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1. Recension de la littérature

1.4 Modèles expérimentaux de la douleur animale

1.4.2 Les différents modèles de douleur

L’un des modèles le plus largement reconnu est celui de la constriction chronique du nerf sciatique, le modèle de Bennett (Bennett et al., 1988). Certains modèles de douleur ont été développés chez les primates (Vierboom et al., 2017), les chiens (Moreau et al., 2014) et chats (Guillot et al., 2013; Guillot et al., 2014), les lapins (Mwale et al., 2011) et d’autres grands mammifères, mais les chercheurs utilisent majoritairement les rongeurs (rats, souris et moindrement le cochon d’inde) comme espèce animale dans leurs études expérimentales. Cependant, l’utilisation d’invertébrés, tel que le poisson zèbre (Gonzalez-Nunez et al., 2009), les mouches à fruits (Drosophila sp.) (Milinkeviciute et al., 2012) et les nématodes (Caenorhabditis elegans) (Way et al., 1989) peuvent être avantageux pour les études sur les mécanismes moléculaires et génétiques de douleur aiguë et chronique. Les souris sont utilisées surtout pour des modèles avec des modifications génétiques résultant en une mutation qui empêche, prévient ou modifie l’expression d’un gène et éventuellement, d’une modification de la fonction d’une protéine cible (Marics et al., 2014).

Chaque organisme confère un avantage distinct pour l’étude de la douleur par exemple, la complexité comportementale du rat permet d’analyser les composantes affectives de la douleur (Johansen et al., 2001) ou l’expression faciale par une échelle de grimace (Sotocinal et al., 2011). Il n’y a pas un organisme qui est meilleur qu’un autre pour l’étude de la douleur, mais c’est plutôt l’utilisation de différents organismes qui a contribué à l’élaboration et l’intégration d’une large gamme de connaissance moléculaire, génétique, cellulaire et comportementale dans des processus normaux ou pathologiques de la douleur dans le SN.

Dans les modèles animaux de la douleur, il y a habituellement le développement d’un comportement nociceptif, de l’hypersensibilité mécanique, de l’hyperalgésie et de l’allodynie primaire et secondaire. Ce sont les modifications de ces paramètres que les chercheurs tentent de quantifier, avec différents outils d’évaluation, de façon subjective et objective, en présence ou non d’un traitement pharmacologique spécifique. Cette mesure de la douleur se doit d’être le plus répétable, reproductible et sensible possible tout en minimisant la variabilité et les biais extérieurs.

1.4.2.1 Modèles expérimentaux de douleur inflammatoire neurogène et articulaire

En plus des dommages directs aux nerfs ou leur dégénérescence, la douleur chronique peut résulter d'une inflammation persistante. Une vaste gamme de médiateurs inflammatoires est libérée après une blessure, conduisant à une sensibilisation périphérique et centrale (Ji et al., 2014).

Les évènements inflammatoires qui en résultent permettent d’aider à la guérison des tissus, mais dans certaines circonstances, l’inflammation aiguë initiale peut persister et se développer en douleur inflammatoire chronique. Les réponses inflammatoires locales sont majoritairement modélisées chez les animaux (Figure 10) par injection intraplantaire d’un irritant chimique, comme le formol (Murray et al., 1988), l’adjuvant complet de Freund (CFA) (Stein et al., 1988) ou la carraghénine (Martin et al., 1984). Chaque irritant chimique produit un temps unique de la réponse nociceptive allant de quelques minutes (e.g., formol) à des semaines (e.g., CFA) et induit à la fois une hyperalgésie et une allodynie thermique et mécanique, permettant des études à court ou à long terme de l’inflammation locale.

Figure 10. Modèles animaux pour l’étude de la douleur.

Plusieurs modèles animaux sont disponibles pour étudier la douleur chronique. La douleur neuropathique est communément étudiée suite à une lésion neuronale (1-5) causée par une ligation partielle du nerf sciatique (1), d’une lésion par constriction chronique (2), d’une lésion périphérique neuronale (3), d’une coupure du nerf sciatique (4), ou d’une lésion d’un nerf secondaire (5). La douleur inflammatoire est classiquement modélisée par l’injection intraplantaire d’irritants chimiques (6). La douleur post-opératoire par une incision aiguë au niveau de la surface plantaire (7) ou de la queue. La douleur articulaire est reproduite, dans le cas de l’arthrite rhumatoïde, par l’injection de collagène (8) ou par un modèle spontané avec des animaux transgéniques (9). La douleur articulaire est induite chimiquement par injection intra-articulaire (10) dans le genou pour la douleur associée à l’arthrose ou dans les facettes lombaires (11) pour la douleur chronique (11) lombaire. L’arthrose peut être aussi provoquée mécaniquement par chirurgie par transsection ligamentaire et déstabilisation du ménisque médial (12). La douleur liée à une migraine (13) est modélisée par une vasodilatation crâniale ou par une stimulation prolongée des zones directement innervées par le nerf trijumeau. L’administration orale (14) ou systémique (15) d’agents pharmacologiques pour le traitement de pathologies comme un cancer (chimiothérapie) ou une thérapie anti-virale peut causer de la douleur pour être modélisée. La distension colorectale a été développée afin d’étudier plusieurs syndromes de douleur viscérale (16). Monosodium iodoacétate (MIA), intra-plantaire (IP), ligament croisé antérieur (ACL), virus de l’immunodéficience humaine (HIV). Figure modifiée et tirée de (Burma et al., 2016).

