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Un contrôle de gestion sociale : du pilotage de la performance à la dynamique de l’action collective

Chapitre 4 Structure et fonctionnement de l’hôpital : l’ouverture de l’hôpital comme facteur de rationalisation des organisations de santé ?

2.2 La dimension humaine du contrôle de gestion source de difficultés

2.2.2 Un contrôle de gestion sociale : du pilotage de la performance à la dynamique de l’action collective

Le point commun à l’ensemble des évolutions du contrôle de gestion tant dans les missions imparties au contrôleur de gestion que dans les outils dont il dispose repose sur l’intégration progressive des dynamiques organisationnelles. Or, l’organisation est avant tout composée d’acteurs qu’il convient de manager. Les Ressources Humaines, en tant que discipline ou fonction revêtent alors un rôle fondamental. Les dimensions humaines et sociales du contrôle de gestion qui en découlent peuvent être abordées à travers plusieurs points d’entrée, comportementaux, sociopolitiques et organisationnels. Burlaud (1993) met ainsi en avant le concept de « mise sous tension » de l’organisation comme finalité propre au contrôle de gestion. Ce concept permet d’appréhender l’une des finalités du contrôle de gestion comme outil de management du personnel ce qui suggère de s’intéresser au contrôle de gestion sociale tel que mis en évidence par Martory (2001).

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2.2.2.1 Les ressources humaines : une « technologie invisible » qui impose une « mise sous tension » de l’organisation

La « mise sous tension » de l’organisation telle que mise en évidence par Burlaud apparaît comme une « technologie invisible » (Berry, 1983) dans la mesure où la seule performance des machines, mesurée par des outils de gestion peut être inexploitée ou inefficace si l’organisation humaine ne permet pas d’en tirer parti. Il s’agit donc de l’utiliser comme un outil de motivation du personnel en s’appuyant sur deux volets : la sanction et la récompense. Or la sanction dissuade de mal faire mais n’incite pas à bien faire alors que la récompense encourage à bien faire mais n’a pas d’effet incitatif pour celui qui dès le début renonce à la récompense. Le contrôle de la gestion d’une organisation suggère donc la combinaison de ces deux mécanismes qui nécessite une évaluation des performances.

Pour autant, outre des difficultés d’évaluation individuelle des performances qui peuvent apparaître, préalable indispensable à la mise en œuvre de sanctions et récompenses, un problème de recrutement et d’intéressement collectif peut générer des tensions et rendre difficile l’orientation du comportement des individus. Ainsi, outre l’évaluation ex-post, la question doit être posée en amont à des fins incitatives.

Si l’on met en relation contrôle de gestion, stratégie et motivation du personnel, il y a un impact en termes de management ; les travaux de Drucker (1954) qui a initié la réflexion autour d’une Direction Participative Par Objectifs semblent (DPPO) fait la synthèse de cette réflexion théorique. Or celle-ci ne doit pas être confondue avec l’intéressement financier ou une simple Direction Par Objectifs (DPO) assortie d’une participation aux résultats. La participation porte en priorité sur la détermination des objectifs. La signature de contrats par pôle constitue ainsi un cadre privilégié pour introduite cette logique de DPPO au sein d’un dialogue de gestion portant en amont sur la fixation d’objectifs adaptés. Pour autant le mécanisme de responsabilisation sous-jacent à la DPPO suppose de donner les moyens nécessaires aux acteurs leur permettant d’atteindre les objectifs fixés.

Cette « mise sous tension » doit également être comprise comme une construction qui résulte de la mise en place de doubles contraintes résultant d’injonctions contradictoires telles que respecter les délais tout en respectant des normes de qualité contraignantes. Le triangle CQD (Coût Qualité Délai) oblige à réduire les coûts tout en améliorant la qualité et en respectant les délais. Cette problématique est particulièrement pertinente à l’hôpital.

95 A la lumière de ces deux éléments, il apparaît donc que la « mise sous tension » est un moyen de lier des perspectives à court et à moyen terme afin d’interconnecter stratégie et quotidien. Or ces deux dimensions semblent une fois encore restreintes à la connaissance des coûts en vue d’actions au quotidien pour limiter ces coûts. Qu’en est-il si ces coûts sont difficiles à évaluer ? Quels indicateurs peut-on décliner pour mettre en œuvre un « pilotage socio- économique » ? C’est à cet enjeu que répond le contrôle de gestion sociale.

