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Les résultats de l’étude 3 confirment les effets néfastes des médicaments anticholinergiques sur la cognition et sur la marche dans une population de séniors âgés de 55 ans ou plus. Cette étude révèle en outre que ces effets délétères concernaient notamment certains médicaments anticholinergiques parmi les plus prescrits. En effet, nous avons montré que le nombre de scores déficitaires aux tests du MMSE et du TUG étaient significativement plus élevés chez 3 des 4 groupes de consommateurs de médicaments anticholinergiques les plus prescrits dans notre population (groupes furosémide, tramadol et codéine) que chez les non consommateurs. En outre, parmi les groupes de consommateurs, le groupe de tramadol serait le plus affecté comme le montre le nombre de scores déficitaires aux tests de MMSE et du TUG significativement plus élevé dans ce groupe que dans le groupe de non consommateurs de médicaments anticholinergiques. La consommation de tramadol est par ailleurs associée à un plus nombre plus élevé de facteurs de risque de chute.

I OR 95% IC p-value

Score déficitaire vs. normal au MMSE* 22,44 5,38-93,35 0,001

Comorbidités 1,78 1,09-2,92 0,021

Age ≥ 75 ans vs < 75 ans 0,47 0,09-2,27 0,350

Niveau socioculturel 1,12 0,92-1,38 0,248

Hospitaliation lors du recrutement supplémentaire

0,44 0,03-5,86 0,540

II

Score déficitaire vs. Normal au TUG* 5,44 1,05-28,05 0,043

Comorbidités* 1,61 1,01-2,61 0,049

Age ≥ 75 ans vs < 75 ans 0,17 0,02-1,36 0,095

Force musculaire 0,95 0,86-1,05 0,342

IMC 0,98 0,86-1,07 0,743

Facteurs de risques de chute 2,08 1,18-3,65 0,011 Hospitaliation lors du recrutement

supplémentaire

161 Dans un premier temps, nous discuterons les résultats des effets néfastes sur la cognition et sur la marche des médicaments anticholinergiques les plus prescrits dans notre population puis nous nous focaliserons sur les effets du tramadol qui semblent être les plus néfastes.

III-6-1) Effet des médicaments anticholinergiques les plus prescrits

Le nombre élevé de scores déficitaires aux tests du MMSE et du TUG observé chez les consommateurs de tramadol, de furosémide, de codéine ou d’autres médicaments anticholinergiques confirme le fait que ces médicaments anticholinergiques contribuent de manière significative aux effets néfastes des médicaments anticholinergiques rapportés dans l’étude 2 (voir page 123 et 124). De manière intéressante, le furosémide, la codéine et le tramadol ont tous un score anticholinergique de 1 à l’échelle ADS, suggérant ainsi, en accord avec nos résultats précédents (Attoh-Mensah et al., 2020), que les médicaments anticholinergiques sont néfastes pour la cognition et la marche dès une charge anticholinergique de 1. Il est généralement admis dans la littérature que les médicaments anticholinergiques ayant une charge anticholinergique élevée sont ceux qui ont le plus d’effets délétères sur la cognition et la marche (voir tableaux 3 à 5, pour description détaillée des études). Pour ces médicaments, il est donc préconisé d’utiliser dès que possible des traitements alternatifs. Nos résultats suggèrent cependant qu’il est également important de prendre des précautions pour les médicaments ayant un charge anticholinergique minimale (score de 1).

L’absence d’effet délétère observé chez les consommateurs de prednisone/prednisolone pourrait s’expliquer par l’effectif restreint de ce groupe (7 seulement). De plus, on n’y recense aucun participant ayant un déficit cognitif (c.-à-d. < à la norme) et un seul participant avait des performances de marche déficitaires (c.-à-d. < à la norme). En ce qui concerne les 3 médicaments anticholinergiques qui affectent la cognition et la mobilité dans notre étude, on notera que 1) la codéine est de moins en moins prescrite ; 2) le rapport bénéfice/risque du furosémide est en faveur des nombreux effets bénéfiques de ce diurétique et qu’il est donc difficile de supprimer ou de réduire fortement sa prescription et 3) le tramadol est celui qui a le plus d’effets néfastes et qu’il est donc important d’en tenir compte d’autant plus que c’est l’un des antalgiques de palier 2, les plus prescrits en France, dans la population générale et également auprès des personnes âgées.

