques [Jomard, 2010].On observe ainsi en surface une zone conductrice superficielle qui peut être mise selon Jomard et al., [2010] en correspondance avec un glissement secondaire superficiel. On retrouve sous ce glissement

correspond à un saut de résistivité entre la zone fortement conductrice du mouvement et la présence stable et saturée en dessous. Cette limite est cependant nettement moins marquée que celle observée sur le profil ERT n°2. Le profil ERT n°3, montre également bien les limites du glissement. Les différences ici observées sont induite par une structure géologique plus complexe (dépôts triasiques, sous sol métamorphiques). On a donc ici un bon exemple de l’utilisation de la géophysique pour mettre en évidence les limites d’un mouvement.

Figure I-26 Projection des profils ERT sur les profils géologiques sur le site de La Clapière. D’après Jomard, 2010.

I.5.1.1.3 Essais mécaniques en laboratoire

Les mesures et essais en laboratoire donnent accès aux propriétés mécaniques et physiques du ou des matériaux composant le massif (densité, porosité, module de Young, coefficient de Poisson, résistances à la compression et à la traction…). Le choix des échantillons prélevés sur le terrain doit être représentatif de la composition et de la structure du massif. Les échantillons prélevés étant de taille centimétrique à décimétrique, ils ne peuvent caractériser que des zones réduites d'un versant de taille hecto à plurikilométrique. Ces paramètres mécaniques doivent donc être extrapolés à l'échelle du versant par le biais de méthodes empiriques [Bieniawski, 1976; Hoek and Brown, 1980]. Les différentes valeurs ainsi obtenues pourront être utilisées comme paramètres d’entrée dans la modélisation de l’instabilité gravitaire.

I.5.1.2 Caractérisation temporelle

Pour mieux comprendre la cinématique, l’initiation et l’évolution du mouvement étudié des méthodes géochronologiques absolues peuvent être employées, qui permettent d’attribuer un âge absolu à l’objet daté. Les différentes méthodes applicables au mouvement de terrain selon la localisation de l’échantillon au dessus, en dessous ou dans le mouvement [Schoeneich, 1992] sont illustrées à la Figure I-27 [Lang et al., 1999] :

- La datation par 14C des éléments végétaux enfouis suite à l’activité du glissement : souches et troncs dans des mares créées par les irrégularités topographiques, développement de tourbe, sols, souches et troncs recouverts par les terrains glissés,… (Figure I-27a, c, d, f, i) - La dendochronologie qui permet de déterminer l’âge des arbres qui se sont développés sur

les terrains glissés ou qui ont été inclinés par le mouvement (Figure I-27a, c, h).

- La datation par la lichénométrie des thalles de lichen qui ont colonisés les éboulis résultant de l’instabilité (Figure I-27b)

- La datation par thermoluminescence (TL) et par luminescence stimulée optiquement (OSL) de dépôts de sédiments recouverts par les terrains glissés (Figure I-27c, d, e, f, g, i)

d’exposition (Cosmic ray exposure, CRE) utilisant les nucléides rares (3HE, 10Be, 21Ne, 26Al, 36Cl) résultant de l’interaction entre le rayonnement cosmique et les minéraux constituant les roches de surfaces. Elle trouve son application dans la détermination d’âge d’exposition ou de taux d’érosion de surfaces géomorphologiques [Cerling and Craig, 1994; Siame et al., 2000; Gosse and Phillips, 2001]. Appliquée aux mouvements de terrain, elle constitue un puissant outil de datation [Gosse and

Phillips, 2001] afin d’améliorer la compréhension de leur cinématique [Ballantyne et al., 1998; Ballantyne and Stone, 2004; Bigot-Cormier et al., 2005; Sanchez et al., 2010…]. Dans le cas de

mouvements de versant situés dans d’anciennes vallées glaciaires, l’application de cette méthode sur d’anciennes surfaces glaciaires peut également permettre de contraindre la chronologie de retrait du glacier et donc de déterminer le rôle éventuel de la déglaciation sur l’initiation de ces instabilités [Le

Roux et al., 2009].

Les glissements de la Clapière [Bigot-Cormier et al., 2005] , de le Pra [Sanchez , 2010] et du « Pré de Madame Carle » [Cossart et al., 2008] sont des exemples de mouvements rocheux sur lesquels a été appliquée cette technique de datation par cosmonucléides. Dans le but de déterminer les relations entre tectonique, instabilités de pentes et changements climatiques, à l’échelle des alpes du Sud-Ouest, Sanchez et al., [2010] ont effectué une étude de datation des failles actives , des glissements de terrain et des surfaces glaciaires, en prélevant des échantillons sur des escarpements gravitaires (mouvement de Le Pra), ainsi que sur des surfaces de faille et des surfaces glaciaires à proximité du mouvement . En prenant en compte les données d’une étude précédente sur le mouvement de la Clapière [Bigot-Cormier et al, 2005], ils ont daté les évènements suivants :

- entre 15 et 12 10Be ka, la dernière transition glaciaire/interglaciaire Holocène

- à 11 et 7-8 ka, l’activité tectonique principale. Cette activité succède rapidement aux épisodes principaux de déglaciation,

- 3 périodes successives de déstabilisation gravitaire à 11-12, 7-9 et 2,5-5,5 10Be ka.

