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Modèles simpliés

Une simulation micromagnétique d'un réseau expérimental de 840 aimants nécessiterait plus de 600 milliards de cellules (avec un maillage de 3x3x3 nm3). En dehors du problème du temps de calcul d'un tel système, la quantité de mémoire requise n'est pas raisonnable pour une petite station de calcul. C'est pourquoi nous n'emploierons ces simulations que dans le cas d'études de vertex isolés. Pour travailler sur de plus grands ensembles, nous utilisons des modèles simpliés. Le modèle du dipôle ponctuel décrit bien les interactions entre aimants à des distances supérieures à leur extension spatiale. Le modèle de charges magnétiques permet de mieux décrire les interactions à faible distance. Dans cette section, nous allons comparer ces diérentes descriptions.

2.3.1 Point de vue du dipôle ponctuel

a) x (µm) y (µ m ) b) c) (J)

Figure 2.14 a) Représentation du champ magnétique rayonné dans l'espace par un dipôle ponctuel de momentµ. b) Énergie d'interaction entre deux dipôles colinéaires en fonction de leurs positions respectives. Le premier dipôle est xé sur l'origine tandis que le second balaye l'espace, à direction xe. Les grandeurs expérimentales L = 500nm, w= 100 nm et e = 30 nm ont été utilisées pour le calcul. c) Schéma des deux dipôles colinéaires en interaction, distants de r, pour le calcul de b).

Un observateur, placé à une distancer d'un aimant grande devant son extension spatiale (r L), voit tout son volume concentré en un point. Dans ce cas, le champ magnétique rayonné par l'aimant peut être décrit par l'approximation du dipôle ponctuel :

B(r) = µ0 4πr3 3 r2(µ.r)r−µ

Les lignes de champ rayonnées par un dipôle sont représentées en gure2.14a.µreprésente le moment magnétique total porté par l'aimant. Cette grandeur se calcule en intégrant l'aiman-tation sur tout son volume :

µ=

Z Z Z

V

Si l'objet est uniformément aimanté, son moment magnétique total s'exprime simplement comme le produit de son volume par son aimantation à saturation. Dans ce cas, en tenant compte des extrémités circulaires, il vient :

µ=MsV =Ms (L−w)we+πw2e

Nous ferons cette approximation à chaque fois qu'une équivalence entre aimant et dipôle ponctuel sera faite. Une application numérique pour les grandeurs typiques L =500 nm, w=100 nm, e=30 nm,Ms=8.105 A.m−1 donne un momentµ= 1.6.108µB. Il s'agit donc d'un moment magnétique purement classique. L'énergie d'interaction entre deux dipôles ponctuels i et j s'exprime comme l'énergie Zeeman d'un dipôle placé dans le champ rayonné par son voisin : Eijdip =−µi.Bj(ri) =−µj.Bi(rj) = − µ0 4πr3 ij 3 r2 iji.rij)(µj.rij)−µij (2.15) La gure 2.14b représente l'énergie d'interactionEijdip entre deux dipôles colinéaires, en fonc-tion de leur posifonc-tion relative r. La situation correspondante est représentée en gure 2.14c. Selon les positions respectives de ces dipôles, l'énergie Eijdip peut changer de signe. Dans les zones rouges, le couplage est antiferromagnétique. Dans les zones bleues, il est ferromag-nétique. Il existe entre ces régions des lignes nodales sur lesquelles l'interaction est nulle. Ce modèle présente l'avantage d'orir une forme analytique des interactions, simple à im-plémenter dans un programme. Il néglige cependant l'extension spatiale des aimants. Nous allons voir comment une modélisation en termes de charges magnétiques permet de tenir compte de leur allongement, tout en conservant une expression simple des interactions.

