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Le modèle en tant qu’outil ou instrument

Evolutions organisationnelles et nouveaux outils de pilotage de la santé : résultats issus de

5.1 Du modèle à l’outil : le niveau de l’organisation comme facteur de contingence

5.1.1 Le modèle en tant qu’outil ou instrument

Une première définition, simple, et indépendante des problématiques gestionnaires, nous amène à considérer l’instrument comme étant plus général et moins précis qu’un outil ; il sera généralement moins compliqué et moins gros qu’un appareil ou une machine. Antoine de Rivardol indique que « l’outil est une machine maniable, dont les arts simples se servent pour faire des travaux communs ; l’instrument est une machine ingénieuse, dont les arts plus relevés et les sciences se servent pour leurs opérations » (de Rivardol, 1827).

5.1.1.1 L’outil de gestion : une double modélisation des « savoirs » et des « relations »

Appliqué aux sciences de gestion, l’outil, en tant qu’instrument de gestion, est partie prenante dans la découverte de l’organisation. En effet, les travaux récents en gestion font état de deux aspects de l’instrumentation, le premier dans le cadre d’une perspective décisionnaire ou stratégique, le second tourné vers le pilotage de la performance (Lorino, 2002). Ces premiers éléments de réflexion nous invitent à dépasser l’approche traditionnelle du contrôle de gestion longtemps tournée vers la seule explication du passé, laquelle semble réduire l’outil à la

176 fonction d’évaluation des résultats ex-post, au profit d’une démarche de type prospectif permettant d’assurer la qualité des choix dans le fonctionnement d’une organisation (Meyssonnier, 1999) ; or si ces choix doivent être fondés sur l’analyse de l’existant, le seul diagnostic de l’organisation ne suffit pas à garantir la pertinence et la qualité de ces choix, encore faut-il tenir compte des conséquences futures et veiller à leur application. Si l’outil de gestion permet la production de l’information par les gestionnaires dans une perspective stratégique, il devient aussi un moyen d’action et d’intervention dans l’organisation. Certains auteurs défendent l’idée selon laquelle l’outil est une représentation spécifique de l’organisation ayant des conséquences sur la vie des organisations (Hopwoood, 1987). Concevoir et mettre en place un outil résulte donc d’un processus dialectique qui permet de comprendre le fonctionnement d’une organisation et le rôle des acteurs (Hatchuel et Weil, 1992, Moisdon, 1997).

Si l’on construit nos définitions autour de la question de l’environnement organisationnel, il n’en demeure pas moins que certains auteurs ne formulent pas de distinction explicite entre outil et instrument. Moisdon (1997)définit ainsi l’outil de gestion comme étant un « ensemble de raisonnements et de connaissances reliant de façon formelle un certain nombre de variables issues de l’organisation, qu’il s’agisse de quantités, de prix, de niveaux de qualité ou de tout autre paramètre, et destiné à instruire les divers actes classiques de la gestion, que l’on peut regrouper dans les termes de la trilogie classique : prévoir, décider, contrôler ». David (1996), le définit alors plus simplement en tant que « dispositif formalisé qui permet l’action organisée ». De ces deux définitions, nous retenons que l’outil est un objet fabriqué, qui n’est pas qu’une simple mise en forme de l’information mais il faut qu’il serve de base ou d’aide dans un raisonnement. En ce sens, un graphique, un dessin, une réunion, un groupe de travail pourraient être considérés comme étant des outils de gestion.

Plusieurs typologies d’outils de gestion sont proposées par les auteurs. Nous en citerons deux, la première est fondée sur une seule dimension, la finalité de l’outil (Moisdon, 1996) et la seconde croise deux dimensions, l’objet des outils et le degré de précision de cet objet (David, 1998).

