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La consommation de psychotropes est importante chez les personnes âgées, en lien avec un spectre d’utilisation large en fonction de la molécule psychotrope choisie (Beck et al., 2012). En effet, ils sont prescrits non seulement pour leur principal objectif thérapeutique mais aussi dans d’autres indications (ex, les anxiolytiques sont utilisés dans le traitement de l’anxiété mais sont également prescrits pour les problèmes de sommeil). La prescription de médicaments psychotropes a tendance à diminuer chez les personnes âgées, mais on note encore une consommation importante dans cette population : selon la cohorte PAQUID en France, 39,1 % des personnes âgées de 65 ans ou plus vivant à domicile et 66,4 % de celles vivant en institution consomment au moins un médicament psychotropes (Billioti de Gage et al., 2012). Par ailleurs, on note une consommation d’au moins un psychotrope chez 45% des séniors d’un âge compris entre 45 et 64 ans. Il a été rapporté que les médicaments psychotropes les plus consommés (9-12%) appartiennent à la famille chimique des benzodiazépines (Koyama et al., 2013 ; Olfson et al., 2015). Les benzodiazépines sont des molécules présentant une structure chimique commune formée d’un cycle diazépine fusionné avec un cycle benzène. Ces médicaments sont utilisés dans plusieurs indications thérapeutiques du fait de leurs propriétés anxiolytiques, hypnotiques, myorelaxantes ou encore anticonvulsivantes.

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II-3) Psychotropes : risque de chute, troubles de la marche et de l’équilibre, troubles cognitifs

II-3-1) Psychotropes et risque de chute

De nombreuses études observationnelles3 se sont intéressées aux liens entre la consommation de médicaments psychotropes et le risque de chute chez les personnes âgées et concourent à valider un rôle préjudiciable de ces médicaments dans le phénomène de chute.

Trois méta-analyses ont étudié le rôle des médicaments psychotropes dans la survenue d’une chute. En 1999, Leipzig et ses collaborateurs ont analysé 40 articles différents (25% étant des données longitudinales prospectives), portant sur des études menées entre 1966 et 1996 ; les auteurs ont étudié le rôle des sédatifs/hypnotiques, des antidépresseurs et des neuroleptiques dans le risque de chute chez des personnes âgées de 60 ans ou plus. Les auteurs ont conclu que les consommateurs de psychotropes quels qu’ils soient, avaient environ 2 fois plus de risque d’être victimes de chute que ceux qui ne consomment pas de psychotropes (OR = 1,73 ; 95 % IC 1,52-1,97). Les OR varient de 1,48 pour les benzodiazépines à 1,66 pour les antidépresseurs (Leipzig et al., 1999). On note une majoration du risque de chute lorsque plusieurs médicaments psychotropes sont prescrits simultanément. La méta-analyse de Woolcott et de ses collaborateurs (2011) arrive aux mêmes conclusions quelques années plus tard en incluant 22 études (45% étant des études longitudinales prospectives) menées entre 1996 et 2007. Plus récemment, une autre méta-analyse, portant sur 71 études (45% étant des études longitudinales prospectives) au cours des mêmes années (1996 à 2007) conforte les données précédentes (OR = 1,78 95 % IC 1,57-2,01).

Cette revue rapporte par ailleurs que l’association entre les chutes et les médicaments psychotropes est plus importante chez les plus de 80 ans [Risque Relatif 4, RR = 1,67] que chez les moins de 80 ans [RR = 2,23] (Bloch et al., 2011).

3 Les recherches non interventionnelles comportent des actes ou des procédures définis par un arrêté. Dénuées de risques, elles ne modifient pas la prise en charge des participants, et tous les actes pratiqués et produits utilisés le sont de manière habituelle. Elles comprennent les recherches observationnelles : études portant sur l’observance des traitements, la tolérance à un médicament après sa mise sur le marché, les pratiques d’un centre de soins comparées à celles d’un autre etc (Inserm 2020).

4 Le risque relatif (RR) et l’Odd ratio (OR) sont interprété de la même manière. C’est-à-dire plus la valeur de RR augmente plus la probabilité de survenue de l’événement. A la différence de l’OR, le RR est utilisé dans des cas où la prévalence de l’évènement dans la population est connue.

