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V.1.1 Dispositif expérimental: miroir et dispositif informatique

Comme évoqué plus haut, il existe différentes manières d’induire une situation d’incongruence entre les informations visuelles et somatosensorielles. Nous en avons utilisé deux différentes pour les avantages respectifs qu’elles présentaient.

V.1.1.1 Tâche de dessin en miroir

Nous avons réalisé notre première étude en utilisant la « tâche du dessin en miroir ». A cette fin, nous avons disposé un miroir rond à 45° sur la gauche des participants, qui reflétait la région de la tablette sur laquelle ils réalisaient leurs tracés manuels (Figure V.1A). Un panneau empêchait toute vision directe de la main. L’angle de 45° a été choisi pour la difficulté qu’il entraîne dans le contrôle du mouvement. En effet, cet angle implique un éloignement maximum d’une simple inversion du champ visuel. Une simple inversion se produit lorsque l’on place le miroir face aux participants (inversion avant/arrière) ou strictement sur le côté (inversion droite/gauche). L’angle à 45° permet ainsi de combiner ces deux inversions et d’augmenter la force de l’incongruence, avec laquelle il est par conséquent plus difficile de contrôler ses

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mouvements et de s’adapter. Cette situation est ainsi la plus à même de maximiser la mise en jeu des mécanismes de pondérations sensorielles que nous souhaitons étudier. De plus, cet angle d’incongruence ne correspond pas à l’angle « familier » rencontré dans l’usage quotidien des miroirs (salle de bain,…). Ce constat a toute son importance puisqu’il a été montré que les acquisitions motrices en incongruence étaient peu ou pas transférables d’une situation à une autre qui lui serait différente (Ghez et al., 2000; Thoroughman et Shadmehr, 2000).

Figure V.1: Dispositifs utilisés dans nos protocoles expérimentaux (A) Tâche de dessin en miroir

(étude N°1). (B) Dispositif informatique (études N°2 et 3). (A) Adapté de Lebar et al., 2015, (B) adapté de Lebar et al., soumis.

L’utilisation du miroir dans la constitution d’une situation d’incongruence visuo-somatosensorielle a pour principal avantage de conserver la vision de la « vraie » main des participants. Il a été montré que la vision de la main permettait de maximiser la force de l’incongruence (e.g., Clower et Boussaoud, 2000). Il est également à souligner que la vision en miroir induit une vision allocentrée de la main, puisque cette main est alors perçue selon un angle de vue extérieur à celui qui la regarde. De plus, il se produit une inversion dans la perception de la latéralité de l’effecteur puisqu’une main droite qui dessine (pouce à gauche et 5ème doigt à droite) est alors perçue comme une main gauche (pouce à droite et 5ème doigt à gauche). Enfin notons que pour être performants dans une tâche de suivi de contours d’une forme avec vision de la main dans un miroir, les participants doivent produire le même mouvement (la même commande motrice) en présence ou en l’absence du miroir : il s’agit

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« simplement » de suivre les contours d’une forme invariante, seul l’angle de vision de cette forme (et de la main) est modifié.