Moisdon distingue ainsi trois types d’outils :

Les outils d’investigation du fonctionnement organisationnel : ils supposent des tentatives de formalisation de l’activité de l’organisation fondées sur des hypothèses implicites quant aux

177 pratiques instituées et une mise en évidence des écarts avec les modes concrets de segmentation des tâches, de coordination des acteurs ou de l’évaluation de l’activité ;

Les outils d’accompagnement de la mutation : le point de départ est le changement lui- même en lien avec la problématique de l’apprentissage organisationnel ; l’outil de gestion apparaît alors comme étant le support d’une construction progressive de représentations partagées à partir de laquelle se structurent les négociations et les débats contradictoires ;

Les outils d’exploration du nouveau : ils visent à aider à la construction de meilleures images des variables organisationnelles et sur cette base orienter les métiers vers des transformations de leur savoir de base.

David croise quant à lui deux dimensions :

L’objet des outils qui porte sur les « connaissances » et les « relations » ; l’auteur appelle connaissances « l’ensemble des informations, représentations élaborées, transmises, mémorisées par tout ou partie de l’organisation et relations » les différents types de contacts et de connexions, formels ou informels, directs ou non, qui existent entre des acteurs ou groupe d’acteurs de l’organisation » ;

Le degré de précision de cet outil : il parle de cadrage lorsque l’outil n’est défini que dans les grandes lignes et de détail lorsque l’outil est défini de manière détaillée.

Quoi qu’il en soit, qu’ils soient ou non issus d’un modèle et dans un contexte de complexité croissante des organisations et d’un foisonnement d’activités, les outils de gestion constituent nécessairement des synthèses comportant une part irréductible de convention. Ils sont toujours susceptibles de paraître imparfaits à un esprit rigoureux (amortissements linéaires en comptabilité générale, choix d’unités d’œuvre en comptabilité analytique…). En ce sens l’outil n’est plus seulement une représentation simplifiée ; s’il repose sur un modèle, il s’agit surtout d’une représentation provisoire autour de laquelle les acteurs entreprennent par des « apprentissages croisés » (Hatchuel, 1994).

Ce cadre théorique rend compte du rôle des outils de gestion en tant qu’outils d’aide à la décision tournés vers l’anticipation de l’action dans les dynamiques organisationnelles. Le statut de l’outil semble alors osciller entre deux positions théoriques (Lorino, 2002). La première confère à l’outil une fonction de représentation en vue de répliquer la réalité et de la simuler, ces travaux rejoignent la réflexion autour du modèle en gestion ; la seconde considère l’outil de manière plus pragmatique, comme moyen d’action et d’intervention dans les

178 organisations (Moisdon, 1998), au cœur du processus d’apprentissage (Hatchuel et Molet, 1986) ; elle confère alors à l’outil le statut d’instrument de gestion. Autrement dit, l’outil de gestion pourra être vu comme un moyen de comprendre les dynamiques organisationnelles à mi-chemin entre le modèle et l’instrument, au cœur d’un processus en deux temps distinguant conception et utilisation.

Dans le cadre de notre recherche, nous retenons les définitions suivantes :

Le modèle est défini en tant que représentation simplifiée du niveau de l’organisation ; l’enjeu réside dans la simplification de la complexité qui passe nécessairement par des choix méthodologiques et des hypothèses à formuler et expliciter.

L’outil apparaît alors comme étant la traduction du modèle ; il doit être suffisamment générique, suppose une méthode pour pouvoir être reproduit et alimenté de manière homogène entre différentes organisations qui adopteraient le modèle sous-jacent.

L’instrument repose alors sur l’association de l’outil avec les différents schèmes d’utilisation dont il peut faire l’objet. Il doit donc permettre l’adaptation aux facteurs de contingence de l’organisation étudiée et faciliter ainsi l’appropriation par les acteurs utilisateurs, commentateurs de l’outil.

Ces trois notions ont finalement pour principale différence le degré de divergence avec l’organisation. Elles peuvent être considérées comme trois étapes nécessaires, chronologiques, au moins dans un premier temps, à respecter. Pour autant, il va de soi que l’utilisation en tant qu’instrument peut, et doit être la source de modifications du modèle sous-jacent et de l’outil.

La prise en compte du niveau de l’organisation telle que nous souhaitons le faire dans le cas particulier de l’hôpital nous invite alors à placer notre réflexion à la charnière de ces deux positionnements ; nous souhaitons ainsi défendre l’idée selon laquelle l’outil résulte de la traduction d’un modèle mais seule son utilisation garantit l’appropriation par les acteurs.