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Le rôle préjudiciable des psychotropes dans le phénomène de chute est également observé dans une population de personnes âgées souffrant de pathologies. Martinez-Ramirez et ses collaborateurs (2014) ont en effet montré, dans leur étude observationnelle chez une population de patients de 65 ans ou plus atteints de la maladie de Parkinson, que la consommation de médicaments psychotropes appartenant à la classe thérapeutique des antidépresseurs (OR = 2,2 95% IC 1,3 – 3,8) ou à la famille chimique des benzodiazépines (OR = 2,0 95% IC 1,1 – 3,5) ou encore une association des deux (OR = 2,2 95% IC 2,0 – 8,3) est associée à la survenue d’une chute durant l’année précédant l’étude, et ce indépendamment des facteurs confondants utilisés comme covariables (âge, genre, durée de la maladie de Parkinson, score au test de TUG, utilisation d’autres médicaments). Selon la revue récente de Lapeyre Mestre et de ses collaborateurs (2017) qui a inclus 23 articles (23 % étant des études longitudinales prospectives) publiés entre 1990 et 2016, l’utilisation de médicaments psychotropes chez les personnes âgées de 65 ans ou plus et atteintes de démence, quel que soit le type de démence, est associée à une augmentation du risque de chute. Les benzodiazépines étaient là encore les médicaments à plus haut risque de chute (OR = 2,6 ; 95% IC 1,2 - 5,9). Il faut rappeler que la maladie de Parkinson et les démences sont déjà des facteurs de risque de chute. Ainsi l’augmentation du nombre de chutes, observée chez les personnes âgées, suite à la consommation de psychotropes serait une aggravation du risque de chute, inhérent à ces pathologies.

D’autres études plus récentes se sont intéressées, non plus au rôle des psychotropes de façon globale, mais aux effets des différentes classes de psychotropes dans la survenue de la chute. La revue de la littérature de Díaz-Gutiérrez et de ses collaborateurs (2017) confirme que la consommation de benzodiazépines chez les personnes âgées est associée à un risque de chute plus élevé que la consommation de médicaments appartenant aux autres classes de psychotropes. Elle montre en outre que l’augmentation du risque de chute est observée aussi bien lors de l’utilisation des benzodiazépines en monothérapie qu’en association avec d’autres médicaments.

Les mécanismes d’action responsables de l’augmentation suite à une consommation de psychotropes sont développés dans le tableau 1. Elles seraient dues à un l’effet sédatif bien connu des psychotropes, et également à l’induction d’un syndrome pyramidal (antipsychotiques) (Huang et al., 2012).

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II-3-2) Psychotropes : troubles de l’équilibre et de la marche

La revue de la littérature de de Groot et ses collaborateurs (2013), incluant 88 études sur les médicaments psychotropes, a montré que la consommation de médicaments chez des personnes âgées de 65 ans ou plus, est associée à une diminution du contrôle postural tel qu’évalué essentiellement à l’aide d’une plateforme de force. Les psychotropes inclus dans cette revue sont : les antidépresseurs, les neuroleptiques et les benzodiazépines. Selon certains auteurs, les troubles de l’équilibre consécutifs à la prise des médicaments psychotropes seraient dus à des problèmes de vision, l’induction de syncopes ou encore l’endormissement (pour revue voir de Groot et al., 2013).

Aucune étude, à notre connaissance, ne s’est intéressée à l’effet des psychotropes sur la marche chez les personnes âgées alors qu’il est probable que certains d’entre eux perturbent les paramètres de marche, pouvant ainsi favoriser les chutes.

II-3-3) Psychotropes et troubles cognitifs

Il est connu depuis longtemps que l’utilisation prolongée de médicaments psychotropes peut induire des troubles cognitifs, en particulier des troubles de l’attention, de la vitesse de traitement de l’information et de la mémoire (pour revue, voir Stein et al., 1998). Plus particulièrement chez les personnes âgées, la consommation de longue durée de certains psychotropes, serait également à l’origine d’une augmentation des cas de troubles cognitifs (pour revue, voir Brooks and Hoblyn, 2007). Les psychotropes les plus associés à ces troubles cognitifs sont les benzodiazépines, les hypnotiques ou encore les antidépresseurs (Shinohara et al., 2016 ; Morraros et al., 2016). Ces troubles cognitifs consécutifs à la prise de médicaments psychotropes chez l’Homme ont été démontrés également dans des études chez l’animal après une administration aigüe et/ou chronique de psychotropes (Cole, 1986 ; Tomaz et al., 1993).