V.1.1.2 Dispositif informatique

Dans nos deuxième et troisième études, nous avons également induit des situations d’incongruence par l’intermédiaire d’un dispositif informatique. Dans ce dispositif, les participants ne voyaient pas leur main, mais un curseur sur un écran qu’ils contrôlaient avec leur main. Les stimuli visuels (incluant le curseur) étaient présentés grâce à un système étagé (Figure V.1B). Pour cela, l’écran qui contenait la forme à suivre et le curseur était disposé horizontalement, en haut du système étagé, et projetait les stimuli visuels vers le bas. Ceux-ci se reflétaient à l’étage intermédiaire sur une vitre opaque dans laquelle le sujet regardait. A l’étage inférieur, se situait la tablette graphique sur laquelle les sujets réalisaient leurs mouvements manuels. Il est important de souligner que la vitre (étage intermédiaire) se situait à égale distance de l’écran (étage supérieur) et de la tablette graphique et de la main (étage inférieur). De cette manière, malgré l’absence de vision de la main, les stimuli visuels qui se reflétaient au niveau de la vitre étaient perçus comme étant au même niveau que cette main. Cette disposition a toute son importance puisqu’elle permettait de conserver l’alignement spatial entre la vision du curseur et la somesthésie de la main. L’enregistrement du déplacement de la pointe du stylet était utilisé pour déplacer le curseur reflété au niveau de la vitre opaque. La situation d’incongruence a été induite en introduisant un angle de 120° entre les mouvements de la main et ceux du curseur. Dans ce cas, pour être performants, c’est-à-dire pour parvenir à suivre les contours d’une forme projetée sur l’écran, les participants devaient modifier leur mouvement (leur commande motrice) pour que le curseur reste sur le contour, par rapport à une situation où aucun angle n’était introduit entre le mouvement du curseur et celui de la main. L’angle de 120° a également été choisi suite à une expérience pilote pour maximiser la difficulté qu’il induisait dans le contrôle du mouvement. Ce dispositif expérimental informatique a pour avantage de permettre de contrôler parfaitement l’angle de l’incongruence, ainsi que le moment précis de son apparition. Il est à ce titre indispensable pour étudier la dynamique des phénomènes de pondérations sensorielles liés à l’apparition de l’incongruence. Ces paramètres de présentation des stimuli étaient gérés par un programme Matlab réalisé au sein du laboratoire.

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V.1.2 Enregistrement

Bien qu’avec certaines variantes, les tâches que nous avons employées dans nos protocoles expérimentaux consistaient toutes en la production de mouvements manuels situés dans un plan horizontal. Il s’agissait en effet de suivre manuellement les contours d’un polygone irrégulier. Afin d’enregistrer ces mouvements, nous avons utilisé une tablette graphique et un stylet magnétique. Ce dispositif nous permettait ainsi de recueillir les coordonnées spatiales en x et en y des déplacements effectués par les participants, à une fréquence comprise entre 100 Hz (Wacom, PL2200) et 160 Hz (Wacom, Intuos 4) en fonction de la tablette utilisée. Cette fréquence d’échantillonnage était, nous le verrons, largement suffisante du fait que les mouvements réalisés étaient effectués à vitesse lente.

V.1.2 Analyse des données comportementales

Nous avons utilisé deux indices afin d’évaluer la performance des participants: un indice d’erreur de distance, et un indice d’erreur radial. Ces deux indices sont complémentaires.

L’indice d’erreur de distance est un ratio calculé entre la distance parcourue par le stylet au cours d’un essai (du point de départ jusqu’au dernier point tracé) et la distance qu’il aurait théoriquement dû parcourir s’il avait suivi « parfaitement » le contour de la forme (entre le point de départ et le dernier point du contour qu’il est parvenu à atteindre). Cet indice, s’il permet de se faire une bonne idée de la performance des participants, n’est pas sensible aux éventuels « raccourcis » que ceux-ci pourraient prendre, notamment au moment du passage des angles de la forme dont ils devaient suivre les contours. Pour compléter nos analyses et pallier ainsi à ce problème, nous avons également calculé un indice d’erreur radial.

L’indice d’erreur radial est une évaluation de la distance moyenne de l’écart de chacun des points tracés par les participants avec le point le plus proche situé sur la forme à tracer. Autrement dit, il correspond au calcul de l’aire en valeur absolue comprise entre le tracé des participants et la forme dont ils devaient suivre les contours. De cette manière, les erreurs de tracés contenues dans les « raccourcis » étaient reflétées au niveau de cet indice. En revanche si les participants suivaient la forme de façon légèrement décalée (e.g., le stylet situé 2mm à côté du trait à suivre), alors ce ratio faisait état d’une performance relativement mauvaise, alors même que les participants étaient relativement performants en ce qui concerne la fluidité de leurs mouvements et le choix des directions à prendre. L’indice d’erreur de distance présenté

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au paragraphe précédent n’est en revanche pas sensible à ces décalages et permet ainsi de compléter l’analyse de la performance.