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Le modèle Rubicon

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 55-60)

A) Les modèles psychosociaux du comportement

III. Les théories de changement par étapes

3.2. Le modèle Rubicon

3.2.1. « Alea jacta est » (César)

Pour l’anecdote, le modèle Rubicon tient son nom d’une expression, « franchir le Rubicon », elle-même tirée d’un événement historique. A la fin de la guerre des Gaules, le Sénat romain ordonna à César de remettre ses légions à Rome et de rentrer en citoyen ordinaire. En décidant de franchir le fleuve Rubicon avec son armée, le militaire savait qu’il violait la loi du Sénat et que son acte entraînerait de graves conséquences. Il aurait alors lancé sa célèbre phrase « Alea jacta est » (« le sort en est jeté »). Depuis, l’expression « franchir le Rubicon » désigne le fait de prendre un risque en précipitant les événements, même sans en être totalement maître.

Le modèle Rubicon (Heckhausen & Gollwitzer, 1987 ; Gollwitzer, 1990 ; Heckhausen, 1991) est un modèle de changement par étapes dont le but est de rendre compte du chemin à parcourir entre l’intention et le comportement réel. Son principe central est très proche de l’expression : en choisissant de s’engager à adopter une conduite particulière, l’individu indique sa volonté de passer des idées aux actes sans pour autant savoir s’il pourra effectivement réaliser le comportement et aller ainsi jusqu’au bout de son engagement.

Comme nous l’avons vu, nos intentions ne suffisent pas expliquer nos comportements. Ce n’est pas parce que nous avons l’intention d’agir que nous agirons à coup sûr. D’autres facteurs peuvent venir perturber nos plans, entre nos intentions et leur mise en action.

55 3.2.2. Deux processus et quatre étapes

Pour Lewin (Lewin, Dembo, Festinger & Sars, 1944 ; cités par Achtziger &

Gollwitzer, 2008), les processus motivationnels ne peuvent être analysés qu’à travers la perspective de l’action. En effet, un individu se motive en vue de réaliser une action. De plus, Lewin supposait que les processus de fixation de but (« goal setting ») et les processus de poursuite de but (« goal striving ») étaient régis par des principes psychologiques distincts.

Sur la base de cette idée, Achtziger et Gollwitzer (2008) proposent de distinguer deux types de processus : les processus de motivation et les processus de volition. Les premiers sont influencés par nos attitudes et nos intentions. Ce sont des processus raisonnés, délibérés, contrôlés consciemment. Les processus de volition sont ceux par lesquels l’individu se met en mesure d’agir et qui sont influencés par le contexte et les habitudes.

Selon Heckhausen et Gollwitzer (1987), la poursuite d’un but se passe en quatre phases strictement successives : la phase pré-décisionnelle, la phase pré-actionnelle, la phase actionnelle et la phase post-actionnelle. Le passage d’une phase à la suivante est marqué par un point de transition (voir figure 4).

Lors de la phase pré-décisionnelle, l’individu est face à plusieurs possibilités de comportements (eg. prendre la voiture ou le bus pour se rendre au travail) et devra en choisir une. Il évalue les comportements et leurs conséquences en termes de désirabilité et de faisabilité. Cette phase s’achève par la formation d’une intention dirigée vers un but : l’individu choisit un comportement et « franchit le Rubicon » en s’engageant à le réaliser.

La phase pré-actionnelle amène l’individu à réfléchir sur la meilleure façon de procéder pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé. Il élabore alors des plans d’actions et choisit les moyens à utiliser. Cette phase se termine lorsque l’individu commence à mettre en application son plan d’action.

Lors de la phase actionnelle, l’individu initie les actions qu’il a planifié afin d’atteindre son objectif. Une fois que l’action a été réalisée, l’individu va ajuster ses cognitions au comportement qu’il vient de réaliser.

Enfin lors de la phase post-actionnelle, l’individu évalue le coût et les conséquences de son action et ajuste ses cognitions à son comportement. S’il est satisfait, la probabilité pour qu’il adopte durablement le comportement est forte. Sinon, il peut diminuer son niveau d’exigence, chercher à atteindre un autre but ou faire des efforts supplémentaires pour atteindre son objectif initial.

56 Figure 4 : Modèle de phase d’action (notre représentation)

La première phase (pré-décisionnelle) et la dernière phase (post-actionnelle) reposent sur des processus de motivation : l’individu choisit et évalue ses actions délibérément. A l’inverse, les deux phases intermédiaires (pré-actionnelle et actionnelle) relèvent des processus de volition. C’est lors de ces phases et des transitions entre elles que la poursuite d’un but peut être interrompue. Tout d’abord, il faut bien sûr avoir l’intention d’agir. Ensuite l’initiation du comportement peut être perturbée de trois façons : (1) l’individu peut oublier d’agir, (2) il peut ne pas saisir le moment opportun pour agir car il subit une pression ou se trouve dans une situation qui offre peu d’opportunités pour agir, ou (3) il peut se mettre à hésiter au moment opportun. Enfin l’individu peut être distrait lors de la réalisation de l’action : distrait cognitivement (son attention diminue), mais aussi de façon comportementale (par ses habitudes) ou affective (état émotionnel négatif). Il s’agit donc de trouver une solution au problème de la volonté, c’est-à-dire le maintien de l’intention jusqu’à l’acte.

