Chapitre I : La cytochrome c oxydase et ses modèles biomimétiques
I.3 Modèles biomimétiques de la cytochrome c oxydase
I.3.2 Modèles structuraux
3.2.2 Modèles covalents
La synthèse de plusieurs autres composés dans lesquels le ligand complexant le cuivre est lié de manière covalente à la porphyrine de Fe(II) par une seule liaison ont été décrits en particulier par les équipes de Karlin et Naruta.
Le groupe de Karlin est parvenu, en 2005, à synthétiser le premier complexe hème/cuivre
µ-peroxo à haut spin [(6L)FeIII-(O22-)-CuII]+ (29).128 Il est obtenu à partir de la réaction d’un
modèle binucléaire covalent (28), analogue aux systèmes (14) et (15), avec l’oxygène à basse température (Figure 26).
Figure 26 : Modèle covalent possédant un ligand tétradentate pour le cuivre (La figure est modifiée par rapport à l’originale).128
Dans cet édifice (29), le complexe de cuivre est lié de manière covalente à la porphyrine de
(6L)FeII par une liaison éther en cinquième position d’une pyridine. Les études réalisées par
spectroscopie de RMN ont mis en évidence une signature spécifique d’une espèce présentant
un pont antiferromagnétique peroxo- ou oxo-hème-Cu de la forme PFeIII-X-CuII, où X = O22-,
O2-. Le spectre de résonance Raman montre une bande à 788 cm-1 sensible au marquage
isotopique de l’oxygène 16O2/18O2. Ce signal a été attribué à un mode ν(O-O) caractéristique
d’un adduit µ-peroxo. Lors du retour à la température ambiante, le complexe (29) se
transforme en une espèce µ-oxo [(6L)FeIII-O-CuII]+.121
Selon la réduction par le cobaltocène Co(Cp)2, l’état haut spin du complexe [(6L)FeIII-(O2
2-)-CuII]+ (29) entraîne une réactivité catalytique différente par rapport à celle observée pour les
autres complexes hème-peroxo-Cu synthétisés auparavant. Lorsque le complexe (29) est
exposé à un excès de Co(Cp)2, il subit immédiatement une réduction à 2 e- et se transforme en
[(6L)FeIII-O-CuII]+ à 233K, tandis que les systèmes peroxo synthétisés par Collman et coll.
présentent une réduction complète à 4e- et reviennent à leurs formes désoxygénées initiales
FeII/CuI.
Par cette même approche (modèle covalent), l’équipe de Karlin a décrit un modèle (30) du site actif de la CcO dans lequel le cuivre est complexé par un ligand tridentate lié par un
espaceur amide à la porphyrine (Figure 27).129
Figure 27 : Modèle covalent possédant un ligand tridentate pour le cuivre (la figure est modifiée par rapport à l’originale).130
L’addition de l’oxygène à basse température au modèle [(2L)FeII/CuI]+ (30) conduit à la
formation du complexe hème-peroxo-cuivre (31). Dans ce composé, la distance Fe-Cu est de
l’ordre de 3,6 Å et le mode ν(O-O) est observé à 747 cm-1, ce qui indique la formation d’un
pont peroxo de type η2:η2 entre les ions du fer et du cuivre. Afin de mieux comprendre le rôle
du cuivre ainsi que l’influence de son environnement dans la réaction hème/Cu/O2, le groupe
de Karlin a étudié séparément les réactions hème/O2 et Cu/O2. Lorsque la porphyrine (F8)FeII
réagit seule avec l’oxygène, deux intermédiaires peuvent être générés selon le solvant utilisé.
Dans la réaction Cu/O2, il a été montré que le ligand [(LR)-CuI]+ (L =
N,N-bis[(2-(2-pyridyl)thyl]methylamine, où R = H, -OMe, -NMe2 ; les substituants en position para de la
pyridine] réagit avec l’oxygène et donne un mélange de deux adduits en équilibre : [((LR
)-Cu)2 (O2)]2+, (η2:η2-peroxo) dicuivre(II) et bis(µ-oxo) dicuivre(III).131 Il est important de
remarquer que le complexe hétérobinucléaire hème-cuivre [(2L)FeIICuI]+ (30) entraîne la
formation d’un nouvel intermédiaire qui ne pourrait pas être obtenu individuellement à partir de chaque compartiment.
