• Aucun résultat trouvé

La simulation numérique de la fragmentation aérodynamique d’une goutte liquide est une opération complexe qui nécessite de résoudre des mécanismes propres à différentes physiques sur des échelles de temps et d’espace très disparates. Néanmoins, les modèles numériques sont des outils

inévita-bles quant à la caractérisation de phénomènes dont la dynamique dépasse nettement les limites tech-nologiques des diagnostics optiques actuellement opérationnels. Suite à une revue des différents codes numériques open-source disponibles et adaptés à la thématique, le code ECOGEN (Evolutive Com-pressible Open-source Genuine Easy N-phase) [119], dédié à la simulation des écoulements compress-ibles multiphasiques et développé en partenariat avec l’Université d’Aix-Marseille (France), le Caltech (Pasadena, USA) et le CNES (France), a été choisi comme outil numérique en complément des outils expérimentaux développés et exploités dans cette thèse.

Le modèle utilisé ici est un modèle aux interfaces diffuses basé sur une extension du modèle de Kapila et coll. [58, 115]. Pour assurer la stabilité du schéma numérique et sa robustesse, un modèle en déséquilibre de pression couplé à une méthode de relaxation des pressions [115] est utilisé. Le modèle de Schmidmayer et coll. [118] est utilisé pour la modélisation de la tension de surface tandis que les effets visqueux sont modélisés suivant une extension des modèles en équilibre de pression (vers une modélisation en déséquilibre de pression) de Thévand et coll. [139], Périgaud et Saurel [90] et Coralic et Colonius [20].

Pour deux phases données, le modèle multiphasique en déséquilibre de pression, visqueux et avec tension de surface s’écrit

∂α1 ∂t +u⋅ ∇α1 = µ(p1−p2), (2.17) ∂α1ρ1 ∂t + ∇ ⋅ (α1ρ1u) = 0, (2.18) ∂α2ρ2 ∂t + ∇ ⋅ (α2ρ2u) = 0, (2.19) ∂ρu ∂t + ∇ ⋅ (ρu⊗u+pI+Ω−τ) = 0, (2.20) ∂α1ρ1e1 ∂t + ∇ ⋅ (α1ρ1e1) +α1ρ1⋅u = −µpI(p1−p2) +α1τ1∶ ∇u, (2.21) ∂α2ρ2e2 ∂t + ∇ ⋅ (α2ρ2e2) +α2ρ2⋅u = −µpI(p1−p2) +α2τ2∶ ∇u, (2.22) ∂c ∂t+u⋅ ∇c = 0, (2.23)

où αk, ρk, eket pk sont la fraction volumique, la densité, l’énergie interne et la pression de la phase k. Les variables associées au mélange des phases pour la densité, la pression et la vitesse sont respective-ment notées ρ, p et u, et données par

ρ= 2

k=1

αkρk et p= 2

k=1

αkpk. (2.24)

Le tenseur capillaire [66, 118] s’écrit

Ω= −σ(∣∣∇c∣∣I− c⊗ ∇c

où σ est le coefficient de tension superficielle et c est une fonction couleur3. Le tenseur des contraintes visqueuses est donné par

τ =2η(1

2[∇u+ (∇u)] −1

3(∇ ⋅u)I), (2.26)

où η est la viscosité dynamique du mélange. Le coefficient de relaxation des pressions est donné par µ et la pression interfaciale pI est telle que

pI= z2p1+z1p2 z1+z2

, (2.27)

où zk = ρkak est l’impédance acoustique de la phase k, avec ak la vitesse du son dans k. Dans ce modèle, du fait de la différence de pression entre les deux phases, p1 ≠p2, l’équation d’énergie totale du mélange est remplacée par l’équation d’énergie interne pour chacune des phases. La tension de surface étant une caractéristique du mélange n’intervenant qu’aux interfaces entre les deux fluides, on remarque que ses effets sont absents dans les équations d’énergie phasique. L’équation de l’énergie totale du système peut alors être écrite sous la forme usuelle suivante

∂ρE+εσ

∂t + ∇ ⋅ [(ρE+εσ+p)u+Ω⋅u−τ⋅u] =0, (2.28) où l’énergie totale et l’énergie interne sont respectivement données par

E=e+12∣∣u∣∣2 et e=∑2

k=1

Mkekk, pk). (2.29) On notera que l’équation (2.28) est redondante lorsque les deux équations d’énergie interne propre à chaque phase sont résolues. Elle est cependant nécessaire afin d’assurer la conservation de l’énergie et la résolution des ondes de choc. Le terme ekk, pk)dans l’expression de l’énergie interne est déterminé à partir d’une équation d’état et Mk, la fraction massique, est donnée par Mkkρk/ρ.

Ici, dans le cadre de la fragmentation aérodynamique d’une goutte liquide, un système diphasique gaz-liquide est considéré. La phase gazeuse, identifiée par l’indice g, est modélisée par l’équation d’état des gaz parfaits

pg= (γg−1)ρgeg, (2.30) où γg = 1.4. La phase liquide, identifiée par l’indice l, est quant à elle modélisée par une équation d’état de type stiffened-gaz donnée par

pl= (γl−1)ρlel−γlπ, (2.31) où γl=6.12 et π =3.43×108 Pa[20, 77, 79].

