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1. Recension de la littérature

1.1 La douleur

1.1.2 Les mécanismes de modulation de la douleur

Tout au long de son trajet, le message nociceptif fait l'objet de modulations, facilitatrices ou inhibitrices. Le contrôle inhibiteur s'effectue plus spécifiquement sur les neurones à chacun des moments de la transmission de l'influx nerveux. Trois mécanismes regroupent ces systèmes inhibiteurs de modulation qui assurent le contrôle du message nociceptif : i) contrôle médullaire (théorie du portillon) ; ii) contrôle inhibiteur diffus induit par des stimulations nociceptives

(cellules « OFF ») ; iii) contrôle exercé par les centres supérieurs du SNC. Le contrôle facilitateur descendant (cellules « ON ») est issu du tronc cérébral et reconnue pour augmenter l’excitabilité d’une stimulation nociceptive au niveau spinal.

1.1.2.1 Modulations inhibitrices

1.1.2.1.1 Au niveau spinal (théorie du portillon)

C’est au cours des années soixante que le Canadien Ronald Melzack et l’Anglais Patrick Wall proposent la théorie du portillon (« gate control of pain ») concernant les contrôles segmentaires exercés sur le message nociceptif en provenance de la périphérie (Melzack et al., 1965; Wall 1978). Cette théorie relate que la stimulation sélective des grosses fibres afférentes Aα et Aβ peuvent inhiber, via le recrutement d’interneurones inhibiteurs dans la substance gélatineuse (couches I-II) des cornes postérieures de la moelle épinière, les petites fibres nociceptives Aδ et C vers les neurones secondaires qui donnent naissance au système spinothalamique. Avec les années, des changements ont été apportés à cette théorie, mais de cette dernière, est née l’idée fondamentale de la modulation de la perception douloureuse à partir de son entrée dans la moelle épinière. Cette théorie est d’ailleurs à l’origine d’applications cliniques, dont la plus connue est la neurostimulation transcutanée (TENS conventionnel), basée sur la stimulation électrique des afférences non nociceptives Aβ de la peau afin d’inhiber le message douloureux provenant des afférences nociceptives Aδ et C (Garrison et al., 1994). À court terme, le TENS s’est avéré efficace pour soulager la douleur lombaire chronique (Brill et al., 1985) malgré la disparité de son utilisation (Deyo et al., 1990) due au blocage des effets analgésiques du TENS par la consommation de caféine (Marchand et al., 1995).

1.1.2.1.2 Les contrôles inhibiteurs descendants

Contrairement à la théorie du portillon, ce type d'inhibition provient des stimulations nociceptives qui activent un système descendant mettant en jeu diverses parties du SNC dont la PAG (opioïdes endogènes), le NRM (5-HT), le LC (NA) et les cornes postérieures de la moelle épinière (Basbaum et al., 1978; Fields et al., 1985). Une stimulation douloureuse, en plus de conduire l’information nociceptive vers les centres supérieurs par la voie spinothalamique, envoie des afférences vers différents centres du tronc cérébral, dont la PAG (Reynolds 1969) et le NRM (Basbaum et al., 1978). Selon ce modèle, une stimulation des fibres à petit diamètre

déclenche, vers les neurones nociceptifs des couches I et V des cornes postérieures de la moelle épinière, un système d'inhibition descendant. Cette activité analgésique est connue sous le nom de contrôles inhibiteurs diffus induits par des stimulations nociceptives (CIDNs) (Le Bars et al., 1979b, 1979c). La caractéristique essentielle des CIDNs réside dans le fait qu’ils peuvent être déclenchés depuis n’importe quel territoire corporel distinct du champ excitateur du neurone à la condition que le stimulus soit nociceptif. Ces structures envoient des efférences inhibitrices respectivement sérotoninergiques (cellules « OFF ») et noradrénergiques (proposant ici un modèle explicatif pour les propriétés analgésiques des agonistes α2-noradrénergiques (Di Cesare Mannelli et al., 2017)) vers les divers segments spinaux produisant ainsi une inhibition diffuse (Le Bars et al., 1979b). Ainsi, ces neurones sérotoninergiques ou noradrénergiques agissent directement et de façon post-synaptique sur les cellules de la corne dorsale. Ils recrutent aussi des interneurones enképhalinergiques et/ou gabaergiques qui, en retour, interviennent postsynaptiquement eux aussi sur les cellules de la corne dorsale. De plus, la terminaison centrale de plusieurs afférences primaires possède des récepteurs opiacés. Ainsi, l'interneurone contenant des enképhalines (ENK) agit sur les récepteurs opiacés, de façon présynaptique, sur l'afférence primaire en limitant la décharge transmise à la cellule de la corne dorsale. L'application de stimulations prolongées et intenses déclenche l'action analgésique des opiacés. Le CIDN produit donc une inhibition descendante qui ne se limite plus seulement à la région stimulée (Dickenson et al., 1981; Talbot et al., 1989) et pouvant donc produire une hypoalgésie globale. Par conséquent, les cellules du CIDN (cellules « OFF ») sont stimulées et inhibent la douleur suite à la micro-injection de morphine dans la RVM (Fields 2004).

