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Notre premier objectif est de savoir si la présence de questions inappropriées dans le contexte du recrutement donne un indice sur les caractéristiques démographiques de la cible. La théorie du prototype stipule que les individus ont des attentes sur les caractéristiques démographiques de la victime de discrimination et sur celle « du bourreau » (« perpetrator ») dans un contexte particulier (Inman & Baron, 1996; Inman et al., 1998). Les questions inappropriées ont tendance à demander à certaines personnes de révéler un stigmate invisible (« Avez-vous des problèmes de santé ? ») ou de confirmer celui qui l’est moins (« Quel est votre âge ? »). Nous faisons l’hypothèse que la présence de questions inappropriées ciblées sur un stigmate pourra donner un indice contextuel à l’observateur afin de détecter la cible de ces questions.

Les femmes sont en effet généralement plus pénalisées dans le monde professionnel que les hommes par le fait d’avoir des enfants, surtout si ceux-ci sont en bas âge (Heilman & Okimoto, 2008). Crosby, Williams et Biernat (2004) parlent d’un « mur de la maternité » (maternity wall). Les stéréotypes sur les mères au travail renvoient l'idée que celles-ci sont moins disponibles, plus absentes et moins impliquées dans leurs postes (King & Botsford, 2009), ces stéréotypes négatifs vont alimenter un nouveau type de stigmate, celui de la flexibilité (flexibility stigmate) qui pénalise les personnes qui demandent un aménagement du temps de travail pour s’occuper de leurs responsabilités familiales (Williams, 2000, cité dans Rudman & Mescher, 2013). Par exemple, la question « Avez-vous des enfants ? » n’a pas les mêmes implications dans un contexte social ordinaire comparativement à un contexte du recrutement où les femmes sont stigmatisées. Les stigmates du genre et de l’âge dans les

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contextes professionnels sont connus dans la société, et ces types de discriminations sont fréquemment reportés par les victimes et les témoins (8ème baromètre du défenseur des droits-

OIT, 2015).

Le recrutement est une situation d’échange d’information, selon la théorie du signal, le recruteur et les candidats vont s’adapter selon les informations reçues précédemment (Bangerter, Roulin, König & König, 2012). Dans le contexte spécifique du recrutement, les questions inappropriées pourraient donc être un indice et donner une indication sur le genre et l’âge du candidat ciblé par ces questions. En effet, il est donc plus probable que certaines questions soient plus posées à certaines personnes. Nous pensons que les questions inappropriées peuvent plus facilement être reliées à la visibilité du stigmate, demander à quelqu’un qui semble avoir moins de 30 ans, « Il vous reste combien d'années de cotisations avant la retraite ? », semble moins probable que de poser cette question a quelqu’un qui a plus de 50 ans.

H1 : On s’attend à ce que dans la condition des questions inappropriées ciblées sur les la situation familiale, les observateurs perçoivent davantage que la cible de ces questions est une femme comparativement à la condition contrôle et à la condition des questions ciblées sur les travailleurs âgés.

H1bis : On s’attend à ce que dans la condition des questions inappropriées ciblées sur les travailleurs âgés, les observateurs perçoivent davantage que la cible de ces questions a plus de 40 ans comparativement à la condition contrôle et à la condition des questions ciblées sur la situation familiale.

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Impact sur la détection de la discrimination

Les questions inappropriées amènent les candidats à donner des informations concernant leur appartenance à un groupe protégé par la loi et/ou stigmatisée. Ce qui peut donner l’impression aux candidats que la décision de sélection est influencée par les stéréotypes négatifs qui sont associés à leur groupe, et donc mener à de la discrimination. Nous souhaitons donc étudier l’impact de la présence de questions inappropriées sur la détection et la perception de la discrimination.

Cihangir, Barreto, et Ellemers, (2010) ont utilisé des questions inappropriées pour induire une situation de discrimination (ambiguë ou évidente). Dans un contexte de situation d’évaluation, les candidates devaient tout d’abord remplir un CV puis répondre à des questions en ligne. Elles étaient également informées qu’elles seraient évaluées par un recruteur (Paul, 30 ans). Les dix questions utilisées faisaient indirectement référence aux stéréotypes de genre, « Est-ce que vous vous habillez toujours de façon attractive afin d’influencer les autres ? », « Êtes-vous souvent sous le coup de l’émotion au travail à cause de quelque chose que vous n’arrivez pas à gérer ? », ou « Pensez-vous qu’il est difficile de combiner la vie de famille avec votre carrière ? ». Dans la condition où la discrimination est considérée comme non ambigue, le feed-back négatif faisait référence au genre de la candidate pour expliquer la décision (condition de discrimination claire) soit aucune référence au genre n’était faite dans le feed- back (dans la condition catégorisée comme "ambiguë"). Dans l'étude pilote (Cihangir, 2008), il y a bien une différence significative entre ces deux conditions sur les perceptions de discrimination tel que le feed-back impliquant le genre rend la perception de discrimination plus certaine. Dans les deux conditions, où les questions portaient sur des stéréotypes féminins, les participantes percevaient plus de discrimination que dans la condition contrôle où les 10

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questions d’entretien étaient neutres. Les résultats de cette étude appuient notre hypothèse que les questions inappropriées pourraient être un signe de discrimination.

H2 : L’entretien de recrutement contenant des questions inappropriées ciblées sur la situation familiale sera évalué comme plus discriminant que l’entretien sans questions inappropriées (groupe contrôle).

H2bis : L’entretien de recrutement contenant des questions inappropriées ciblées sur les travailleurs âgés sera évalué comme plus discriminant que l’entretien sans questions inappropriées (groupe contrôle).