3.2.3. Les états d’esprit

Achtziger et Gollwitzer (2008, p. 279, notre traduction) distinguent plusieurs états d’esprit (« mindset »), qui renvoient à « une certaine forme d’orientation cognitive qui facilite la réalisation de la tâche à accomplir dans chaque phase ». L’état d’esprit délibératif correspond aux phases motivationnelles et entre en jeu lors de la formation d’intention, c’est-à-dire la fixation de but. A l’inverse, l’état d’esprit « implémental » correspond aux phases de volition et améliore la probabilité qu’un individu atteigne le but qu’il s’est fixé.

Phase pré-décisionnelle

57 Les auteurs proposent plusieurs méthodes pour induire un état d’esprit plutôt qu’un autre. Par exemple, l’état d’esprit délibératif peut être obtenu en amenant l’individu à réfléchir sur les avantages et les inconvénients à court terme et à long terme d’un changement de comportement. A l’inverse, pour induire l’état d’esprit « implémental », les auteurs proposent de placer l’individu dans une situation dans laquelle il devra choisir entre plusieurs alternatives, c’est-à-dire dans laquelle il devra prendre une décision. Une autre méthode consiste à demander à l’individu d’élaborer un plan d’actions pour traduire une idée ou un projet en actes. Cette deuxième méthode renvoie à la notion d’implémentation d’intention Gollwitzer (1999) qui amène l’individu à réfléchir concrètement sur son comportement en l’insérant dans un contexte précis (« où, quand, comment ? »).

3.2.4. L’engagement et le modèle Rubicon

A plusieurs reprises, Achtziger et Gollwitzer (2008) parlent « d’engagement ».

Lorsque l’individu « franchit le Rubicon » en choisissant un but à atteindre parmi plusieurs possibles, les auteurs indiquent qu’il s’engage à réaliser ce but. Dans leur conception, l’engagement correspond à la formation d’intention dirigée vers un but. Il renvoie au point de transition entre la phase pré-décisionnelle et la phase pré-actionnelle. Les auteurs ne font pas allusion à la notion élaborée par Kiesler (1971). Nous ne pouvons donc pas affirmer que les auteurs donnent à l’engagement le sens que Kiesler (1971) lui accorde.

Il nous semble que les réflexions de ces différents auteurs convergent sur différents points. Quel que soit l’approche, le but de l’engagement est de passer des idées aux actes, des processus intentionnels aux processus de volition. Cependant, nous pouvons également nous demander si l’engagement peut avoir un effet sur le passage de la phase pré-actionnelle à la phase actionnelle. Un individu peut avoir l’intention d’agir et savoir comment procéder sans avoir réussi à « passer le cap ». L’engagement se présenterait alors comme une opportunité à saisir pour enfin mettre en pratique ses idées.

Par ailleurs, les méthodes qui permettent d’induire l’état d’esprit « implémental » sont comparables à certaines techniques d’engagement. Dans les deux approches, il est question de placer l’individu face à plusieurs possibilités et de lui demander de faire un choix parmi les possibilités. Cette procédure n’est pas sans rappeler l’effet de gel mis en évidence par Lewin (1947) qui se produit lorsqu’un individu prend une décision.

58 Les approches que nous venons de présenter ont pour but d’expliquer dans quelle circonstance et pourquoi un individu adopte un comportement. La dimension sociale est présente dans la plupart de ces théories et constitue un facteur déterminant dans l’adoption d’un comportement. Dans la théorie du comportement planifié et dans le modèle d’activation de la norme, les normes subjectives, ce qu’un individu pense que les autres attendent de lui, ont une influence sur l’intention d’agir ou sur les normes personnelles d’un individu.

Dans l’approche comportementaliste classique, l’individu agit pour des raisons qui lui sont externes (récompense, punition). Celles-ci se traduisent par des encouragements ou des pressions pouvant être fixées par une autre personne, un groupe ou une institution pour amener l’individu à se comporter d’une certaine façon.

La théorie de l’engagement met en avant le fait qu’un acte ou une décision sont plus engageants s’ils sont réalisés en public que s’ils sont réalisés de façon anonyme. Un individu ne s’engage pas seulement par rapport à un acte mais aussi par rapport aux personnes devant lesquelles il a pris sa décision. Par ailleurs, les procédures d’engagement sont plus efficaces lorsqu’elles impliquent un groupe d’individu (cf p. 88 pour une présentation des travaux de Wang & Katzev, 1990 ; Cobern, Porter, Lemming & Dwyer, 1995 ; Dejong, 1981).

De même, les théories de changement par étapes insistent sur la dimension sociale.

Dans le modèle transthéorique, le passage d’une étape à une autre peut être facilité par des procédures impliquant des interactions sociales, comme la libération sociale qui consiste à aider un individu dans la même situation que soi. Nous verrons également que les implémentations d’intention, inspirées par le modèle Rubicon, sont plus efficaces si elles sont réalisées en groupe et que leur mise en œuvre implique plusieurs personne (cf p. 99 pour une présentation des travaux de Prestwich & Kellar, 2010).

Ainsi, chacune de ces approches reconnait l’importance de la dimension sociale dans la détermination des comportements d’un individu. Certains chercheurs se sont donc directement intéressés à l’influence que les « autres » (individu, groupe, institution) peuvent avoir sur nos cognitions et sur nos pratiques.

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