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II.2 Incongruence entre vision et proprioception comme méthode d'investigation des

II.2.2 Adaptation comportementale à la situation d’incongruence entre vision et

Comme évoqué précédemment, l’exposition à une incongruence entre la vision et les informations somatosensorielles présente l’avantage de permettre une adaptation

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relativement rapide aux nouvelles conditions (Figure II.3). Ainsi, après un temps d’adaptation active, la performance des participants s’améliore et peut atteindre des performances comparables à une situation sans incongruence (Wolpert et Miall 1996; Krakauer et al. 2000; Imamizu et al., 2000; Tong and Flanagan 2003; Tseng et al. 2007; Anguera et al., 2007; Kluzik et al., 2008; Seidler et Noll, 2008; Bernier et al., 2009). Nous entendons ici par « adaptation active » la réalisation de mouvements volontaires en situation d’incongruence. Nous allons nous pencher ici sur les conceptions théoriques issues d’études comportementales qui sont à même d’expliquer ces phénomènes d’adaptation.

La littérature montre que, sur le plan de la performance motrice, l’adaptation à une situation d’incongruence entre la vision et la somesthésie se traduit classiquement par un certain nombre de phases comportementales qui sont aujourd’hui relativement bien comprises et codifiées (Figure II.4). Ces résultats sont en grande partie issus d’études dont les situations expérimentales comportaient le port de lunettes prismatiques à déviation latérale (droite ou gauche), et dont la tâche consistait en des mouvements de pointage en direction de cibles visuelles.

Figure II.3 : Amélioration de la performance avec le temps d’exposition active à l’incongruence.

Les sujets devaient tracer les contours d’une forme géométrique en vision normale (gauche) puis en contrôlant leurs main par l’intermédiaire de son reflet dans un miroir au cours de 12 sessions consécutives de 90s chacune. (A) Exemple de tracé d’un sujet. Avec adaptation puisque la performance lors de la dernière session (Mirror 12) est nettement meilleure que lors de la première (Mirror 1). (B) la performance s’améliore au fur et à mesure de l’exposition active puisque l’indice d’erreur lors des premières sessions (moyennées de 1 à 3 et de 4 à 6) est supérieur à celui observé en vision normale et en fin d’apprentissage. Adapté de Bernier et al., 2009.

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II.2.2.1 Erreurs initiales

Il a été mis en évidence qu’immédiatement après la mise en place de prismes, les mouvements de pointage en direction d’une cible visuelle étaient déviés dans le sens de déviation du prisme. Cet effet est connu sous le nom « d’effet direct » ou « d’erreurs initiales » (Figure II.4). Il a été montré que l’amplitude de cet effet direct dépendait des conditions d’exposition à l’incongruence. Par exemple, l’amplitude de l’erreur initiale est augmentée si l’information visuelle de la main est présente uniquement lors des phases de planification motrice, et absente durant l’exécution même de mouvements de pointage, probablement du fait que l’absence de retour visuel de la main ne permet pas de mettre en place de mécanismes de correction de l’erreur motrice (Hay et al., 1965; Redding et Wallace, 2004a). En revanche, cette erreur initiale est réduite par la présence d’un environnement visuel richement structuré (Rock. et al., 1966), ainsi que lors de la réalisation de mouvements lents (Redding et Wallace, 1996, 1997b), probablement du fait que ces conditions permettent un meilleur contrôle en ligne du mouvement

II.2.2.2 Réduction des erreurs initiales : phénomène d’adaptation

Suite à une exposition plus ou moins prolongée, la performance s’améliore puisque les écarts à la cible se réduisent. Il y a ainsi une réduction progressive de l’erreur initiale du fait de l’expérience acquise. Il a été mis en évidence que la durée nécessaire d’exposition à la situation d’incongruence pour réduire l’amplitude des erreurs de pointage était elle aussi fonction des conditions de l’expérience (e.g., disponibilité de l’information visuelle, complexité des mouvements, amplitude de la déviation prismatique; Redding and Wallace, 1993; Uhlarik and Canon, 1971).

La plupart des protocoles d’adaptation nécessitent pour les participants d’intégrer des changements abrupts et artificiels de l’environnement sensoriel. De manière intéressante, certains auteurs ont étudié l’adaptation lors de situations d’incongruences visuo-somatosensorielles non perçues du fait de déviations faibles de l’environnement visuel, ou de déviations d’intensités croissantes progressives (e.g., Dewar, 1971; Uhlarik, 1973; Howard et al., 1974; Templeton et al., 1974). Ces expositions conduisent à une absence d’erreur initiale. Cependant, les participants s’adaptent tout de même à la situation d’incongruence puisqu’ils présentent des erreurs consécutives (ou post-effet) importantes (voir infra). Dans les situations « non artificielles », ces modifications non-perçues de l’environnement sensoriel sont

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également présentes au quotidien, notamment lors des processus de transformation progressive de l’organisme tout au long de la vie comme par exemple au cours des phases du développement et du vieillissement, ou lors des prises ou pertes de poids. Dans ces cas, et de manière beaucoup plus graduelle, l’ensemble des représentations spatiales issues des différents canaux sensoriels se modifie progressivement, également de manière imperceptible et inconsciente.

Figure II.4 : Les différentes phases de l’adaptation prismatique. Lors des pré-tests, en

l’absence du port de prismes et avant toute exposition à la perturbation de l’environnement visuel, les participants sont normalement capables de pointer en direction d’une cible visuelle. Lors de l’exposition à la vision prismatique, au cours des premières phases de l’adaptation prismatique, les mouvements de pointage des participants sont entachés d’erreurs (dans le sens de déviation du prisme, ici à droite). Assez rapidement cependant, ces erreurs diminuent voire disparaissent du fait de l’adaptation (ou de la compensation). Lors du retrait des lunettes prismatiques, les mouvements de pointage présentent temporairement des écarts à la cible dans le sens inverse de la déviation prismatique (ici à gauche). On parle d’erreurs consécutives. Les rectangles représentent un panneau empêchant le retour visuel de la main lors de l’initiation du mouvement. Adapté de Rode et al., 2015.

II.2.2.3 Adaptation et erreurs consécutives (post-effets)

Après un temps d’exposition variable, il est possible d’évaluer le niveau de l’adaptation par la mesure des erreurs consécutives. En effet, lors du retour à une vision normale, les participants présentent des mouvements de pointage entachés d’erreurs puisqu’ils contiennent des écarts

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à la cible cette fois-ci dans le sens inverse de la déviation des prismes qu’ils portaient (Figure II.4). Ces erreurs consécutives sont interprétées comme étant le reflet de la « véritable » adaptation, c’est-à-dire du réalignement des cartes spatiales des différentes modalités sensorielles : visuelles et somatosensorielles (Redding et Wallace, 2000). Il est à noter que la nature de nos protocoles expérimentaux (alternance de situations congruentes et incongruentes dans les études 2 et 3) ne nous ont pas permis de mesurer ces effets consécutifs.

II.2.3 Mécanismes impliqués dans l’adaptation à la situation d’incongruence entre vision et