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1. Recension de la littérature

1.3 Biomarqueurs et l’étude des omiques

Actuellement, dans le domaine de la douleur, l’un des défis majeurs est d’utiliser des biomarqueurs afin de caractériser (identification protéique) et quantifier la douleur. Un biomarqueur (le condensé de marqueurs biologiques) est défini comme une caractéristique qui peut être mesurée objectivement comme un indicateur d’un processus biologique normal, d’un processus pathologique ou comme une réponse pharmacologique à une intervention thérapeutique (Biomarkers Definitions Working 2001). Les biomarqueurs reflètent un état physiologique de la cellule à un moment spécifique : c’est la signature moléculaire. En plus d’être une réponse physiologique (fréquence cardiaque et respiratoire, pression artérielle, température corporelle, etc.), les biomarqueurs peuvent aussi être moléculaires (enzymes, macromolécules, protéines, neuropeptides, microARNs) (Steinberg et al., 2016). Parmi ceux-ci, l’étude du domaine des –omiques des marqueurs biologiques moléculaires sont les plus prometteurs, car ils bénéficient des innovations technologiques en génomique, protéomique et métabolomique. Ils peuvent être classés, selon quatre grandes catégories :

- L’ADN (génomique) : la cartographie du génome humain a servi de base au développement de plusieurs types d’analyses comme les prédispositions génétiques et les mutations génétiques. Dans la douleur, 60 % de la variabilité de la réponse est attribuable à la génétique (Brown 2016).

- L’ARN (transcriptomique) : son hybridation sur puce à ADN permet une analyse comparative par rapport à un profil sain du transcriptome (total des ARNs présents). Malgré le plein essor de l’épigénéique afin de cibler des microARNs comme biomarqueur de la douleur (Ligon et al., 2016), cette méthode ne permet pas d’identifier les formes actives des protéines et de déterminer leurs niveaux d’expression.

- Les protéines (protéomique) : leur utilisation permet à un instant donné de visualiser l’ensemble des éléments fonctionnels (Schulte et al., 2005).

- Les petites molécules (métabolomique) : elles regroupent les métabolites, les hormones, ainsi que toute autre molécule organique et inorganique présente dans un organisme. La métabolomique permet l’étude des métabolites actifs (Fernie et al., 2004).

Le terme protéomique est utilisé pour désigner l’étude du protéome, c’est-à-dire, de l’ensemble des protéines d’une cellule, d’un organite, d’un tissu, d’un organe, d’un fluide biologique (liquide synovial, sérum, sang, urine, LCR) ou d’un organisme exprimé par un génome à un moment précis et dans des conditions données, permettant de comprendre davantage les maladies et l’implication des cascades d’évènements menant au phénomène de la douleur. En neurosciences, afin de faire référence à l’étude des protéines du SNC et SNP, on utilise le terme neuroprotéomique. La neuroprotéomique est une méthode utilisée pour comprendre majoritairement la pathogénèse d’une vaste gamme de maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique, la maladie de Huntington, les maladies à prions (Nayak et al., 2015) et en neuropsychiatrie (English et al., 2011) pour la démence, la schizophrénie, la dépression, le suicide et la dépendance aux drogues (Lull et al., 2010).

Pour la quantification des protéines, de nombreuses techniques ont été largement développées, mais les plus populaires sont l’immunodosage (enzymatique ou radio) et l’utilisation de la spectrométrie de masse pour l’étude de la protéomique bien que l’immunohistochimie permette aussi une quantification neuropeptidique, mais moins spécifique et fiable (Costa et al., 2016). L’immunodosage a longtemps été considéré la méthode de choix pour la bioanalyse (Curtis et al., 1978), ceci étant lié à leur facilité de mise en œuvre, le faible coût d’analyse et le haut débit associé à cette technique. Cependant, la présence d’une molécule possédant un épitope semblable à l’épitope de l’antigène à analyser peut entraîner une réaction avec l’anticorps utilisé et induire des sur- ou sous-estimation de la concentration (Curtis et al., 1978). Malgré une très forte sensibilité et une facilité d’exécution, les immunodosages ne permettent pas d’identifier formellement et sans ambigüité le composé qui est analysé. La spécificité des anticorps utilisés ne permet pas toujours d’éliminer les réactions croisées avec des molécules interférentes (Boscato et al., 1986). Il est alors nécessaire de se tourner vers des techniques alternatives permettant d’identifier les protéines d’intérêts.

