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Données de forages

II.4 Mécanisme de déformation

II.4.3 Modélisation mécanique

Le modèle cinématique établi pour le mouvement de Séchilienne révèle que les mécanismes de mouvement classiques (translationnel ou rotationnel) ne permettent pas d’expliquer la déformation observée (paragraphe II.3.3.1 ). A partir de l’hypothèse formulée par Rochet [1994] d’un mécanisme par rupture interne, Vengeon [1998] a mené une approche s’appuyant sur la modélisation numérique dans le but d’une meilleure compréhension du problème. Cette approche combine deux études :

- une première de l’influence des discontinuités verticales lors du creusement d’une vallée ; - une seconde sur le rôle de deux familles de fractures continues très redressées dans la

déformation d’un versant.

II.4.3.1 Influence des discontinuités verticales

L’étude structurale du versant de Séchilienne a mis en évidence la présence d’une famille de fractures N60 verticales découpant le massif en lanières subparallèles à la vallée. Pour déterminer le rôle de ces structures dans la morphologie du versant, des simulations 2D on été menées avec un code de calcul par éléments distincts. La géométrie du modèle 2D utilisé (Figure II-23) correspond à un versant de 1000 m de haut incliné à 39,7°, 45° ou 63° et découpé par 10 discontinuités verticales

Figure II-23 Modèle géométrique pour les simulations du creusement d’une vallée en V pour différentes inclinaisons de versant étudiées : θ1=63,4° , θ2=45°, θ3=39,7°. Tirée de Vengeon, 1998.

Les résultats obtenus montrent le contrôle qu’exercent les fractures verticales sur la déformation du massif en induisant une déformation complexe (Déformation en S, [Vengeon, 1998] )combinant basculement, soulèvement et distorsion par rebond élastique en réponse à l’excavation de la vallée. Cette déformation s’accompagne comme en peut le voir sur la Figure II-24 de l’oscillation des isocontraintes en profondeur révélant une zone de flexion induite par le basculement et l’ouverture des lanières en surface.

Figure II-24 Oscillations des contours d’isocontrainte verticale induites par le glissement sur les discontinuités verticales pour une inclinaison du versant θ= 39,7° et un angle de frottement et ɸ= 20°. Tiré de

Vengeon, 1998.

Pour Vengeon [1998], ce schéma simple ne prétend pas rendre compte des déplacements mesurés sur le mouvement de Séchilienne, mais est cependant compatible avec les principales observations suivantes:

- Basculement des lanières, pouvant être matérialisées dans le versant par des vecteurs de déplacement peu inclinés

- Présence de dépressions correspondant aux discontinuités verticales en ouverture

- Tassement de la zone amont pouvant être associé à la composante de tassement générée par la déformation complexe.

De plus, l’apparition de contraintes de traction sur la face avant des lanières permettrait de créer ou de propager des fractures inclinées vers la vallée, comme celles observées dans le massif de Séchilienne. Le modèle proposé par Vengeon [1998] permettrait donc d’expliquer les grands traits du mécanisme de déformation du versant.

II.4.3.2 Modélisation d’un versant découpé par deux familles de fractures continues

Pour la seconde étude Vengeon [1998] propose de mener des simulations 2D par éléments distincts (UDEC, [Vengeon, 1998]) (Figure II-25), en s’appuyant sur un modèle structural simplifié (Figure II-25) prenant en compte :

- des fractures continues proches de la verticale (en noir) qui découpent le versant en lanières et des fractures continues inclinées vers la vallée de 63,4° (en rouge). Les deux familles qui délimitent des losanges;

- des fractures discontinues (en bleu) inclinées vers la vallée, qui délimitent des blocs au sein des lanières ;

- des fractures très discontinues(en vert) faiblement inclinées vers la vallée, qui ne peuvent scinder les blocs en deux qu’au niveau des extrémités.

L’excavation de la vallée par l’action des glaciers est simulée dans ce cas par la suppression instantanée des conditions de contraintes correspondant au poids des terrains excavés sur le versant et le fond de vallée. Les résultats de ces simulations présentés à la Figure II-26 montrent deux zones : - une zone en tassement dans la partie supérieure, qui s’accompagne de l’ouverture des blocs

en surface, permettant la création de fossés d’effondrement.

- une zone en bombement avec la présence de contre-escarpements et de crevasses autorisés par la flexion des lanières du versant. La rotation des blocs voisins en profondeur est également observée comme dans la galerie de reconnaissance (cote 710).

Figure II-26 Modélisation de la déformation d’un versant ans surface de rupture par la méthode des éléments distincts (code UDEC). Tiré de Vengeon, 1998.

Cette approche permet de mettre en évidence que la déformation actuelle peut être le résultat d’une rupture interne progressive qui ne nécessite pas de surface prédéfinie de glissement ou de rupture comme dans le cas de glissement translationnel ou rotationnel.