2.2.2.2 Entre maîtrise des coûts cachés et pilotage de la performance : l’émergence du contrôle de gestion sociale

L’ISEOR (Institut de Socio-Economique des Entreprises et des Organisations) et Savall ont eu pour mérite d’attirer l’attention des gestionnaires sur des coûts dits cachés que nous avons définis précédemment. Or, les dysfonctionnements à l’origine de ces coûts sont au nombre de cinq et sont liés aux personnels : l’absentéisme, les accidents du travail, la rotation du personnel, les défauts de qualité et les écarts de productivité.

A partir d’une telle vision socio-économique, d’autres dysfonctionnements pourraient être retenus tels que les grèves ou l’incapacité à gérer le recouvrement des créances par exemple. Quoi qu’il en soit, l’organisation ne pouvant se laisser paralyser par de tels dysfonctionnements, deux types d’actions de régulation se développent, des activités humaines d’une part, tel que le temps passé par l’encadrement à organiser le remplacement des personnes, des activités de consommation de produits d’autre part, tels que les matières premières ou pièces perdues du fait des défauts de qualité de fabrication.

Il en résulte un coût pour chacune de ces activités :

Des sursalaires lorsque la personne qui in-fine réalise le travail est surqualifiée et donc mieux payée que celle qui le fait normalement ;

Des surconsommations de matières premières et pièces ou services payés inutilement du fait de ces dysfonctionnements ;

Des non production qui se traduisent en termes de coût d’opportunité ou de manque à gagner lorsque les dysfonctionnements ont fait manquer des ventes ;

96 On comprend ainsi, le développement d’une forme nouvelle de contrôle de gestion, celle d’un contrôle de gestion sociale. Cette analyse des coûts cachés nous semble être une grille de lecture pertinente pour comprendre les dysfonctionnements qui existent au sein de l’organisation de l’hôpital qui résultent de nombreux facteurs (la spécificité du client en tant que patient, les tensions sur le personnel en sont quelques exemples).

Pour autant, nous ne souhaitons pas réduire cette vision des ressources humaines en des termes péjoratifs, les ressources humaines étant bien évidemment aussi les garants de la performance de l’organisation, la stratégie étant déclinée au niveau opérationnel.

Longtemps mises de côté, les ressources humaines ont souffert de ne pouvoir mesurer avec fiabilité leurs contributions à la performance de l'entreprise. C'est pourquoi elles se dotent aujourd'hui d'outils de plus en plus performants qui permettent de les intégrer au mieux au contrôle de gestion.

Le contrôle de gestion sociale n'est pas un fait nouveau. Cette problématique trouve ses origines dans les expérimentations en matière de comptabilisation des ressources humaines menées aux États-Unis dans les années 1960. La législation sur le bilan social a donné une forte impulsion à la recherche d'indicateurs sociaux en France depuis les années 1970 et les nouveaux concepts émergeants de responsabilité sociale et de développement durable dans l'entreprise accentuent ce phénomène.

Bernard Martory (2001) fait la synthèse en définissant le contrôle de gestion sociale comme étant « une des composantes et une des extensions du contrôle de gestion. C’est un système d‘aide au pilotage social de l’organisation ayant pour objectif de contribuer à la gestion des ressources humaines dans leurs performances et leurs coûts ».

La prise en compte de la dimension humaine telle que nous l’avons ainsi mise en évidence confirme cette nécessaire évolution du contrôle de gestion se rapprochant du pilotage de la performance et illustre ainsi le passage du contrôle de gestion dans son ensemble du statut de technique dominée par les outils à celui d’une discipline tournée vers le management.

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Conclusion du chapitre 2

La question que nous nous posions au départ est relativement simple « Qu’est-ce que le contrôle de gestion ? ». La littérature en sciences de gestion apporte quelques éléments de réponse à cette question en déclinant le rôle du contrôle de gestion autour de trois finalités, en tant qu’élément clé de la construction de la stratégie, outil d’aide à la décision et support au dialogue de gestion. Les missions du contrôle de gestion peuvent se résumer en trois catégories(Bouquin, 1997).

Optimisation des processus : elle doit permettre l’harmonisation entre stratégie et fonctionnement quotidien ;

Socialisation des managers : elle passe par une identification de leurs missions et les moyens qui leur sont délégués ;

Gouvernance : elle vise à permettre aux dirigeants de déléguer sans pour autant être coupés des opérations.

De manière plus pragmatique et pour permettre son analyse dans le cas de l’hôpital, nous le définissons dans un premier temps de manière très simple, comme étant un autocontrôle. Or, les procédures d’autocontrôle mises en place au sein des entreprises s’apparentent à un mode de régulation « bureaucratique » des organisations, critique largement dénoncée à l’encontre de l’hôpital public. Ces procédures s’appuient sur un système d’information interne qui a lui aussi évolué en passant d’une comptabilité industrielle, à une comptabilité analytique d’exploitation, puis à l’analyse des coûts (ou encore analyse et contrôle des coûts), et enfin à la comptabilité de gestion. Ce changement de vocabulaire est aussi significatif de la progression de cette technique qui ne s’appliquait initialement qu’à l’industrie et s’applique aujourd’hui à toutes les organisations.