Parmi ces techniques, la spectrométrie de masse est un outil en plein essor pour la quantification des protéines, car elle présente un gain en spécificité et en sensibilité (Pan et al., 2009). Déjà largement utilisée pour la quantification de petites molécules en métabolomique (Fernie et al., 2004), elle tend à se développer pour l’analyse des protéines comme biomarqueurs en neurosciences tant au niveau des matrices biologiques du SN (Moghieb et al., 2016; Pailleux

et al., 2014) que pour le dosage des neuropeptides sanguins (Johnsen et al., 2015). La spectrométrie de masse est très sensible et peut donc être utilisée pour des molécules de faibles concentrations (attomole) (Hou et al., 2012). Elle a également la capacité d'identifier des composés à travers l'élucidation de leur structure chimique par spectrométrie de masse en tandem et la détermination de leur masse exacte. Les approches standards font appel à des techniques de séparation des protéines à l’aide de l’électrophorèse sur gel uni- ou bidimensionnelle ou bien capillaire, des puces à protéines ou de la chromatographie en phase liquide à haute performance bi- ou multidimensionnelle, pouvant être couplée à la spectrométrie de masse (Wu et al., 2006). Les nouvelles conditions d’ionisation par désorption ont considérablement élargi le nombre de composés analysables. Elle offre aujourd’hui la possibilité d’analyser des biopolymères naturels, protéines, oligonucléotides ou polysaccharides : l’enchaînement en acides aminés, en nucléotides, ou en monosaccharides peut ainsi être déchiffré, et les interactions inter- et intra- moléculaires caractérisées dans le cas d’associations supramoléculaires lui ont valu un prix Nobel de chimie en 2002 (Tabet et al., 2003) avec la résonance magnétique. La chromatographie en phase liquide à haute performance couplée à la spectrométrie de masse permet également une quantification relative d’un neuropeptide cible par abondance isotopique incluant un étalon interne stable. Cette méthode est très reproductible et précise (Pailleux and Beaudry 2012).

En plus du vaste éventail de méthodes qualitatives et quantitatives disponibles pour évaluer l’intensité de la douleur et de l’imagerie cérébrale, la douleur peut aussi se quantifier en analysant les variations de concentrations de neuropeptides. En effet, les modifications protéiques (sur- ou sous- expression) dans le SN (LCR, moelle épinière, ganglions rachidiens) étant relativement rapide, la quantification de biomarqueurs neurogènes tels que les neuropeptides, devient un indicateur informatif important de l’activité neuronale qui survient lors de la progression temporelle de la douleur comme il est le cas dans une douleur chronique associée à l’arthrose (Poole et al., 2010). La quantification de ces protéines est alors corrélée à des évaluations fonctionnelles de la douleur afin d’augmenter la validité des méthodes de mesures.

1.3.2 L’identification et la quantification protéique dans la douleur chronique

En recherche expérimentale, la protéomique permet d’identifier des protéines dont l’abondance est modulée suite à l’induction d’un modèle animal de la douleur en comparaison avec le protéome d’un animal sain, proposant ainsi des biomarqueurs potentiels (diagnostiques ou cibles pharmacologiques) de la douleur. Par exemple, dans un modèle de douleur neuropathique chez le rat par compression chronique des ganglions, l’analyse par protéomique a permis d’identifier dans les GRD, une augmentation significative de la concentration de la PKC epsilon et de l’annexine A2 puis validée par une augmentation de l’expression génique de ces mêmes gènes en comparaison avec des rats normaux (Zhang et al., 2008). Cette approche non ciblée est intéressante afin d’élucider les mécanismes sous-jacents de la douleur puisque l’inhibition de la translocation de la protéine kinase C epsilon s’est montrée augmentée dans les neurones sensoriels suite à un traitement pharmacologique combiné de la gabapentine et d’un AINS (Vellani et al., 2017). Les profils obtenus dans la régulation des protéines pour l’approche non ciblée diffèrent selon certains paramètres comme le tissu, le fluide ou le modèle animal (Craft et al., 2013). Le défi reste toujours la translation d’une approche plus ciblée vers l’humain des résultats obtenus sur les modèles animaux pour une application clinique de ces biomarqueurs potentiels et ce type d’étude commence à voir le jour. En effet, dans un modèle de douleur de lésion de la moelle épinière chez le rat, un profil différent a été élaboré pour des candidats potentiels de biomarqueurs de la douleur avec une modification de l’expression de 22 protéines dont la régulation de 4 protéines (transferrine, cathepsine D, triosephosphate isomerase 1 et la phosphoprotéine enrichie en astrocytes 15) a aussi été augmentée dans le LCR de patients humains souffrants de lésions à la moelle épinière, supportant ici une application clinique et concrète des découvertes expérimentales par l’utilisation de la protéomique (Moghieb et al., 2016). L’identification d’un nouveau candidat comme neuropeptide et biomarqueur de la douleur, la protéine [des-Ser1]-cerebelline, a été identifié dans la corne dorsale de la moelle épinière de souris saine par spectrométrie de masse. Par immunohistochimie, la [des-Ser1]- cerebelline s’est avéré colocalisée avec la calbindine, un marqueur d’interneurones excitatrices (Freund et al., 1991). L’injection IT de cette protéine a induit une réponse dose-dépendante d’hypersensibilité mécanique supportant un rôle de neuromodulateur (Su et al., 2014). Cette étude a simultanément identifié la présence lors de l’extraction du segment de la moelle épinière