1.1.2.1.3 Au niveau des centres supérieurs du système nerveux central

Les centres supérieurs du SNC jouent aussi un rôle prédominant dans la modulation de la douleur. Quatre centres cérébraux principaux du SN supérieur interviennent dans la perception de la douleur : l’aire somatosensorielle primaire (SI), l’aire somatosensorielle secondaire (SII) ainsi que le cortex cingulaire antérieur et insulaire (Calvino et al., 2006; Tracey et al., 2007). Ces régions sont importantes pour la modulation de la douleur. À partir du tronc cérébral et du thalamus, les afférences nociceptives établissent des liens, directs et indirects, vers des régions cérébrales comme le système limbique et le cortex frontal. Ces régions sont associées respectivement aux émotions et à la mémoire. Avec d'autres structures cérébrales,

elles affectent la perception de la douleur et modulent surtout l'aspect désagréable de la douleur (composante motivo-affective). L’effet placebo fait partie d’une modulation de la composante motivo-affective de la douleur par les centres supérieurs (Levine et al., 1978).

1.1.2.2 Les contrôles facilitateurs descendants

Au niveau supraspinal, cette notion stipule que des stimulations de la RBRV à intensités élevées peuvent déclencher des effets analgésiques, mais des stimulations de la même région à des intensités 4 à 10 fois plus faibles ont au contraire des effets facilitateurs pro-nociceptifs (Zhuo et al., 1990, 1997).

La plus grande partie des informations décrites au niveau de la RBVR a été apportée par le travail de l’équipe de Fields réalisé chez le rat (Fields 1992; Fields et al., 1983). Trois familles de cellules qui se projettent vers la moelle épinière pour moduler la douleur (Fields et al., 1991) ont été caractérisées dans ce modèle en se basant sur leurs réponses à des stimulations thermiques nociceptives de la queue ; des cellules « ON », dont l’activité augmente juste avant que n’intervienne le réflexe nociceptif de retrait de la queue déclenché par la stimulation thermique nociceptive ; des cellules « OFF », dont l’activité tonique est interrompue juste avant que n’intervienne le réflexe nociceptif de retrait de la queue déclenché dans les mêmes conditions ; des cellules neutres caractérisées par leur absence de réponse aux stimulus nociceptifs. Dans ce contexte, l’activation des cellules « OFF » (CIDN) peut donc être corrélée avec le renforcement de l’inhibition descendante de la réponse nociceptive spinale, alors que celle des cellules « ON » peut l’être avec le renforcement de l’activation descendante de cette réponse : les cellules « ON » facilitent et les cellules « OFF » inhibent la transmission de l’information nociceptive au niveau spinal de la corne dorsale et des réponses qu’elles engendrent. L’administration de naloxone (antagoniste opioïde) ou un effet rebond d’un arrêt d’administration d’opioïdes peuvent stimuler les cellules « ON » et produire des effets hyperalgiques (Fields 2004).

En conclusion, c’est donc par la perception d’un contraste entre les activités de ces deux systèmes descendants concurrents (Besson et al., 1982) que le degré global d’excitabilité du réseau de neurones dans la corne dorsale de la moelle épinière est déterminé, un degré qui à son tour module la transmission de l’information douloureuse vers les structures nerveuses centrales supraspinales.