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Modélisation de l’articulation entre les marchés internationaux et l’importateur : théorie de l’organisation des échanges interentreprises

Conclusion du chapitre 2 :

3.4. Modélisation de l’articulation entre les marchés internationaux et l’importateur : théorie de l’organisation des échanges interentreprises

et théorie du consommateur de Lancaster

Notre objectif, dans cette partie, est de conceptualiser l’interface entre les marchés domestiques et les marchés internationaux. Nous abordons deux approches sensiblement différentes : la première est issue des sciences de gestion et modélise les relations commerciales entre entreprises, il s’agit de la théorie de l’organisation des échanges interentreprises, la seconde est issue des nouvelles théories du commerce international, c’est la théorie du consommateur de Lancaster.

3.4.1. Théorie de l’organisation des échanges interentreprises

Les relations commerciales entre entreprises sont différentes des relations entre les entreprises et les consommateurs. Un champ de la théorie de gestion s’intéresse à ces questions, il s’agit du marketing interorganisationnel. Nous développons ici deux théories issues de ce champ théorique. La théorie de la dépendance des ressources et le modèle d’interaction.

La théorie de la dépendance des ressources est développée par Pfeffer et Salancik (2003) et s’appuie sur la théorie de l’échange social développée par Emerson (1962) ou Thibault et Kelley (1959). Elle postule que les entreprises vont organiser leurs relations commerciales en fonction de deux dimensions : leur degré de dépendance à leur environnement et le degré d’incertitude que cette dépendance implique. Les entreprises sont dépendantes de leurs fournisseurs pour les ressources dont elles ont nécessairement besoin (dans le cas qui nous intéresse, il s’agit du blé ou des produits issus). Plus la ressource est stratégique pour l’entreprise, c’est-à-dire non facilement substituable, plus elle a intérêt à stabiliser son environnement (Pfeffer et Salancik 2003). De plus, la capacité d’une entreprise à

s’approvisionner va être conditionnée négativement par le pouvoir des fournisseurs à contrôler l'accès à la ressource. Un des éléments du pouvoir de marché des fournisseurs de ressources stratégiques est le nombre de fournisseurs de cette ressource. Plus celui-ci est faible et donc plus ils ont de capacité à s'entendre et plus l’entreprise importatrice risque d'être dépendante. Cette relation de pouvoir de marché s’applique également dans le sens de l’acquéreur vers le fournisseur. C'est en effet l'acquéreur qui permet au fournisseur d’écouler sa production. Dans la plupart des cas, la relation prend la forme d’une dépendance réciproque, dépendance qui est brisée si l’échange est plus stratégique dans un sens que dans l’autre. Cette situation crée de l’incertitude, une des parties n’est pas capable de prévoir ce que l’autre va faire. La théorie telle que décrite par Pfeffer et Salancik (2003), voudrait que les entreprises aient alors deux grands types de stratégies : l’intégration et la création de liens. Dans le cadre du commerce des céréales et pour les pays du Maghreb, l’intégration est difficilement accessible. Ce n’est pas le cas partout, on peut ainsi penser à des pays (notamment du Golfe) qui louent des terres dans certains pays du sud-est asiatique pour produire des denrées agricoles.

L’autre stratégie, qui consiste à négocier une coordination entre les actions du fournisseur et de l’acquéreur, n’existe pas non plus dans notre cas, à l’exception du contrat qui existerait entre l’OAIC algérien et le CWB canadiens concernant la livraison de blé dur. En effet, le conseil canadien des céréales a un contrat avec l’office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) pour la livraison de blé dur de qualité CWAD n° 2. Ce contrat est, d’après ce que l’on sait unique, dans les pays qui nous intéressent. Il lie le plus gros importateur du premier pays source des échanges et l’exportateur en situation de monopole sur le blé dur canadien qui représente 50 % du commerce mondial de ce produit. Nous pouvons supposer que de telles stratégies sont compliquées à mettre en œuvre, étant donné le caractère fluctuant des productions de blés à la fois dans les pays exportateurs et dans les pays importateurs (la production locale influençant fortement la demande excédentaire).

La théorie de la dépendance des ressources nous renseigne donc sur l’existence éventuelle d’un rapport de pouvoir entre les pays producteurs de blé et les pays importateurs, mais le caractère imprévisible de ce rapport de pouvoir, dû aux variations de récoltes, rend la mise en place des stratégies évoquées plus haut fortement improbable.