par des solvants organiques, du CGRP, la galanine, du NPY, des opioïdes endogènes et plus de 32 autres précurseurs de neuropeptides.

La protéomique est aussi utile afin de caractériser des changements structurels articulaires associés à la douleur dans un modèle animal d’induction chirurgicale d’arthrose. On note des modifications dans la régulation de protéines impliquées au niveau de plusieurs mécanismes, comme la glycolyse et la production d’énergie (la kinase nucléoside diphosphate et la purine nucléoside phosphorylase), de la matrice du cartilage (précurseur de chaîne de collagène alpha-1), de la transcription et la synthèse protéique (facteur 1 d’élongation alpha-1 et la protéine DJ-1), de la transduction du signal (calmoduline et la protéine de liaison phosphatidylethanolamine 1), du transport (albumine et la sous-unité alpha de l’hémoglobuline) (Parra-Torres et al., 2014). Parmi ces protéines, la calmoduline est reconnue pour son complexe avec le calcium dans la potentialisation à long terme du récepteur NMDA (Aow et al., 2015) dans la plasticité neuronale. Pour des patients souffrants de douleur chronique associée à l’arthrose, l’analyse protéomique du LCR a révélé une augmentation de la régulation de la cystatine C modulée par une sous-régulation de la MMP-9 (Guo et al., 2014), une protéine impliquée dans la douleur inflammatoire neurogène via une activation de la production d’IL-1β et de la microglie (Kawasaki et al., 2008).

La protéomique peut également être utile afin d’identifier et quantifier des changements protéiques au niveau des synapses suite à une administration de morphine (étude du morphinome) et ainsi identifier des cibles spécifiques pour le développement de nouvelles thérapies dans le traitement de la douleur chronique (Stockton et al., 2014). En effet, la plasticité neuronale de souris déficientes pour l’enzyme de conversion en endothéline-2 peut aussi être étudiée par protéomique, permettant ainsi d’identifier les mécanismes supportant une tolérance à une administration de morphine. L’absence d’identification de Leu-ENK comparativement à sa présence, avec Met-ENK, NKA, NKB et la CCK dans la moelle épinière de souris sauvages, supporte une altération au niveau de l’expression neuropeptidique du système opioïde endogène par cette enzyme (Miller et al., 2011). Pendant l’analyse de l’abondance relative des neuropeptides pour des souris sauvages, cette étude a aussi identifié conjointement par spectrométrie de masse la présence de plusieurs autres neuropeptides, telles que la SST, la sécrétogranine ou d’autres peptides (voir l’article complet).

En plus de permettre l’identification de protéines, la protéomique par spectrométrie de masse est une méthode de quantification directe, précise et fiable de neuropeptides cibles, de ses précurseurs ou bien des enzymes participant à leur maturation, présents dans le SN suite à un processus douloureux (Pailleux et al., 2014). La quantification par spectrométrie de masse dans les modèles animaux de douleur chronique permet un lien avec les comportements douloureux augmentant ainsi la validité et la robustesse des résultats des mesures fonctionnelles de la douleur (Ferland, Pailleux, et al., 2011). Une implication de la SP et des tachykinines dans la sensibilité thermique de souris déficientes au gène du récepteur vanilloïde a été mise en évidence suite à l’application de la protéomique (Pailleux, Lemoine, et al., 2012). Dans un modèle de douleur inflammatoire neurogène, les concentrations de la SP et de CGRP quantifiées temporellement par protéomique sont augmentées contrairement à celle de la DYN1-32 (Ferland, Pailleux, et al., 2011). La mise en évidence par la spectrométrie de masse de la quantification des métabolites actifs de la SP (Saidi et al., 2016) et des tachykinines (Pailleux et al., 2013) de même que les enzymes de maturations de la DYN (Orduna et al., 2016) dans la moelle épinière, participent tous au raffinement de la compréhension des mécanismes douloureux et des cibles pharmacologiques potentielles. Ces études supportent l’utilisation de la protéomique dans les modèles animaux permettant une meilleure validation des méthodes d’évaluation de la douleur.

1.4 Modèles expérimentaux de la douleur animale