Les modèles animaux de la douleur sont également utilisés lorsqu’une inflammation persiste dans les articulations entraînant des douleurs chroniques comme dans la maladie auto- immune de l’arthrite rhumatoïde (RA). Il est possible d’induire la RA par une injection de collagène (Myers et al., 1997) ou par un modèle spontané chez la souris transgénique K/BxN (Monach et al., 2007). Ces modèles ont conduit à une meilleure compréhension du développement de la RA et à la mise en marché de nouveaux traitements ciblant les cytokines (van den Berg et al., 1994) ou agissants directement sur les lymphocytes B (Edwards et al., 2004), supprimant ainsi l’adaptation des voies immunitaires.

Une douleur chronique d’origine inflammatoire est aussi présente dans la pathologie de l’arthrose. Les modèles animaux sont capables de mimer de façon précise la dégradation du cartilage articulaire dans le temps, qui est souvent le résultat d’un traumatisme, d’une infection ou d’une maladie (Alshami 2014). Les modèles induits par la chirurgie simulent de près le syndrome clinique post-traumatique de l’arthrose dans lequel une transsection du ligament croisé crânial (antérieur pour l’humain bipède) (modèle de Pond-Nuki) (Pond et al., 1973) ou une déchirure du ménisque médial (Patchornik et al., 2012) ou la combinaison de ces 2 interventions chirurgicales (Kim et al., 2016) peuvent provoquer une déstabilisation du genou, altérant le support de charge et conséquemment, engendrant le développement d’une douleur analogue à celle de l’arthrose (Patchornik et al., 2012; Pond et al., 1973). Par contre, le niveau d’atteinte des lésions articulaires n’est pas toujours relié à l’intensité de l’expérience douloureuse pour l’humain souffrant d’arthrose (Hannan et al., 2000).

Dans le domaine vétérinaire, des modèles expérimentaux d’arthrose spontanée animale sont aussi retrouvés, notamment chez le cheval, pour étudier l’efficacité des thérapies utilisant les cellules-souches (Joswig et al., 2017), mais aussi pour le chat (Guillot et al., 2014; Klinck et al., 2015; Monteiro et al., 2016) et le chien avec de l’arthrose naturelle associée à la sensibilisation centrale (Gordon et al., 2003). L’arthrose naturelle du chat ressemble beaucoup à celle de l’humain (Ryan et al., 2013). Des similitudes (biomécanique, histologique, macroscopique, moléculaire et génomique) sont rapportées entre la pathologie humaine et le modèle d’arthrose du chien (Little et al., 2013). Des traitements qui se sont avérés efficaces pour l’arthrose du chat et du chien, ont montré également des effets positifs pour l’arthrose humaine (Klinck et al., 2017). Au niveau murin, les souris transgéniques STR/ort développent de l’arthrose naturelle (Kyostio-Moore et al., 2011) et ce modèle a permis de montrer une corrélation entre l’arthrose et la défectuosité du métabolisme des chondrocytes ou l’altération du taux d’apoptose (Jaeger et al., 2008). Un inconvénient de l'utilisation des modèles d'arthrose spontanée est l'incidence plus faible de la condition et la progression des lésions sur une période plus variable comparativement aux modèles induits. En conséquence, un plus grand nombre d’animaux doit être utilisé afin d’assurer une puissance statistique adéquate. Ceci, additionné à la progression variable des lésions et au moment non défini du début de la maladie, augmente considérablement les coûts liés aux études (Innes et al., 2010).