Par ailleurs, il a été montré dans plusieurs études de cohortes prospectives que des personnes âgées de 65 ans ou plus, qui consomment des médicaments psychotropes, présentent un risque plus élevé de développer une démence, que les personnes âgées non consommateurs (Pustinen et al., 2011 ; Gray et al., 2016).

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Certaines études qui mettent en avant l’association positive entre l’utilisation de psychotropes et les démences soulèvent la possibilité d’un biais protopathique5, dans l’analyse de ces résultats (Billioti de Gage et al., 2014 ; Shash et al., 2016 ; Gromm et al., 2016). Ces études suggèrent ainsi que la prescription de psychotropes pourrait être la conséquence et non la cause des démences. Ce biais a été contrôlé dans certaines études de la méta-analyse de Billioti de Gage et de ses collaborateurs (2012) qui a inclus 10 études publiées entre 1998 et 2014, et qui a confirmé le lien entre la consommation de benzodiazépines et le risque de démence chez les personnes âgées. En effet, toutes les études de cette revue ont été effectuées suivant une analyse longitudinale avec des périodes de suivi allant jusqu’à 15 ans. De plus, dans certaines études de cette revue, l’initiation des benzodiazépines a eu lieu au moins 3 ans avant l’apparition de démence, minimisant ainsi le risque que les benzodiazépines soient prescrites pour soigner les signes cliniques prodromiques de la démence (Billioti de Gage et al., 2012 & 2014).

Par ailleurs, les différents types de psychotropes qui étaient les plus associés aux troubles cognitifs ont fait l’objet de quelques études. L’utilisation prolongée de benzodiazépines hypnotiques double le risque de démence, surtout chez lesséniors âgés de 50 à 65 ans (Chen et al., 2012). De plus, une étude cas-témoins, taiwanaise, a rapporté un risque accru de démence consécutive à la consommation d’un hypnotique, le zolpidem, (Shih et al., 2015). Il a également été montré que la consommation d’antidépresseurs à long terme pourrait constituer un facteur de risque de développement d’une démence (pour revue, voir Kessing et al., 2012).

En résumé, la consommation à long terme de médicaments psychotropes, peut être à

l’origine, d’une augmentation du risque de chute, de troubles de l’équilibre et de troubles cognitifs lors du vieillissement.

On remarque à nouveau que ces effets néfastes ont majoritairement été décrits chez les personnes âgées de 65 ans ou plus. La seule étude à notre connaissance qui s’est intéressée à cette association chez des jeunes séniors est celle de Chen et de ses collaborateurs (2012) qui a montré que le risque de démence est doublé, suite à la consommation de psychotropes chez des séniors d’un âge compris entre 50 et 65 ans.

5Le facteur suspecté (médicament) peut avoir été prescrit du fait des symptômes correspondant au début de l’affection étudiée : « l’exposition » n’est en fait qu’un marqueur précoce (ou la conséquence) du début de la maladie et non pas la cause.

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Par ailleurs, contrairement à la polymédication de manière générale, peu d’études se sont intéressées à un effet de l’utilisation de plusieurs médicaments psychotropes consommés simultanément sur le risque de chute ou de troubles cognitifs. Il a été montré que l’utilisation de plusieurs médicaments psychotropes de manière simultanée augmentait le risque de chute et de troubles cognitifs chez les personnes âgées (Weiner et al., 1998 ; Hanlon et al., 2009 ; Johnell et al., 2016) mais ce lien n’a pas été testé pour les troubles de la marche. De plus, aucune étude ne montre s’il existe un seuil du nombre de médicaments psychotropes consommés, comme pour la polymédication, à partir duquel on observerait une augmentation du risque de chute, des troubles de l’équilibre et de la marche ou des troubles cognitifs.

Ces deux aspects (c-à-d, l’effet de la polymédication de psychotropes, l’effet des psychotropes chez une population de jeunes séniors d’un âge compris entre 55 et 65ans) seront abordés dans la première étude de ce travail de thèse.

III) Médicaments à propriétés anticholinergiques anti-muscariniques :