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II.3 Pondération sensorielle en situation d’incongruence entre vision et somesthésie

II.3.2 Cortex sensoriels et afférences périphériques

II.3.2.4 Analyse fréquentielle des cortex sensoriels en situation d’incongruence 63

Quelques auteurs se sont penchés sur l’analyse fréquentielle de l’activité induite par la situation des situations d’incongruence au niveau des cortex sensoriels. Dans une étude en EEG, Krebber et al. (2015) ont montré que lorsque les informations tactiles et visuelles étaient congruentes, la puissance de la bande de fréquence gamma (50-80 Hz) augmentait au niveau du cortex visuel et du cortex somatosensoriel controlatéral à la stimulation tactile, comparées à la condition où les stimulations étaient incongruentes (Figure II.10). Les auteurs ont interprété cette augmentation gamma comme étant le reflet d’une augmentation des processus d’intégration au niveau des régions sensorielles. Parallèlement, Gleiss et Kayser (2014) ont mis en évidence que l’incongruence entre des stimuli auditifs et visuels était accompagnée par une réduction de la puissance alpha au niveau des cortex sensoriels respectifs. Cette réduction de la puissance alpha est classiquement interprétée comme une augmentation de l’activité corticale, et a été associée ici par les auteurs à une augmentation des activités visuelles et auditives dans le but de faciliter le traitement de stimuli sensoriels incongruents. Nous développerons une explication plus générale sur les bandes de fréquences en EEG plus loin (section III.7), ainsi qu’une explication technique dans le chapitre méthodologie (chapitre V). En effet, au cours de nos travaux, différentes bandes de fréquences de l’activité cérébrale ont retenu notre attention puisqu’il semble qu’elles soient porteuses d’informations sur l’état de l’activité corticale, et notamment sur le traitement des informations sensorielles. A notre connaissance, seulement très peu d’études ont rapporté des modulations de ces bandes de fréquences durant le contrôle du mouvement en situation d’incongruence visuo-somatosensorielle.

64 Figure II.10 : Activité Gamma et incongruence visuo-tactile. La congruence des stimulations visuelles et tactiles était accompagnée d’une augmentation de la puissance dans la bande de fréquence Gamma (50-80 Hz) au niveau du cortex somatosensoriel controlatéral à la stimulation (colonne de droite) et du cortex visuel (colonne de gauche) comparé à lorsque ces mêmes stimulations étaient incongruentes. Adapté de Krebber et al., 2015.

II.3.3 Cortex pariétal postérieur (CPP) et autres régions corticales

Un certain nombre d’études se sont penchées sur les corrélats neuronaux de l’adaptation à une situation d’incongruence entre les informations visuelles et somatosensorielles, en investiguant plus spécifiquement le CPP, impliqué dans les représentations spatiales des éléments contenus au sein de l’espace péri-personnel (voir section II.1) et plus généralement dans les phénomènes d’intégration multisensorielle. Une partie de ces investigations ont été réalisées au moyen des techniques d’imageries en IRMf (Clower et al., 1996; Graydon et al., 2005; Seidler et Noll, 2008; Limanowski et Blankenburg, 2016). En l’occurrence, Clower et al. (1996) ont démontré que l’activité du CPP était augmentée lorsque les participants étaient en situation d’incongruence entre vision et somesthésie (port de lunettes prismatiques) et tentaient d’améliorer la précision de leurs mouvements de pointage en direction d’une cible visuelle.

De manière intéressante, Graydon et al. (2005) ont proposé aux participants de leur étude d’atteindre une cible visuelle avec un curseur sur un écran, le mouvement du curseur étant contrôlé par un joystick. Le mouvement du curseur était retranscrit sur l’écran avec un angle de 90° par rapport au mouvement exécuté par la main par l’intermédiaire du joystick. Les auteurs

