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III.3 Supports anatomiques de la modulation du traitement contextuel et modèle

III.3.4 Modèles internes du mouvement volontaire

Enfin, décrit un peu à part puisqu’il ne s’agit pas d’un mécanisme de modulation mais d’un modèle explicatif, nous souhaitons ici présenter les éléments de la littérature qui soutiennent l’existence de modèles internes du mouvement. Cependant, nous verrons que si ses fondements sont appuyés sur une littérature solide, ce modèle ne comporte pas moins des limites dans son potentiel explicatif de certaines données expérimentales.

Le postulat de l’existence de modèles internes du mouvement trouve son origine dans des études qui montrent que le système nerveux central est en mesure de réaliser des prédictions de la conséquence sensorielle des mouvements volontaires. Plus précisément, il a été suggéré et montré que lorsque nous réalisons un mouvement volontaire, c’est-à-dire que nous envoyons une commande motrice en direction des effecteurs musculaires, une copie de cette commande motrice est générée et utilisée pour prédire les conséquences sensorielles du mouvement qui va être exécuté. Il s’agit de la « copie d’efférence » de la commande motrice (Von Holts et Middelstaedt, 1950; Helmholtz, 1867; Kelso et al., 1977; Wolpert et al., 1995; Wolpert et Miall, 1996; Blakemore et al., 1999). Autrement dit, grâce à cette copie d’efférence, le système serait en mesure d’anticiper les retours sensoriels liés au mouvement. L’utilisation de cette copie d’efférence dans la prédiction des conséquences sensorielles du mouvement a été désignée par le terme de « modèle interne direct » du mouvement (le « modèle inverse » faisant référence à l’estimation de la commande motrice envoyée, à partir de l’état courant du système et du mouvement désiré). Pour ne pas être saturé d’informations sensorielles afférentes inutiles, le système nerveux central comparerait alors les prédictions sensorielles avec les retours sensoriels effectifs et supprimerait la part de ces retours effectifs qui serait redondante avec les prédictions effectuées. Ce système de suppression permettrait ainsi de faire « saillir » les

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informations importantes, c’est-à-dire non prédites, afin de permettre une capture attentionnelle ou une correction du mouvement. En effet, les retours sensoriels non prédits ne seraient pas supprimés et constitueraient un message sensoriel afférent (‘exafference’) qui serait ainsi traité au niveau de différentes structures cérébrales (Figure III.13).

Il a été proposé que ce modèle interne direct soit utilisé dans l’intégration sensorimotrice (Wolpert et al., 1995). Ces auteurs ont en effet montré que le système nerveux central combinait l’utilisation des afférences somatosensorielles, mais aussi des prédictions faites à partir des informations contenues dans la commande motrice, pour estimer la localisation spatiale du bras dans l’espace.

Figure III.13 : Schéma simplifié du principe de réafférence développé par Von Holst et Mittelstaedt.

L’exécution d’un mouvement entraîne l’envoi parallèle d’une copie d’efférence qui va permettre l’élaboration d’une prédiction du retour sensoriel lié au mouvement. La comparaison de cette prédiction avec le retour sensoriel effectif lié au mouvement, va permettre l’annulation de la partie du ce retour qui est conforme à la prédiction, et générer ainsi un retour sensoriel « résiduel » ou exaférence. Adapté de Angelaki et al., 2008.

Ce n’est qu’un peu plus tard, que l’existence de modèles internes du mouvement a été rapprochée d’études qui ont montré que l’exécution de mouvements volontaires induisait une diminution du traitement de l’information somatosensorielle (voir section III.2.2). Cette diminution paraissait en effet contre intuitive au premier abord. En effet, d’un point de vue écologique, il peut sembler contradictoire de diminuer le traitement des informations somatosensorielles issues du membre mobilisé puisqu’elles peuvent permettre un meilleur contrôle des mouvements de ce membre. L’ « annulation » des réafférences sensorielles prédites par la copie d’efférence pourrait ainsi être à l’origine de cette diminution du traitement

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des informations somatosensorielles. Par exemple, Blakemore et al. (1998) ont montré dans une étude en IRMf que le cortex somatosensoriel présentait une activité supérieure lors de stimulations tactiles non prédites que lorsque les mêmes stimulations pouvaient être temporellement et spatialement prédites lors de la production de mouvements volontaires. De même, Blakemore et al. (1999) ont repris l’observation rapportée par Claxton (1975) que la sensation de chatouillement est plus efficace quand elle est produite par quelqu’un d’autre que par même. Blakemore et al. (1999) ont ainsi postulé que la difficulté de se chatouiller soi-même était la conséquence de l’annulation de l’afférence sensorielle par la prédiction générée à partir de la commande motrice du mouvement de chatouillement. Ainsi, le système de suppression que nous venons de présenter plus haut permettrait d’expliquer la diminution du traitement des informations somatosensorielles durant le mouvement.

Il est à noter que parallèlement, un certain nombre d’études ont montré que l’aire motrice supplémentaire serait un bon candidat pour être le générateur de la copie d’efférence que nous venons de présenter (Wasaka et al., 2003; Haggard et Whitford, 2004; Sumner et al., 2007).

Mais ce modèle nous l’avons dit, appuyé sur une littérature solide, n’est probablement que partiel dans l’explication de la diminution du traitement des afférences sensorielles lors de l’exécution de mouvements volontaires, puisqu’il rencontre au moins deux limites principales. Une première limite réside dans le fait que des études ont montré que le traitement de certaines informations somatosensorielles, lorsqu’elles étaient utiles dans un contexte donné, n’était pas diminué et était parfois même facilité au cours des phases de planification ou d’exécution du mouvement (e.g., Kida et al., 2006; Cybulska-Closowicz et al., 2011; Saradjian et al., 2013; Staines et al., 2002, voir la section III.2.2). Il se trouve donc que, même prédites, « l’annulation » des informations somatosensorielles afférentes n’a pas lieu dans tous les cas. De plus, il a été mis en évidence que des stimulations tactiles non prédites, puisque déclenchées par l’expérimentateur, étaient tout de même atténuées lors de l’exécution de mouvements volontaires (Coquery et al. 1971; Garland and Angel 1974; Dyhre-Poulson 1978; Angel and Malenka 1982; Chapman et al., 1987; voir supra). Une deuxième limite, se situe dans la preuve que l’information sensorielle est déjà en partie modulée en périphérie, au niveau des capteurs et des voies ascendantes périphériques, en fonction de son utilité contextuelle (Jones et al., 2001; Dimitriou, 2016). Ces résultats démontrent que la « confrontation » des retours sensoriels avec la prédiction n’est pas indispensable à l’établissement de phénomènes modulatoires des

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informations sensorielles. Ainsi, et pour le moins dans certains cas, le traitement des informations sensorielles pourrait se faire plus en fonction de la pertinence contextuelle que de la prédiction sensorielle. De manière générale, ces considérations laissent supposer qu’il existe plusieurs mécanismes responsables de modulations du traitement des informations