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5.1.1.2 L’instrument de gestion : du « mythe rationnel » à la dynamique de l’action collective

Les réflexions autour du modèle en gestion posent la question du caractère rationnel du modèle, qui constitue un moyen privilégié pour concevoir des comportements idéalisés. La confrontation avec les comportements observés permet de construire avec les acteurs une nouvelle vision des contraintes et objectifs d’acteurs spécifiques (Hatchuel et Molet, 1986). Ce modèle n’a de sens qu’au sein d’une interaction avec la structure qui tient compte des composantes organisationnelles, sociologiques, économiques et psychologiques de l’organisation. C’est à cette seule condition que des solutions pourront être déduites des calculs effectués par les outils et les comportements adéquats observés. Hatchuel explique alors que le modèle doit être constitué comme un « mythe rationnel » ; le mythe n’étant que la traduction d’une utopie issue de la modélisation de situations humaines, mais devant aboutir à la mise en évidence d’interactions entre acteurs et de déductions traduisant une réalité observée garantes de la rationalité du modèle. Partant de l’hypothèse que l’outil répond à une logique de représentation, il apparaît alors comme la simple traduction formelle du modèle permettant l’exécution du calcul. Mais, si l’implication des acteurs dans l’effort de modélisation semble être une condition nécessaire à l’appropriation de l’outil par ces acteurs, elle n’est pour autant pas suffisante ; à cette phase de conception de l’outil succède une phase d’utilisation. En effet, ce travail de conception pose la question de l’accueil du modèle ; deux comportements peuvent être observés (Hatchuel, Molet 1986).

Un comportement de résistance tout d’abord, de méfiance vis-à-vis du modèle sous-jacent ne permettant pas de considérer les processus organisationnels existants comme des dysfonctionnements ;

Un comportement de renforcement par des acteurs contraints par la stabilité de l’organisation et qui anticipent le potentiel de changement issu du mythe.

Seule l’utilisation du modèle semble pouvoir réduire les comportements de résistance en permettant l’adaptation à une nouvelle vision du réel débarrassée du ressenti des acteurs. S’engage alors un processus d’apprentissage entre concepteurs de l’outil et utilisateurs au sein de l’organisation. Ce processus permet à chacun des acteurs de s’approprier le fonctionnement de l’ensemble de la structure tout en tenant compte de sa logique présente et ainsi de comprendre l’écart entre le ressenti des acteurs et la logique observée.

180 Le passage du modèle à l’outil et son utilisation en tant qu’instrument se veut donc cohérent avec l’objet que nous étudions, le contrôle de gestion appliqué au cas hospitalier et qui débouche sur la question de l’action collective comme finalité du contrôle de gestion, laquelle oblige à remettre en cause un certain nombre d’évidences ou à l’inverse proposer des alternatives à des solutions non applicables au secteur de la santé. La notion d’action collective repose sur un jugement de bon sens, celui d’une complexité des actions humaines qui se traduit par une dimension non plus purement budgétaire ou financière du contrôle de gestion faisant ainsi appel aux ressources humaines.

Les sciences de gestion, en mêlant vision économique et approche sociologique doivent donc penser à la fois les savoirs nécessaires à la construction d’outils de gestion et la formation des structures, c’est-à-dire les relations de dépendance ou de complémentarité qui existent entre acteurs. Si nous postulons que le contrôle de gestion s’inscrit dans une telle perspective, alors il nous faut considérer une nouvelle définition du contrôle de gestion, qui n’est plus l’allocation et l’utilisation efficiente des ressources mais n’exclut pas pour autant, la construction d’outils de calcul des coûts. La difficulté apparaît dès le point de départ de notre réflexion, avant même de traduire le modèle en outil et l’utiliser en tant qu’instrument ; la multiplicité et l’hétérogénéité des savoirs détenus par des acteurs qui entrent en relation sont difficiles à agréger au sein d’un modèle et rendent difficiles la description du processus de conception du contrôle de gestion qui pourrait en découler.

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