2.3.2 Modèle de charges magnétiques

Un dipôle peut être modélisé par une paire de charges opposées±qséparées d'une distance l (cf. g. 2.15a) (dumbbell model). Le potentiel au voisinage du dipôle est égal à la somme des contributions des deux charges. Nous considérons qu'une charge rayonne un potentiel magnétique en 1

r. Les lignes de champ correspondantes sont représentées en gure 2.15a. Nous ne tenons pas compte de l'énergie interne au dipôle, c'est à dire l'interaction entre ses deux charges. Pour un système constitué de deux dipôles, l'énergie totale se calcule en sommant les interactions des quatre charges. Avec les notations de la gure 2.15b, l'énergie d'interaction s'exprime :

Eijq =Ei1j1 +Ei1j2+Ei2j1 +Ei2j2 =q2( 1 ri1j1 +

1

ri2j21

ri1j21 ri2j1)

Si les dipôles i et j sont séparés d'une distance grande devant leur extension spatiale l, cette énergie doit concorder avec Eijdip. Cette propriété va nous permettre d'établir un lien quantitatif entre ces deux descriptions. Nous allons donner une valeur à la charge q, qui est pour le moment arbitraire. Pour faire ce lien quantitatif, considérons deux dipôles orientés dans le même sens selon l'axe uy, séparés d'une distance r =rux (cf. g. 2.15c). Pour des

+

-

l +q -q

+

-

+

-+

-+

-

l a) b) c)

Figure 2.15 a) Représentation du champ rayonné par un dipôle de charges±qdistantes de l. À grande distance, les lignes de champ s'apparentent à celles obtenues par l'approximation de dipôle ponctuel. b) L'interaction entre deux dipôles est la somme des quatre interactions coulombiennes Ei1j1, Ei1j2, Ei2j1, Ei2j2. Les charges positives et négatives sont respectivement étiquetées 1 et 2. c) Schéma des deux dipôles colinéaires utilisés pour le calcul des chargesq. raisons de symétrie, nous avons Ei1j1 =Ei2j2 et Ei1j2 =Ei2j1. L'énergie totale s'exprime :

Eijq = 2q 2 r  1− q 1 1 + rl2  

Si r l, le développement limité de Eijq au premier ordre permet d'en obtenir une forme simpliée :

Eijq = q

2l2

r3 si rl

L'énergie d'interaction Edip entre deux dipôles ponctuels dans la conguration de la gure

2.15c peut être calculée à partir de l'équation (2.14). Elle s'exprime, ∀r :

Eijdip = µ 2

r3

Pour rl, Eijq =Eijdip donc la valeur de la charge magnétique q s'exprime : q= µ

l

La charge magnétique s'apparente donc à un moment magnétique par unité de longueur. La gure2.16a représente l'énergie d'interaction entre deux dipôles de charges colinéaires Eijq, en fonction de leur positions relativesr. La situation est la même que celle représentée en

gure 2.14c. La longueur des dipôles (distance entre les charges) a été xée à 500 nm, ce qui

correspond à la longueur des aimants expérimentaux. Ce graphe montre que Eijq s'écarte de Eijdip (cf. g.2.14a) à mesure que les dipôles se rapprochent (faibles distancesrij). Le modèle de charges devrait, dans cette région, orir une estimation du couplage entre nanoaimants plus dèle aux simulations micromagnétiques. Pour vérier cela, comparons les interactions Eijdip et Eijq avec les couplages Eij issus de simulations micromagnétiques, faites dans les mêmes conditions.

La gure 2.16b représente la diérence Eij −Eijdip en fonction des positions relatives des nanoaimants. À grande distance rij, elle est proche de zéro. Cela signie que les couplages

x (µm) x (µm) x (µm) (J) (J) (J) a) b) c) y (µ m )

Figure 2.16 a) Énergie d'interaction entre deux dipôles de charges colinéaires (séparées de 500 nm) en fonction de leurs positions respectives. Des diérences notables par rapport au cas du dipôle ponctuel sont visibles au voisinage des charges. b) Diérence d'énergie Eij −Eijdip en fonction des positions relatives des nanoaimants. Dans le rectangle blanc central, les couplages micromagnétiques ne peuvent pas être calculés car les aimants entrent en contact. Pour donner une échelle, un nanoaimant est représenté à l'origine. c) Même type de graphe, représentant cette fois Eij −Eijq. Le modèle de charges est une meilleure approximation au voisinage de l'aimant.

micromagnétiques sont bien approchés par la description en termes de dipôles ponctuels. Au voisinage de l'aimant (rij < L), des écarts très importants apparaissent. Le même comporte-ment se retrouve dans le modèle de charges (cf. g.2.14b). Cependant, les diérencesEij−Eijq observées sont plus faibles d'un ordre de grandeur par rapport au cas précédent. Cela montre qu'une modélisation en termes de charges magnétiques ore une meilleure approximation que le dipôle ponctuel pour décrire un aimant réel.

