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II.3 Pondération sensorielle en situation d’incongruence entre vision et somesthésie

II.3.2 Cortex sensoriels et afférences périphériques

II.3.2.1 Etudes en potentiels évoqués

Bernier et al. (2009) se sont penchés sur les mécanismes de pondération des informations somatosensorielles lors de la réalisation de mouvements volontaires visuoguidés en situation d’incongruence, et durant différentes phases de l’adaptation à cette incongruence. Dans une étude en EEG, les auteurs ont observé que l’amplitude des potentiels évoqués par la stimulation électrique du nerf médian de la main en mouvement (P27) diminuait au niveau du cortex somatosensoriel du fait du mouvement volontaire (reproduisant les résultats classiquement obtenus en potentiel évoqués, voir la section III.2.2). Les auteurs ont également mis en évidence que la P27 présentait une réduction d’amplitude supplémentaire lorsque le mouvement était effectué en situation d’incongruence dans une tâche de dessin en miroir. De manière intéressante, cette amplitude ré-augmentait ensuite progressivement au fur et à mesure que les participants s’adaptaient à la situation d’incongruence, jusqu’à retrouver un niveau basal

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comparable à la situation contrôle (Figure II.6). Les auteurs ont ainsi suggéré que le cerveau était en mesure de réduire le niveau de traitement de l’information somatosensorielle dans le but de diminuer la « force » de l’incongruence et de faciliter le contrôle visuel du mouvement.

Figure II.6 : Evolution de l’amplitude de la P27 et de la performance lors d’une tâche de suivi de contour d’une forme dans un miroir. Chacun des 12 essais était d’une durée de 160s.

(A) La performance des participants est altérée lors des premiers essais en miroir (m1-3) puis s’améliore avec la pratique puisque l’indice d’erreur décroit progressivement. (B) Potentiels évoqués par la stimulation du nerf médian en situation de congruence (normal), puis lors des premiers essais en incongruence (m 1-3), et après adaptation (m 10-12). (C) Amplitude moyenne de la P27 (% par rapport à la condition statique) lors de mouvements en situation de vision normale, suivi d’une diminution de cette amplitude en début d’adaptation puis d’une augmentation progressive de cette amplitude au fur et à mesure de l’adaptation (m 4-6, m 7-9, m 10-12). Adapté de Bernier et al., 2009.

Parallèlement, dans une étude en magnétoencéphalographie (MEG) avec stimulation du nerf médian, Wasaka et Kakigi (2012) ont obtenu des résultats différents mais potentiellement complémentaires de ceux présentés par Bernier et al. (2009). Les auteurs ont en effet demandé aux participants de réaliser des mouvements de flexions/extensions d’un pouce alors que leurs deux mains étaient placées la paume tournée face devant eux. Dans une condition « incongruente », les participants réalisaient ces mêmes mouvements alors qu’un miroir était positionné entre leurs deux mains de façon à refléter la main immobile et à cacher la main en mouvement. De cette manière, le mouvement produit était masqué par le reflet de la main immobile, induisant une incongruence visuo-somatosensorielle (Figure II.7). Le nerf médian de la main immobile des participants était stimulé (stimulations électriques) et les potentiels évoqués somatosensoriels étaient recueillis au niveau des régions sensorimotrices bilatérales.

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Les auteurs ont ainsi montré que cette situation d’incongruence visuo-somatosensorielle induisait une augmentation de l’activité au niveau de SII (composantes présentes à 80 ms et 140 ms post-stimulus) ainsi qu’une diminution de l’activité enregistrée au niveau du cortex pariétal antérieur, juste postérieurement à SI (composantes présentes à 105 ms post-stimulus). Les auteurs restent prudents quant à l’interprétation de leurs résultats, et ont suggéré que l’augmentation de l’activité en SII pourrait refléter une augmentation de l’activité corticale liée aux mécanismes d’intégration des informations somatosensorielles et visuelles. Ils ont également souligné la possibilité que cette variation de l’activité au niveau de SII puisse être le résultat d’un effet attentionnel. La diminution d’activité localisée postérieurement à SI pourrait corroborer l’interprétation de Bernier et al. (2009) d’une diminution du traitement des informations somatosensorielles, ici non pas en SI, mais projetées à partir de SI en direction des régions pariétales postérieures dont nous avons présenté l’importance dans les phénomènes d’intégration multisensorielle.

Figure II.7 : Protocole expérimental d’incongruence avec miroir placé entre les deux mains. Dans ce protocole expérimental, un miroir était placé de manière à refléter la main immobile et à masquer la main en mouvement, créant une situation d’incongruence lors de la réalisation de mouvement de la main masquée. Adapté de Wasaka et Kakigi, 2012.

Concernant la modalité visuelle, à notre connaissance une seule étude, très récente, pointe l’existence de modulations au niveau du cortex visuel primaire en situation d’incongruence. En effet, dans une étude en potentiels évoqués (‘steady states evoked potentials’ à 15 Hz), Reuter et al. (2015) ont demandé aux participants de maintenir un curseur (disque) à l’intérieur d’un anneau en déplacement sur un écran. Le mouvement du curseur était contrôlé par l’intermédiaire d’une tablette graphique, et un angle de 60° et de 120° entre les mouvements de la main et du curseur étaient introduits dans deux conditions de difficultés différentes (un angle de 120° représentant un niveau de difficulté supérieur). Les auteurs ont mis en évidence

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qu’après un certain temps d’adaptation, l’amplitude des potentiels évoqués visuels étaient diminués pour la condition la plus facile (60°) et non pour la condition la plus difficile (120°) au niveau des aires visuelles primaires (voir figure II.8). Les auteurs proposent que cette diminution d’amplitude soit le reflet d’une diminution des processus attentionnels visuels engagés dans l’utilisation des informations visuelles pour contrôler les mouvements en fonction du niveau d’adaptation.

Figure II.8 : Réduction de l’amplitude des potentiels évoqués visuels en fonction du niveau d’adaptation à la situation d’incongruence. Les participants devaient

contrôler le mouvement d’un curseur sur un écran. Des angles de 60° (facile, en gris) et de 120° (difficile, en noir) étaient alternativement introduits en fonction des essais entre le mouvement de la main et celui du curseur. En début d’adaptation (block 1-3), aucune différence n’a été rapportée entre l’amplitude des potentiels évoqués dans les deux situations au niveau des aires visuelles primaires. En revanche, après 10 blocks d’adaptation (chaque block durait 30s), l’amplitude des potentiels évoqués étaient réduite pour la condition d’adaptation facile. Adapté de Reuter et al., 2015.