L’arthrose peut aussi être chimiquement induite par l’injection IA de molécules, comme le monosodium iodoacétate (MIA) (Guzman et al., 2003) ou le poly-éthylène-amine (Sakano et al., 2000) ou bien par des enzymes comme la papaïne (Grevenstein et al., 1991), la collagénase (Yeh et al., 2008), la trypsine ou la hyaluronidase (Pritzker 1994) et des cytokines (IL-1) (Scott et al., 2009). Une ovariectomie chez des rattes (Hoegh-Andersen et al., 2004) pourrait être aussi utilisée pour étudier les stages initiaux d’arthrose puisqu’une déficience en estrogène chez des femmes ménopausées semble participer au développement de l’arthrose (Christgau et al., 2004). La collagénase est également utilisée pour étudier le phénomène de la sensibilisation centrale par injection intra-thalamique (Castel et al., 2013).

Les modèles d’inductions chirurgicales d’arthrose prennent en moyenne 4 à 8 semaines pour développer un phénotype de douleur et ainsi, imiter la progression post-traumatique de la pathologie humaine plus étroitement (Ruan et al., 2013). En revanche, l'injection d'agents qui dégradent de manière sélective des composantes de la matrice extracellulaire du cartilage comme le MIA cause une douleur similaire à l’arthrose en moins d’une semaine, mais ne suivent pas la progression temporelle de la pathologie clinique (Marker et al., 2012). Cette apparition de la douleur inflammatoire neurogène rapide permet un criblage plus efficace des cibles thérapeutiques analgésiques potentielles, ce qui est une raison principale de la popularité de ces agents chimiques.

1.4.2.2 Modèles expérimentaux de douleur neuropathique

Chez les rongeurs, l’approche expérimentale la plus commune pour induire une neuropathie périphérique est la lésion nerveuse traumatique (complète ou partielle) par ligature, transsection ou compression des nerfs sciatiques (Bennett et al., 1988; Wall et al., 1979), des branches distales du nerf sciatique (Decosterd et al., 2000), du nerf infraorbitaire (Imamura et al., 1997) ou des ganglions du nerf trijumeau (Ahn et al., 2009). Ces modèles de lésions neuronales reflètent la douleur neuropathique qui peut survenir suite à un traumatisme nerveux physique chez l’humain. Les neuropathies induites métaboliquement ou chimiquement chez les rongeurs sont aussi utilisées afin de mimer la douleur neuropathique périphérique liée au diabète neuropathique (Obrosova 2009) ou à la neurotoxicité associée à des chimiothérapies (Authier et al., 2009), aux traitements du virus de l’immunodéficience humaine (Wallace et al., 2007), à la névralgie post-herpétique (Fleetwood-Walker et al., 1999), à la douleur dans la pathologie de la

sclérose en plaque (Lynch et al., 2008) ou bien cancéreuse reliée à un ostéosarcome (Otis et al., 2011). Ainsi, plusieurs modèles de douleur neuropathique produisant de l’hyperalgésie et de l’allodynie thermique et mécanique sont disponibles afin d’étudier les conditions humaines associées à ces pathologies, chacune avec des forces et des limites afin d’aborder une large gamme de questions expérimentales, et les stratégies thérapeutiques reposent majoritairement sur la véracité de ces modèles animaux puisque les pathologies humaines de la douleur neuropathique sont très hétérogènes.

1.4.2.3 Modèles expérimentaux de douleur viscérale et autres troubles dysfonctionnels La douleur reliée à une migraine est l’une des plus difficiles à modéliser puisque son apparition et sa progression reposent sur plusieurs facteurs et causes différentes (Eikermann- Haerter et al., 2008). Les modèles animaux de migraine utilisent généralement une vasodilatation par inhalation d’agents pharmacologiques ou une stimulation électrique directe des zones innervées par les nerfs du trijumeau (De Vries et al., 1999; Eikermann-Haerter et al., 2008). Les douleurs chroniques dorsales sont également difficiles à reproduire avec des modèles animaux. Le MIA a été utilisé récemment pour reproduire ce type de douleur par induction d’arthrose articulaire dans les facettes lombaires (Kim et al., 2015). Par contre, les modèles de douleurs viscérales sont utilisés depuis plus de trois décennies comme la distension colorectale afin d’étudier l’hypersensibilité viscérale (Ness et al., 1988). Les concepts généraux de ce modèle de distension ont ensuite été appliqués pour une vaste gamme de douleur viscérale, autant chez l’animal que l’humain facilitant la réussite prédictive des résultats, comprenant l’intestin, le système biliaire, les voies urinaires et les organes reproducteurs, (Ness 1999). La douleur post-chirurgicale aiguë est étudiée aussi avec des modèles, entre autres, suite à une incision à la surface plantaire ou à la queue, permettant ainsi une meilleure prise en charge de cette douleur post-chirurgicale (Kamerman et al., 2007).