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Harris et al. (2004) proposent un modèle théorique basé sur les recherches fondamentales en psychologie sociale. Leur modèle identifie trois antécédents situationnels (les caractéristiques démographiques, l’intention du recruteur et le préjudice perçu par la décision) et deux facteurs individuels (l’identification au groupe et l’humeur) (cf. Figure 4).

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Démographie candidat-recruteur : Sous cet intitulé, Harris et al. (2004) rappellent les principaux résultats du modèle des prototypes (Inman, 2001; Inman & Baron, 1996; Inman et al., 1998) déjà développé dans le premier chapitre de cette thèse, qui stipule que les individus ont des attentes vis-à-vis de qui est susceptible de les discriminer. Ces attentes sont liées aux relations de pouvoir intergroupes, tel que les membres du groupe A auront des attentes d’être discriminés par le groupe B si celui-ci a historiquement plus de pouvoir que les membres du groupe A dans un contexte précis. Harris et al. (2004) proposent également que dans le contexte actuel, il soit possible qu’un candidat apprenne qui a été recruté et alors les caractéristiques démographiques du candidat accepté pourraient influencer les perceptions de discrimination de ce candidat.

Figure 4

Schéma du modèle des prototypes de Harris, Lievens et Van Hoye (2004)

Les perceptions d’intentionnalité et de préjudice : Pour ce point, Harris et al. (2004) se basent essentiellement sur les résultats et les conclusions de Swim et al. (2003), qui ont mesuré

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l’effet de l’intention et du préjudice perçus sur la détection de la discrimination. Dans le contexte du recrutement, les candidats pourraient chercher à expliquer le comportement du recruteur, en essayant d’inférer leurs états mentaux ou en trouvant une explication causale historique (Malle, Knobe, O’Laughlin, Pearce, & Nelson, 2000). La représentation des états mentaux réfère à des croyances conscientes qu’aurait le recruteur (les femmes sont moins performantes sur ce type de poste), alors qu’une explication causale historique réfère à des facteurs sous-jacents (personnalité ou d’autres facteurs dispositionnels) qui ont mené le recruteur à faire un comportement, mais qui ne sont pas directement la cause de celui-ci (le recruteur est moins à l’aise avec les femmes, il a donc préféré son interaction avec George et l’a embauché). Selon le type d’explication causale que l’on fait du comportement du recruteur, les candidats pourraient percevoir plus ou moins de discrimination. Harris et al. (2004) proposent que l’intentionnalité se forme au niveau du feed-back donné. En effet, comme nous l’avons déjà décrit dans le premier chapitre de cette thèse, Swim et al. (2003) font varier les justifications des comportements discriminatoires pour induire des perceptions d’intentionnalité différentes. Selon cette perspective, c’est donc la justification donnée aux candidats par le recruteur qui pourrait modifier l’intentionnalité perçue par les candidats.

Les différences individuelles : Harris et al. (2004) proposent que l’identification au groupe dont nous avons discuté précédemment (Operario & Fiske, 2001), ainsi que l’humeur soient des marqueurs de différences individuelles dans la formation des perceptions de discrimination (Sechrist, Swim, & Mark, 2003). Sechrist et al. (2003) ont montré qu’une humeur négative (induite expérimentalement) mène à plus d’attributions à la discrimination que l’induction d’une humeur positive. Harris et al. (2004) proposent donc que l’humeur puisse être un facteur indirect dans la formation des perceptions de discrimination et qu’elle puisse influencer la façon dont on perçoit l’intention du comportement.

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3.1.1.1. Critique du modèle

Le premier modèle que Harris et al. (2004) nomment « basé sur les prototypes » s’appuie sur une petite partie des recherches sur les perceptions de discrimination. En effet, nous avons vu dans le premier chapitre de cette thèse que de nombreux facteurs contribuent à la formation des perceptions de discrimination (conscience du stigmate, croyance legitimatrice du statut, caractéristiques du stigmate, etc. …) et que ces perceptions peuvent être minimisées. Nous pensons de même qu’il ne s’agissait pas des recherches les plus pertinentes pour étudier les perceptions de discrimination au recrutement. Au vu de l’objectif de leur article, qui est d’identifier les facteurs qui « vont amener les individus à percevoir que la discrimination (fondée sur son origine, son sexe, son âge ou une autre caractéristique) est la cause de leur rejet » (Harris et al., 2004, p. 55), il est surprenant que les auteurs aient construit leur modèle exclusivement sur des recherches ayant utilisé une méthodologie expérimentale très peu écologique. En effet, les différentes études citées (Inman & Baron, 1996; Inman et al., 1998; Swim et al., 2003) utilisent des scénarios et mettent les participants en situation d’observateurs, ce qui est très éloigné d’une méthodologie écologique, contrairement aux différentes études de Major et collaborateurs (Major et al., 1994; Major, Kaiser, O’Brien, & McCoy, 2007; Major, Quinton, et al., 2003; Major & Townsend, 2000). En effet, dans ces études les participants subissent un rejet, un feed-back négatif dont la cause peut être expliquée par l’appartenance a un groupe stigmatisé ou aux préjugés du décisionnaire.

De plus, les études citées par Harris et al. (2004) étudiaient la détection de la discrimination plutôt que le ressenti des victimes (Inman & Baron, 1996; Inman et al., 1998; Swim et al., 2003), alors que les recherches portant sur l’attribution à la discrimination, étudient directement les perceptions de la victime de discrimination et non celle d’observateurs (Crocker et al., 1991; Eliezer, Major, & Berry Mendes, 2010; Major et al., 1994). Leur modèle accorde une importance particulière à l’intentionnalité perçue, en proposant que les facteurs individuels

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(l’humeur et l’identification au groupe) puissent modifier la façon dont est perçue l’intention du recruteur. Nous pensons qu’il s’agit d’une piste intéressante, mais que celle-ci est plus compatible avec l’étude du concept d’attribution à la discrimination. En effet, les recherches sur les intentions perçues et l’attribution causale proviennent toutes les deux d’un même socle théorique (théorie de l’esprit et des représentations mentales d’Heider, 1958) (Malle, 2011; Reeder, 2013). Néanmoins, Harris et al. (2004) mentionnent également en conclusion l’existence de la perspective de l’attribution à la discrimination comme étant un autre cadre de référence possible.