Le modèle d’interaction a été développé par un groupe de chercheurs européens (le Industrial Marketing Purchasing group ou groupe IMP). Il se fonde sur une vision des marchés industriels caractérisés par une structure stable, c'est-à-dire où le nombre de firmes

offreuses comme demandeuses est limité et stable. Les acheteurs et les vendeurs sont interdépendants, on ne peut donc étudier de façon séparée les vendeurs et acheteurs, c’est la relation d’échange qui est l’unité d’analyse. Les acheteurs sont aussi actifs que les vendeurs, chaque agent poursuit sa propre stratégie. Les vendeurs et acheteurs entretiennent des relations de long terme. Les échanges même ponctuels sont répétés. L’objectif de ce courant est d’analyser la nature et la diversité des relations acheteurs vendeurs, et d’expliquer cette diversité. Pour cela, le groupe IMP se base sur un modèle global d’analyse présenté par Hakanson (1982) qui explique la nature des interactions entre les organisations selon quatre facteurs : les participants, les éléments et le processus d’interaction (historique des transactions, relations interpersonnelles etc.), l’environnement plus large et les variables décrivant l’atmosphère de l’interaction (coopération/conflit). Cette conceptualisation permet de prendre en compte tous les aspects de l’échange, mais elle se focalise trop, pour notre étude, sur les relations de long terme et leurs descriptions. Même en considérant que celles-ci peuvent se constituer d’une succession de relations de court terme, elle néglige l’aspect contingent de ces relations ponctuelles (Baritaux 2005), aspect qui est renforcé sur le marché du blé par les aléas climatiques générateurs d'une forte variabilité des récoltes aussi bien dans les pays structurellement exportateurs que dans les pays structurellement importateurs.

Ces théories de l’organisation des échanges entre entreprises ne nous permettent pas de relier les marchés internationaux décentralisés avec les acteurs nationaux intervenant dans les importations de blés. Il nous faut donc mobiliser une autre théorie permettant ce lien. Nous allons donc nous intéresser à la théorie du consommateur développée par Lancaster et utilisée, de façon classique, dans des modèles d’échanges entre pays.

3.4.2. Théorie du consommateur de Lancaster.

Lancaster, dans sa théorie du consommateur, pare les biens d’un certain nombre de caractéristiques, et formule que la demande des consommateurs pour un produit est en fait une demande pour un certain nombre de caractéristiques portées par ce produit. Chaque consommateur va arbitrer ses choix de consommation de façon à avoir un cocktail s’approchant le plus possible de ses préférences individuelles. « Le bien, per se, ne donne pas l’utilité au consommateur : il possède des caractéristiques, et ces caractéristiques engendrent

l’utilité » (Lancaster 1956). Cette approche a été utilisée dans le cadre de travaux sur le commerce intra-industriel notamment par Lancaster (1980) et Helpman (1981).

Cette hypothèse où l’acheteur cherche la « variété idéale » nous semble plus plausible dans le cadre du marché du blé que celle de Dixit-Stiglitz (Dixit et Stiglitz 1977, Krugman (1979, 1980, 1981), qui formule l’hypothèse d’un attrait du consommateur pour la diversité, en tant que générateur en soi de bien-être « l’amour de la variété ». En effet, le blé et ses dérivés sont, dans notre zone d’étude, des produits de première nécessité dont la consommation est « obligatoire » dans la mesure où elle ne peut pas ne pas avoir lieu. Une demande de diversité entraînerait une diversification des sources de féculents, or cette diversification n’est pas observée et paraît peu probable. Il semblerait donc que, dans le cadre du sujet qui nous intéresse, la théorie de Lancaster soit plus adaptée.

Ce lien entre les marchés internationaux et les « consommateurs » ne nous permettent pas de déterminer quels sont les consommateurs dont la variété idéale est prise en compte lors du choix des blés importés, il nous faut donc nous intéresser à ce qui se passe au sein des filières dans chacun des pays sur lequel se porte ce travail. Nous passerons donc en revue dans le chapitre suivant les outils méthodologiques et théoriques permettant cela.

3.5. L’analyse des relations entre acteurs au sein des pays de notre étude,