2.3.3 Distribution de Boltzmann

À partir des quatre niveaux d'énergie des vertex, calculés micromagnétiquement ou grâce aux modèles simpliés évoqués précédemment, il est possible d'estimer de façon simple le comportement en température d'un réseau. Le modèle de glace carrée peut être décrit comme un système à quatre niveauxEi avec une dégénérescencegi. En postulant que les populations de vertex ρi suivent une distribution canonique, nous avons :

ρi = gi

Z exp−βEi

oùβ =kBT représente le facteur de Boltzmann, etZ la fonction de partition. Elle s'exprime : Z =

4

X

i=1

giexp−βEi

Pour un quadruplet donné de niveauxEi, il est possible d'observer la variation en température des populations. Rappelons que la dégénérescence gi vaut respectivement 2, 4, 8 et 2 pour les vertex T1, T2, T3 et T4. Les distributions obtenues pour diérents couplages J1 et J2 apparaissent en gure 2.17.

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 0.1 1 10 100 T1 T2 T3 T4 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 0.1 1 10 100 T1 T2 T3 T4 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 0.1 1 10 100 T1 T2 T3 T4 a) b) c)

Figure 2.17 Variation des populations de vertexρi en fonction de la température, obtenues par une distribution de Boltzmann dans trois cas : a) J1 =2, J2 = 1 b) J1 = 1, J2 = 1 et c) J1 = 1,J2 = 2. Les couplages sont rapportés à la constante de Boltzmann

À basse température, le cas J1 > J2 s'ordonne avec ρ1 = 1. Il s'agit de l'état AF observé dans la glace carrée articielle. PourJ1 =J2, à basse température les populations s'équilibrent àρ1 = 13 etρ2 = 23. Ces proportions sont dictées par les dégénérescences respectives des vertex. Ce cas correspondrait au modèle de Lieb. Pour J1 < J2, l'état fondamental est maintenant à ρ2 = 1. À haute température, les trois cas convergent vers les populations ρ1 = 182 = 14, ρ3 = 12 et ρ4 = 18. Cela correspondrait à une phase paramagnétique dans laquelle les spins sont décorrélés.

La simplicité de ce modèle s'obtient au prix d'une approximation conséquente : la connec-tivité des vertex est complètement négligée. Il s'agit d'un modèle de vertex indépendants. De plus, les barrières d'énergie individuelles, intrinsèques aux nanoaimants, ne sont pas prises en compte. Malgré ces défauts, nous utiliserons cet outil au chapitre suivant pour interpréter nos résultats. Les énergies Ei seront dans ce cas extraites des simulations micromagnétiques. Conclusion Dans cette section, nous avons expliqué plusieurs niveaux de modélisation des nanoaimants et discuté de leur précision. Il s'agit d'objets micromagnétiques complexes, loin du cas simple d'un macrospin. Grâce à l'introduction d'une anisotropie uniaxiale contrôlée géométriquement, il est possible de faire d'un nanoaimant un système bistable. À l'équilibre, l'objet est alors semblable à un pseudospin Ising. Il est possible d'obtenir une forme simpliée des interactions entre nanoaimants grâce aux modèles du dipôle ponctuel ou des charges magnétiques. Ce dernier est plus précis car il décrit la longueur des aimants. Thonig et al. ont présenté une approche intermédiaire. Ils modélisent la forme tridimensionnelle des aimants, mais les considèrent comme uniformément aimantés [100]. La précision de cette méthode est certainement supérieure à celle du modèle de charges.

À partir de la valeur des interactions entre spins ou de l'énergie micromagnétique des vertex, une distribution de Boltzmann peut donner une estimation du comportement en température du réseau. Dans la section suivante, nous allons nous placer dans le modèle du dipôle ponctuel pour traiter le problème du réseau carré. Nous allons étudier son paysage en énergie dans l'espace réciproque, dans le but de comprendre comment les interactions inuencent son état fondamental.