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ont montré que l’amélioration de la performance (augmentation progressive de la précision à la cible) était corrélée avec une diminution progressive du signal BOLD bilatéralement au niveau du CPP inférieur, ainsi qu’au niveau du CPP supérieur controlatéral à la main en mouvement. Ils ont également démontré que le CPP était inclus dans un réseau plus vaste qui était engagé dans l’adaptation visuomotrice et qui comprenait les cortex temporaux et occipitaux, ainsi que les ganglions de la base, le thalamus et le cervelet. Dans une tâche d’adaptation comparable, Inoue et al. (1997) ont également montré que le flux sanguin cérébral local (Régional cerebral blood flow – rCBF) était augmenté au niveau du CPP en début d’apprentissage, puis que ce paramètre diminuait lorsque les participants étaient adaptés aux nouvelles exigences de l’environnement. Ces résultats sont cohérents avec ceux rapportés par Gentili et al. (2011) qui ont montré que les participants présentaient un niveau de puissance alpha (9-13 hz) au niveau du cortex temporal gauche et du CPP qui était positivement corrélé avec leur niveau d’adaptation visuomotrice. Un niveau élevé de puissance alpha est classiquement interprété comme étant le reflet d’un cortex cérébral au repos. De plus, les auteurs ont observé une augmentation comparable de l’activité alpha et thêta (6-7 Hz) au niveau du cortex frontal antérieur. Ainsi, l’augmentation progressive de la puissance alpha au niveau de ces régions corticales avec l’amélioration de la performance semble refléter l’acquisition progressive de mécanismes d’adaptation à la situation d’incongruence (Voir aussi Gentili et al., 2008). Prises ensemble, ces études supportent ainsi l’idée que l’activité du CPP reflète une diminution progressive des différents mécanismes d’adaptation mis en jeu lors d’une exposition active et prolongée à une situation d’incongruence visuo-somatosensorielle. De plus, le CPP semble en réalité compris dans un plus vaste réseau de régions corticales engagées dans l’adaptation à la situation d’incongruence.

L’étude de Della-Maggiore et al. (2005) supporte cette idée de l’existence de réseaux distribués de neurones impliqués dans l’adaptation sensorimotrice. En effet, dans une étude en IRMf, les auteurs ont démontré que le stade précoce d’adaptation à une incongruence visuo-somatosensorielle était accompagné d’une augmentation de l’activité au niveau des régions impliquées dans l’attention et le traitement visuel des mouvements comme le cortex préfrontal, le mur postérieur du gyrus précentral et la région homologue chez l’Homme à l’aire MT chez le singe. Ils ont de plus mis en évidence que l’amélioration de la performance motrice au cours de l’adaptation (une semaine d’exposition) était accompagnée d’une diminution de l’activité au niveau de ces régions, et d’une augmentation de l’activité au niveau de régions motrices comme

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le cortex sensorimoteur controlatéral à la main en mouvement, les cortex cingulaires contra-latéraux, le cervelet, le putamen droit, ainsi que des régions non motrices comme le gyrus temporal médian. Chacun de ces réseaux fonctionnels (attentionnels et moteurs) semble ainsi être impliqué dans le contrôle du mouvement volontaire à différents stades de l’adaptation à une situation d’incongruence. Ces résultats supportent l’idée que l’adaptation à la situation d’incongruence visuo-somatosensorielle soit supportée par un large réseau cortical dont les régions qui le composent sont différemment engagées en fonction des phases d’adaptation (voir aussi Della-Maggiore et al., 2015, pour une revue).

Ainsi, l’ensemble des études que nous avons présentées ne permet pas d’aboutir à une vision d’ensemble cohérente sur les phénomènes de modulations des informations visuelles et somatosensorielles en situation d’incongruence. C’est ce constat qui nous a poussés à entreprendre les travaux que nous allons présenter plus loin dans ce document.

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Chapitre III : Modulations contextuelles du traitement des

informations visuelles et somatosensorielles

« […], it is not the stimulus itself that is important, but the context with which this stimulus is interpreted ».

Staines, Neuport 2000

Il existe dans la littérature un nombre croissant d’études qui démontrent l’influence fondamentale du contexte sur le déroulement de processus cognitifs divers, et notamment dans le traitement des informations issues de nos sens (e.g., Todorov et Jordan, 2002; Ernst et al., 2002). En particulier, il semble que le contexte soit en mesure de faire varier l’utilité (ou la pertinence) d’un stimulus sensoriel donné. Cette variation contextuelle du niveau d’utilité d’un stimulus est alors reflétée par une variation concomitante et spécifique de l’activité cérébrale allouée au traitement de ce stimulus. Cette conception est appuyée par un certain nombre d’études comportementales, neurophysiologiques et d’imagerie cérébrale sur lesquelles nous allons nous pencher dans les paragraphes suivants, en nous concentrant sur les modalités visuelles et somatosensorielles qui sont au centre de ce présent travail de thèse.