Pour comprendre la cinématique générale, l’ensemble de ces données est placé sur la Figure I-28, avec des données climatiques à l’échelle globale depuis le dernier maximum glaciaire [Alley, 2004], ainsi qu’à l’échelle du massif de l’Argentera à partir d’études géomorphologiques [Federici and

Stefanini, 2001] et des étude polliniques [Ortu et al., 2008]. La proximité temporelle des âges de

déglaciation et de l’activité tectonique suggère une relation entre ces événements. Ainsi le rebond glaciaire, associé à l’augmentation dans les pores de la pression hydrostatique, influencerait l’activité tectonique [Sanchez et al., 2010]. Les phases de déstabilisation gravitaire à 11-12 et 7-9 10Be ka coïncident avec l’activité tectonique principale, suggérant que la sismicité liée à cette activité tectonique aurait agi comme un facteur déclenchant les déstabilisations. La dernière phase entre 2,5-5,5 10Be ka pourrait être attribuée à l’adoucissement du versant résultant de l’action de nombreux séismes de faibles magnitudes, ou de l’influence climatique durant l’Optimum climatique caractérisé par d’importantes précipitations et des températures élevés.

Pour de nombreux mouvements de terrain situés dans les Alpes (Flimms, Koefoel, Rognier, et Séchilienne ; [Hippolyte et al., 2006; Ivy-Ochs et al., 2009; Le Roux et al., 2009]l’âge d’initiation est

compris entre 6 et 1210Be ka, suggérant que ces grands mouvements de versant peuvent résulter de l’action combinée de l’activité tectonique et de la transition entre une période froide et sec à une période chaude et humide[Sanchez et al., 2010]. Pour Sanchez et al, [2010] ces déstabilisations ne semblent donc pas liées au phénomène de décompression glaciaire. La même conclusion est faite par Bigot-Cormier et al, [2005]. En effet la phase d’initiation principale du mouvement est datée entre 6,7 ± 1,0 10Be ka et 7,2 ± 0,5 10Be ka soit 5700 ans après le retrait du glacier de la Tinée daté à 13,3 ± 0,1 14C ka. Toutefois pour la vallée du Rabuons située à droite du mouvement de la Clapière, la phase de déstabilisation est datée à 10,3 ± 0,5 10Be ka et pourrait donc être liée à la décompression glaciaire datée à 11-12 10Be ka [Bigot-Cormier et al, 2005].

Figure I-28 Comparaison entre les événements tectoniques, l’initiation des mouvements de versants [Bigot-Cormier et al., 2005] et les données climatiques à l’échelle globale depuis le dernier maximum glaciaire [Alley, 2004], et à l’échelle du massif de l’Argentera, à partir d’études géomorphologiques [Frederici

and Stephanini, 2001] et des études polliniques [Ortu et al., 2008]. LGM: Last Glacial Maximum; B-A: Bolling

Cossart et al., [2008] ont réalisé des datations sur les mouvements de vallée de la Clarée et du pré

de Madame Carle (bassin de la Haute-Durance) afin de déterminer à la fois la dynamique de retrait glaciaire et l’âge des déstabilisations gravitaires. A partir de datations cosmogéniques sur des surfaces glaciaires (surfaces polies, roches moutonnées), ils ont estimé l’extension des paléo-glaciers [Figure I-29]. Le retrait glaciaire progressif au cours de l’Holocène entre 7,5 ± 1,5 10Be ka et 10,5 ± 1,5

10

Be ka [Cossart et al., 2008] dans la partie haute de la vallée s’est accompagné dans la vallée de Clarée de nombreux basculements rocheux daté de manière synchrone avec la déglaciation de la vallée à 10.1 ± 2.1 10Be ka. Ces instabilités gravitaires ont donc probablement été initiées en réponse au relâchement des contraintes lié au retrait glaciaire [Cossart et al., 2008]. Pour le site du pré de Madame Carle, les datations cosmogéniques de blocs erratiques issus d’un glissement rocheux important (volume estimé entre 1 et 10 millions de m3) suggèrent au minimum deux étapes de déstabilisation. La première (Stage 1, Figure I-29) est datée à 6,5 ± 1,9 10Be ka, indiquant que la partie basse du versant est devenue instable juste après la déglaciation de la vallée (Stage 0, Figure I-29) initiant alors une avalanche rocheuse en réponse à la décompression du massif (Cossart et al., 2008). Une seconde étape de déstabilisation (Stage 2, Figure I-29), estimée à 1,6 ± 0,5 10Be ka, est probablement liée à un réajustement de la partie supérieure du versant par des phénomènes d’éboulements rocheux ou de coulées boueuses (encore actifs aujourd’hui), suite à la première avalanche rocheuse.

Figure I-29 Evolution schématique avant et après la déglaciation du versant NE au dessus du pré de Madame Carle. Stage 0 : extension maximale du glacier. Stage 1 : immédiatement après la déglaciation. Stage 2 : deuxième étape de déstabilisation gravitaire. D’après Cossart et al., 2008.