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La modélisation de la mémoire chez l’animal est nécessaire pour mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent les processus de mémorisation chez l’Homme, afin d’être en capacité de mesurer l’impact de candidats médicaments sur l’apprentissage et la mémoire et, plus généralement, pour élaborer des stratégies thérapeutiques pour le traitement des déficits mnésiques. Le modèle animal du rongeur pour modéliser les fonctions mnésiques chez l’Homme est très répandu. En effet, si les rongeurs ne sont pas capables de verbaliser leurs expériences, leur répertoire comportemental offre la possibilité d’observer certaines formes de mémoires qui se rapprocheraient de ce qui est décrit chez l’Homme. De plus, il existe de nombreuses similarités entre les structures cérébrales du rongeur et celles de l’Homme permettant ainsi de faire un parallèle entre les deux espèces en ce qui concerne les mécanismes qui sous-tendent les fonctions mnésiques, notamment grâce à la possibilité de pouvoir étudier ces structures plus en détails chez le rongeur (ex, neuroanatomie fonctionnelle, étude de lésions, neurochimie…) (pour revue, Morellini, 2013).

Comme chez l’Homme, la mémoire est organisée en mémoire à court et à long terme chez le rongeur. Chez ce dernier, la mémoire à court terme est classiquement assimilée à la mémoire de travail. Ce type de mémoire est mesuré par exemple dans un labyrinthe radial ou dans un labyrinthe en Y dans lequel l’animal est censé alterner de façon spontanée entre les bras en se souvenant des localisations qu’il a déjà explorées et donc qu’il faut éviter. Concernant la mémoire à long terme, elle est également subdivisée en mémoire implicite et explicite, comme chez l’Homme (Squire et al., 1992). Chez le rongeur, la mémoire implicite correspond, à la mémoire des habiletés motrices, des habitudes, qui peut être modélisée grâce à des apprentissages avec répétition (Squire et Zola-Morgan, 1985).

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Ce type de mémoire est évalué, par exemple, lors du test de conditionnement de peur, où l’animal est exposé à un stimulus neutre (appelé stimulus conditionnel, classiquement un son) associé à un stimulus aversif (appelé stimulus inconditionnel, classiquement un choc électrique). Après plusieurs sessions d’exposition aux stimuli, l’animal manifeste ensuite une réponse de peur conditionnée au stimulus conditionnel et ce même en absence du stimulus inconditionnel. En ce qui concerne la mémoire explicite chez le rongeur, elle se rapprocherait de la mémoire déclarative chez l’Homme. Ce type de mémoire a été subdivisé en mémoire de

« type épisodique » et en mémoire de référence qui modélisent respectivement la mémoire

épisodique et la mémoire sémantique chez l’Homme. Comme expliqué précédemment (voir page 37), la mémoire épisodique chez l’Homme correspond à des événements spécifiques inscrits dans un contexte spatio-temporel précis. Les souvenirs n’étant pas verbalisables chez l’animal, l’on n’a donc pas la possibilité d’interroger ce dernier dans le but de savoir s’il se remémore un évènement, que cela soit de manière consciente ou non. L’existence d’une mémoire épisodique chez l’animal a fait l’objet de controverses dans la littérature (pour revue, Crystal et al., 2019). Certains auteurs ont d’ailleurs suggéré que ce type de mémoire serait une caractéristique spécifique de l’espèce humaine (Suddendorf et Corballis, 1997). Cependant, plusieurs tests comportementaux ont été mis en place lors des dernières décennies afin de modéliser au mieux la mémoire de « type épisodique » chez l’animal (pour revue voir, Binder et al., 2015). Chez le rongeur, ces différents tests comportementaux se basent sur la mémorisation d’un événement par l’animal sur la base des composantes suivantes : le « quoi », le « quand » et le « où ». Ces tests se basent essentiellement sur la capacité de l’animal à : reconnaître un nouvel objet par apport à un objet familier (le « quoi »), reconnaître un objet anciennement exploré par rapport à une plus récente selon l’ordre de présentation (le « quand »), reconnaître la position d’un objet (le « où »). Dans d’autres types de tests comportementaux faisant intervenir une mémoire de « type épisodique », des renforcements négatifs sont inclus; c’est l’exemple du test de l’évitement passif (Passive Avoidance [PA]) (Jarvik et Kopp, 1967), qui permet d’évaluer la capacité de l’animal à se souvenir qu’il a reçu un choc électrique au préalable dans un compartiment sombre pour lequel il a une préférence naturelle. Ce type de test permet d’examiner la mémoire à long terme ancienne chez le rongeur, étant donné que les délais de rétention peuvent durer plus d’un mois. En ce qui concerne la mémoire de référence, elle fait généralement suite à l’apprentissage d’une tâche au cours de plusieurs sessions.

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Elle est notamment évaluée à l’aide du labyrinthe aquatique de Morris (Morris Water Maze [MWM]) (Morris, 1981), dans lequel il est demandé à l’animal d’apprendre la position d’une plateforme dans un bassin rempli d’eau en s’aidant de repères visuels disposés autour du bassin.