Dans notre cas, nous ne considérons jusqu’ici que la seule comptabilité, une comptabilité de flux qui, de manière générique, met en relation des consommations de facteurs (inputs) avec des produits (outputs) sans décrire une situation patrimoniale, objet de la comptabilité générale. Le concept central est, nous l’avons vu, celui de coût, qui bien que résultant d’un calcul interne à l’organisation, reste un objet de contrôle. Pour autant, si le coût est l’objet de contrôle, ne peut-il pas aussi être la source d’un contrôle au sein de l’organisation qui même a pu faire l’objet d’un enrichissement :

98 Un contrôle programmé qui repose sur un calcul régulier, souvent mensuel des coûts et de leur variation ;

Un contrôle adaptatif basé sur une adaptation des conditions d’exploitation, c’est-à-dire un comportement réactif, dès lors que les coûts sont jugés suffisamment significatifs ;

Un contrôle anticipé sur la base d’un projet décliné en étapes dont les écarts permettent de modifier ou ajuster la stratégie.

De cette évolution de la notion de contrôle, nous en déduisons un élargissement de son champ d’application qui ne se limite plus aux seuls services de production, un éloignement de l’horizon temporel cohérent avec son orientation stratégique et enfin une diversification de ses méthodes qui, partant des techniques comptables, ont progressivement intégré le calcul économique et la gestion des ressources humaines. La finalité même du contrôle de gestion évolue donc : de l’allocation des ressources, il passe au pilotage de la performance, laquelle rend alors nécessaire une prise en compte des dynamiques de l’action collective.

C’est dans ce contexte que nous souhaitons positionner le contrôle de gestion à l’hôpital, avant même d’en élargir le contenu. Rappelons dès lors, que s’agissant d’un autocontrôle de l’organisation, il porte sur ses performances et non sur la régularité des opérations ou de leur enregistrement. Longtemps confiné à la seule allocation des ressources, comme en témoigne notre analyse des outils de comptabilité analytique hospitalière, il est positionné aujourd’hui comme un élément essentiel du pilotage médico-économique et son corollaire, la recherche de la performance.

Au final, la conclusion que nous tirons de cette revue de littérature nous semble essentielle pour en décliner quelques principes à l’hôpital, dont nous venons d’ailleurs de démontrer la légitimité. Si l’ambition poursuivie consiste à traiter du fonctionnement des organisations, nous ne pouvons ni présenter les techniques d’analyse des coûts de façon isolée, ni développer une théorie du contrôle de gestion sans nous appuyer sur une comptabilité de gestion.

Une fois acquis ce rôle de l’organisation, nous comprenons bien que la place et le rôle du contrôleur sont très différents selon le type de structure dans laquelle il s’insère. L’idéal type de la bureaucratie professionnelle développée par Mintzberg (1982) reste un modèle de référence pour analyser l’organisation hospitalière. Cette dernière est, en effet, caractérisée

99 par une ligne hiérarchique courte, principalement du fait de l’asymétrie d’expertise entre l’administration « profane » et les médecins (de Pouvourville et Tedesco, 2003).

Le contrôleur de gestion, est positionné de par sa fonction au sein de la technostructure. Quelle légitimité peut-il en tirer ? Que peut dire un contrôleur à un médecin ? Celui-ci peut l’utiliser de façon efficace mais il reste subordonné aux professionnels dont il comprend mal l’activité. Peut-envisager une déconcentration de la fonction au niveau du pôle ? Le contrôleur est entièrement dépendant du noyau opérationnel. De plus, son travail a des conséquences sur l’activité des autres membres de l’organisation, en aval, en permettant de juger des résultats de l’action des acteurs opérationnels et en amont , en intervenant en tant que conseiller, le contrôleur de gestion ne décide pas mais il aide à la décision. Plus que la mise en œuvre des outils traditionnels du contrôle de gestion, l’une de ses fonctions principales consiste à modéliser ; de cette modélisation vont dépendre les choix stratégiques et le pilotage au quotidien de l’organisation. C’est à cet enjeu que notre recherche doit répondre.

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Chapitre 3. Diagnostic de la fonction contrôle de gestion à l’hôpital :

écueils, alternatives et enjeux

3.1 Les écueils du contrôle de gestion à l’hôpital... 103

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