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III-6-2) Effets du tramadol sur la cognition

Un score au MMSE plus faible et un nombre de scores déficitaires au MMSE plus élevé chez les consommateurs de tramadol que chez les non consommateurs de médicaments anticholinergiques est en accord avec les données de la littérature. En effet, il a été montré que chez des personnes âgées de 65 ans ou plus mais également chez des jeunes adultes (âgés de18 à 30 ans), la consommation de tramadol était associée à diminution des performances à des tests d’évaluation de la cognition globale (Bassiony et al., 2017), de la mémoire (Ng et al., 2006 ; Chavant et al., 2010 ; Bassiony et al., 2017) et également des fonctions exécutives (Zakaryaee et al., 2012). Nous reviendrons de manière plus approfondie sur les effets du tramadol sur la cognition dans la deuxième partie de ce travail de thèse qui est consacrée à ce sujet.

III-6-3) Effets du tramadol sur la marche

Les effets délétères du tramadol sur la marche tels qu’évalués par le test du TUG (moins bonnes performances et nombre de scores déficitaires plus élevé que chez les non consommateurs de médicaments anticholinergiques) sont des résultats très novateurs. En effet, une seule autre étude a, à notre connaissance, évalué l’effet du tramadol sur la mobilité (Henriksen et al., 2019). Dans cette étude randomisée contrôlée où une méthode de détection cinématique de la marche en 3D a été utilisée, les auteurs montrent qu’un autre opioïde (le tapentadol) a plus d’effets néfastes sur la mobilité que le tramadol et le placebo mais que le tramadol entraîne néanmoins plus de variabilité dans le déplacement que le placebo. Les auteurs suggèrent que ces effets seraient en lien avec une augmentation du risque de chute. De manière intéressante, il a été rapporté que la consommation du tramadol était associée à une augmentation du risque de chute (Soderberg et al., 2013 ; Costas Dias et al., 2014 ; Moller et al., 2015). En accord avec ces données, notre analyse de régression logistique multivariée montre que la consommation de tramadol est significativement associée au nombre de facteurs de risque de chute indépendamment des autres covariables. Nous reviendrons également plus en détails sur ces effets délétères du tramadol dans la deuxième partie de ce travail de thèse.

III-6-4) Limites

La taille des échantillons de chacun des groupes consommant des médicaments anticholinergiques est une des limites majeures de cette étude. Ceci est à l’origine notamment de l’absence d’analyse post-hoc entre les groupes en ce qui concerne le nombre de scores déficitaires.

163 Cependant nos résultats statistiques semblent suffisamment robustes, notamment les résultats des régressions multivariées qui indiquent que les liens entre l’utilisation du tramadol et les effets néfastes sur la cognition et la marche sont indépendants des covariables d’ajustement. La polymédication élevée des participants est une autre limite de cette étude puisque les 5 groupes qui consommaient des médicaments anticholinergiques consommaient en moyenne 7 à 11 médicaments, toutes classes confondues. Nos résultats ne nous permettent donc pas de conclure que les effets néfastes observés chez les consommateurs de tramadol sont uniquement dus à la consommation de ce seul médicament. Cependant, sur la base des résultats de régressions logistiques (indépendance du lien entre tramadol, cognition et marche et les covariables), l’on peut suggérer que le tramadol contribuerait au moins en partie aux effets délétères observés dans cette étude. Il serait néanmoins nécessaire de confirmer ces effets néfastes du tramadol par des études permettant de clarifier les effets propres de cet antalgique. De telles connaissances seraient d’un intérêt majeur pour élaborer des recommandations auprès des médecins prescripteurs.