Dans cette optique, Naruta et coll. ont synthétisé un modèle covalent dans lequel les deux sites de coordination sont également reliés par une fonction amide mais la sphère de
coordination du cuivre comporte un ligand tétradentate (Figure 28).132
Figure 28 : Modèle covalent avec un ligand tétradentate pour le cuivre.104
La réaction du complexe (32) à l’état réduit avec le dioxygène a conduit à la formation d’une espèce de type hème-peroxo-cuivre (33). Cet intermédiaire a été étudié par plusieurs techniques spectroscopiques, et sa structure établie par rayons X à -30°C a révélé une
coordination de type peroxo « side-on » pour le fer et « end-on » pour le cuivre.133
D’autres systèmes covalents possédant une base azotée en position axiale imitant l’histidine proximale de la CcO ont été développés. Nous nous intéresserons plus
particulièrement à deux complexes synthétisés par l’équipe de Karlin,134 comportant chacun
une base axiale de type pyridine et un site tridentate de complexation du cuivre. Les deux composés ne diffèrent que par le nombre de liaison maintenant la PY2 et la base axiale à la porphyrine (Figure 29).
Figure 29 : Modèles covalents avec une base axiale de type pyridine de Karlin et coll.102
Les analogues du fer seul (3L)FeII (34) et (4L)FeII (35) montrent une réactivité différente
avec l’oxygène. En effet, le complexe (34) fixe réversiblement l’oxygène, tandis que le
composé (35) le fixe de manière irréversible. Toutefois, les complexes FeIICuI (34’) et (35’)
réagissent irréversiblement avec l’oxygène et permettent de former des adduits oxygénés stables à basse température. Des études complémentaires de RMN et RPE ont montré la formation des adduits peroxo (34’’) et (35’’) diamagnétiques et de stœchiométrie 1:1. Cependant, le réchauffement des solutions contenant (34’’) et (35’’) provoque l’apparition de produits thermiquement différents. Pour l’adduit (35’’), la majorité des espèces (>70%) se
transforme en des complexes µ-oxo [(4L)FeIII-O-CuI]+. Cependant, aucune espèce µ-oxo n’a
été observée pour la réaction du complexe [(3L)FeIICuI]+ (34’) avec l’oxygène, ce qui indique
l’influence de l’architecture du ligand sur la réactivité des systèmes hème/O2 et hème/Cu/O2.
34 35
35’
Naruta et coll. ont utilisé un modèle covalent (36) avec une sphère de coordination autour du cuivre (un site distal contenant deux molécules d’imidazoles) dans laquelle a été introduit un groupement phénol jouant le rôle de donneur de protons et d’électrons pour la rupture hétérolytique de la liaison O-O. Ce site protonable modélise la tyr 280 présente au site actif des oxydases et impliquée dans le mécanisme catalytique proposé pour l’enzyme. De plus, ce modèle comprend une base proximale de type imidazole (Figure 30).
La réaction du complexe (36) avec le dioxygène produit un intermédiaire hème-superoxo-Cu(I) (37) à -70°C. Les auteurs ont détecté la formation d’un adduit (36’) de type hème-µ-peroxo-Cu(II) avec une durée de demi-vie de 30 minutes avant l’obtention du composé (37).
Il présente beaucoup de similitude avec l’intermédiaire A du cycle catalytique de la CcO.135
Au vue de ces résultats, il est probable que la transition A→P doit aboutir à la formation
d’une espèce µ-peroxo FeIII-(O22-)-CuII. Or, celle-ci n’a pas été observée expérimentalement
dans le cycle catalytique de la CcO. Il est possible que cette étape soit très rapide et donc 36
36’
37
O2, -70 °C
cinétiquement non limitante. Cependant, l’existence d’un pont µ-peroxo ou d’une espèce hydroperoxo est fortement suggérée par les travaux de mécanique quantique réalisés sur un
site actif de l’oxydase modélisé à l’état réduit.61,76,136
Les modèles fonctionnels et structuraux synthétisés et étudiés à ce jour ont donc clairement mis en évidence l’influence de la base axiale proximale et de l’environnement du site distal sur l’efficacité du catalyseur. Ils ont aussi apportés des éléments de réponses intéressants sur le rôle du cuivre et de la tyrosine 280 mais rien à ce sujet n’est encore établi de manière certaine. De nombreux modèles fonctionnels doivent encore être étudiés pour espérer comprendre la réduction tétraélectronique de l’oxygène.