Le dispositif de chambres automatisées avec écran tactile est de plus en plus utilisé pour évaluer les fonctions cognitives chez le rongeur. Dans ce dispositif on peut notamment évaluer les fonctions d’apprentissage lors de certaines épreuves où il est demandé aux animaux d’interagir avec des stimuli sur un écran tactile dans le but d’obtenir une récompense alimentaire. Les principes de ces différents tests sont basés sur : 1) une notion de reconnaissance d’image (ex Visual discrimination ; associer une image à une récompense), 2) spatiale (ex

Location discrimination ; discriminer entre la localisation de deux stimuli en fonction de leur emplacement), 3) une notion spatiale et de reconnaissance d’image (ex Paired Associated

Learning ; reconnaître une image et l’associer à un emplacement) (Bussey et al., 1997 & 2001 ; Horner et al., 2013).

II-1-2) Fonctions exécutives

Les tests comportementaux permettant de modéliser les fonctions exécutives chez l’animal mettent en jeu notamment l’inhibition, la prise de décision et également la flexibilité cognitive. Chez le rongeur, les fonctions d’inhibition peuvent être évaluées à l’aide du test de

5-Choice Serial Reaction Time (5-CSRT). Ce test, initialement mis au point pour évaluer l’attention, permet également d’évaluer l’impulsivité et l’inhibition (Asinof et al., 2014). Lors de ce test, il est demandé aux animaux de réagir à l’apparition d’un stimulus en fonction de son emplacement dans 5 endroits possibles. La capacité de l’animal à s’abstenir d’une réponse anticipée et/ou inappropriée (ex l’animal réagit alors qu’un stimulus n’est pas présenté) permet d’évaluer les fonctions d’inhibition. Quant à la prise de décision, les approches pour examiner cette fonction sont basées sur des tests comportementaux orientés vers un objectif (généralement une récompense alimentaire) et qui mettent en jeu le choix, soit du moindre effort, soit du moindre délai d’attente, soit de l’issue la moins risquée dans une situation d’incertitude, pour obtenir une récompense (pour revue voir Kesner et al., 2011). Pour le dernier exemple, il est demandé aux animaux de choisir entre la possibilité d’avoir une récompense moindre de manière certaine ou une récompense plus élevée mais de manière aléatoire (c.-à-d. la probabilité de recevoir cette récompense diminue au fur et à mesure des sessions d’apprentissage) comme dans le test du « Gambling task » utilisé chez l’homme. En ce qui concerne la flexibilité cognitive, elle est mesurée notamment grâce à l’utilisation de tests d’apprentissage inversé (pour revue Brigman et al., 2010 ; Izquierdo et al., 2017).

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En effet, lors de ces tests, les animaux doivent apprendre d’abord une tâche (ex discrimination entre 2 stimuli dont l’un est associé à une récompense) et il leur est ensuite demandé d’inverser la consigne (pour reprendre l’exemple ci-dessus, entre les deux stimuli, celui qui n’était pas associé à la récompense précédemment, le devient et vice versa) (pour revue, voir Brigman et al., 2010 ; Izquierdo et al., 2017). Ce comportement implique de la flexibilité cognitive, laquelle peut être définie comme une fonction exécutive nécessitant la capacité à adapter les comportements en réponse aux changements de l'environnement (Webster et al., 2013). Certains tests comportementaux basés sur l’apprentissage inversé, qui sont souvent utilisés dans la littérature, sont réalisés à l’aide du dispositif des chambres automatisées avec écran tactile (voir figure 23 E). Le labyrinthe en Y, le labyrinthe aquatique de Morris ou encore des tests de discrimination d’odeurs et de formes peuvent être également utilisés à cet effet (voir Figure 23).

Figure 24. Tests comportementaux évaluant la flexibilité cognitive chez la souris (Bringman et al., 2010) ©.

(A) Tâche d’enfouissement intra-dimensionnelle et extra-dimensionnelle. Les souris sont entraînées à creuser pour obtenir une récompense alimentaire en utilisant des indices de deux dimensions (olfactive ou tactiles). Les indices menant à la récompense, dans une même dimension, sont inversés pour le test intra-dimensionnel et lors du test extra-dimensionnel ils sont inversés entre

les deux dimensions. (B) Inversion spatiale dans le labyrinthe aquatique de Morris. Après

apprentissage de la localisation d’une plateforme immergée à l'aide de repères, l'emplacement de la plateforme est déplacé vers le côté opposé de la piscine. (C) Inversion spatiale dans le labyrinthe en

T. Après avoir appris à localiser une récompense alimentaire dans un bras à l'aide d'indices spatiaux, cette localisation est inversée. (D) Inversion d’une réponse opérante dans un système de pression de levier. Après avoir appris à appuyer sur un levier soit selon l’emplacement de ce dernier, soit selon un

stimulus visuel (par exemple, la lumière ou pas de lumière), le signal récompensé est inversé. (E)

Inversion d’une discrimination d’une paire de stimuli visuels dans un système à écran tactile. Après avoir appris à discriminer entre deux stimulus dont l’un est associé à une récompense, le stimulus

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