II.5 Contraintes temporelles : Datations cosmogéniques

10

Be

Comme nous l’avons vu dans la partie modélisation, le déchargement des pentes et le relâchement de contraintes lié à l’action des glaciers (érosion et retrait) sont généralement avancés comme les facteurs déclenchants de l’initiation de la déstabilisation de Séchilienne. Pour avoir une meilleure compréhension de la dynamique et du mécanisme de déstabilisation du mouvement de Séchilienne, des contraintes chronologiques ont été acquises par Le Roux et al, [2009] à partir des datations cosmogoniques au béryllium (10Be). Ces datations ont été réalisées sur des échantillons prélevés sur deux types de morphologie (voir localisation à la Figure II-27a):

- des poli-glaciaires (pg1-1, pg1-2, pg2 et pg3) afin de déterminer la cinématique de retrait du glacier

- des profils verticaux (escarpement sommital) d’une trentaine de mètres de hauteur afin de pouvoir définir la cinématique d’initiation du glissement (Ps1, Ps2, Ps3).

Figure II-27 a) Localisation des échantillons sur le versant de Séchilienne et b) âges d’exposition pour les 3 profils S1, S2 et S3 .

Les âges d’exposition obtenus pour les poli-glaciaires varient entre 7,5 et 16,6 10Be ka. Pour ces surfaces façonnées par le glacier, l’interprétation des âges d’exposition dépend de la présence d’un masque au rayonnement cosmique tel qu’une moraine ou une tourbière. Dans le cas où aucun dépôt n’est venu recouvrir la surface après le retrait du glacier, l’âge d’exposition obtenu correspond donc à l’âge de retrait du glacier de cette surface. Sur cette base, Le Roux et al, [2009] interprètent l’âge obtenu pour Pg2 (16,6 10Be ka) comme l’âge de retrait minimal du glacier de la Romanche à 1100 m au niveau de Séchilienne. En faisant certaines hypothèses sur la vitesse de retrait du glacier, Le Roux et al, [2009] suggèrent que la vallée de la Romanche a été totalement désenglacée à -13300ans BP. Pour les profils verticaux, dans le cas d’une dénudation et de la création d’un escarpement, des âges décroissants sont attendus du sommet de l’escarpement vers la base de l’escarpement. C’est ce qui est observé pour le profil S1 dont les âges varient entre 4,7 et 0,3 10Be ka. La comparaison avec les âges obtenu pour les profils S2 et S3 montre :

- des âges similaires ou proches pour les profils S2 et S3 suggérant que la formation de l’escarpement sommital c’est faite de façon synchrone en chaque point entre S1 et S3 entre 5 et 7.8 10Be ka.

- toutefois des âges plus jeunes ont été obtenus pour les 3 premiers échantillons de S2. Ce rajeunissement peut être interprété comme une chute de blocs.

En reportant sur la Figure II-28 les informations obtenues à partir des polis glaciaires et des profils verticaux Le Roux et al., [2009] ont mis en évidence un délai de 5400 ans entre le retrait glaciaire et l’initiation du mouvement (Figure II-28b). Ce délai révèle donc que l’initiation du mouvement de Séchilienne n’est pas synchrone du retrait glaciaire. La décompression du massif à la suite du retrait du glacier de la Romanche ne serait donc pas l’élément déclencheur de la déstabilisation de Séchilienne. Selon Le Roux et al, [2009] cette initiation se serait plutôt produite au cours de l’optimum climatique (Figure II-28). Comme le montre le haut niveau d’eau des lacs, et le pourcentage important de pollen, l’optimum climatique correspond à une période chaude et humide (Figure II-28c). La commande hydraulique par le moyen des fortes précipitations aurait donc eu un rôle important dans le déclenchement de l’instabilité. L’enveloppe de dénudation déduite des âges obtenus pour les différents profils réalisés sur l’escarpement sommital montre également une dénudation continue depuis son initiation jusqu’à aujourd’hui avec entre 1 et 2 ka une accélération de la dénudation (Figure II-28a).

Figure II-28 a) Enveloppe des âges d’exposition pour le profil S1, tracé en fonction de la profondeur par rapport la surface. b) Cinématique des événements déduites de données chronologiques liées à la fonte du glacier et du mouvement de terrain permettant de mettre en évidence une période endurance minimal de pré-rupture. c) Distribution des dates du niveau haut des lacs dans les montagnes du Jura, les pré-Alpes françaises et le plateau Suisse (histogramme bleu), d’après Magny [2004 et 2007] et évolution du taux de pollen dans les Alpes du Sud (courbe verte) d’après de Beaulieu [1977]. Modifiée d’après Le Roux et al, 2009.