Plus concrètement et d’un point de vue numérique, ce modèle est résolu suivant trois étapes : traite-ment des ondes acoustiques du système, résolution des effets capillaires et visqueux et enfin relaxation de la pression. La résolution du modèle hyperbolique en déséquilibre de pression est réalisée par une

3La fonction couleur c est une variable distincte de la fraction volumique α1 de sorte à permettre l’analyse

méthode de type Godunov. À l’interface des éléments de volume, le problème de Riemann associé est résolu avec un solveur de Riemann approché de type HLLC (Harten-Lax-van Leer Contact). Un schéma MUSCL (Monotonic Upstream-centered Scheme for Conservative Laws) du second ordre pro-posant une intégration temporelle en deux étapes est utilisé (la première étant une étape prédicative pour la seconde) et la reconstruction habituelle MUSCL, linéaire par morceaux, est employée pour déterminer les variables primitives du système [119]. De plus, le limiteur de pente monotonized central est combiné à une méthode de raidissement d’interface THINC (Tangent of Hyperbola for INterface Capturing) [123] pour minimiser la diffusion de l’interface. Afin de résoudre les larges échelles de temps et d’espace induites par la dynamique des ondes de choc et des interfaces, une technique de raffinement adaptatif du maillage est utilisée [117]. Le critère de raffinement est basé sur la variation de la fraction volumique, la densité, la pression et la vitesse.

Le code open-source ECOGEN a été validé [118], vérifié et testé pour différents problèmes physiques comme, entre autres, l’interaction d’une bulle de gaz avec une onde de choc plane ou encore la fragmen-tation d’une colonne d’eau soumise à un écoulement gazeux rapide [118, 94, 117, 116]. La validation du code pour la simulation numérique de la fragmentation aérodynamique d’une goutte d’eau (simulation 3D) est réalisée dans le cadre de ce travail de thèse (voir section 4.2.1.2).

Chapitre 3

Interaction choc–goutte

Sommaire

3.1 Définition du problème numérique . . . 79 3.2 Dynamique des ondes dans la phase gazeuse . . . 79 3.2.1 Réflexion d’onde sous incidence oblique et critères de transition 80 3.2.2 Réflexions d’onde sur une surface convexe cylindrique . . . 81 3.3 Dynamique des ondes dans la phase liquide. . . 85 3.3.1 Transmission d’énergie de l’onde de choc à la goutte . . . 85 3.3.2 Modélisation théorique des réflexions premières et secondes . 88 3.3.3 Simulations numériques 2-D axisymétriques . . . 94 3.4 Vers un processus de cavitation. . . 97 3.4.1 Principe physique de la cavitation . . . 99 3.4.2 Effet du nombre de Mach de l’onde de choc incidente . . . 100 3.4.3 Conséquence de la cavitation sur le processus de fragmentation 102

L

’écoulement gazeux à l’origine de la fragmentation aérodynamique d’une goutte peut être généré suivant différentes méthodes (p. ex., soufflerie, tube à choc, jet gazeux ou encore chute libre) dont le choix est généralement dicté par les motivations de recherche. Typiquement, les applications en lien avec les écoulements compressibles supersoniques privilégient les écoulements induits par onde de choc. Cependant, l’influence de l’onde de choc incidente sur la goutte et sur les processus de fragmentation n’a jamais véritablement fait l’objet d’efforts de recherche particuliers. La première raison à cela est que le temps nécessaire à l’onde de choc pour se propager sur toute la longueur de la goutte est bien plus faible que le temps de relaxation de la goutte [1]. La surface de la goutte n’est pas perturbée par son interaction avec l’onde de choc. La fragmentation aérodynamique, à proprement parler, commence donc lorsque la goutte subit l’écoulement post-choc et que les premières déformations de la surface

se manifestent. Ainsi, la grande majorité des études sur le sujet ne discute pas de l’interaction choc-goutte en elle-même. C’est d’ailleurs ce que nous ferons dans le chapitre suivant. La seconde raison se trouve dans la différence d’impédance entre la phase gazeuse et le liquide. Par définition, l’impédance acoustique Zm du milieu m est définie comme le produit de sa densité ρm avec la célérité locale du son cm. On observe alors que l’impédance acoustique de l’eau (Zl) est quatre ordres supérieurs à celle de l’air (Zg)

Zggcg∝102

Zllcl∝106 } Ô⇒ Zg/Zl∝10−4. (3.1) Par conséquent, la quantité d’énergie transmise à la goutte d’eau, donnée par le rapport des intensités entre l’onde de choc incidente et l’onde transmise à la goutte est très faible, environ 0.2 %, le reste de l’énergie étant réfléchi dans la phase gazeuse. Ainsi, on peut naïvement penser que les conséquences de la transmission d’énergie à la goutte ne sont en rien significatives. Cependant, comme nous allons en discuter dans ce chapitre, la réflexion du choc transmis à l’interface eau-air en arrière de la goutte est à l’origine de la formation d’une onde de raréfaction dont la convergence conduit à l’amplification de la détente. La convergence est telle que la goutte fait l’expérience de pressions négatives élevées (quelques MPa) pouvant être à l’origine d’un processus de cavitation et donc à la formation de bulles à l’intérieur de la goutte.

Ce chapitre propose une discussion centrée sur l’interaction entre la goutte et l’onde de choc. Sur la base de la littérature, une première partie est dédiée aux systèmes de réflexion de l’onde de choc incidente dans la phase gazeuse. Nous nous intéresserons notamment aux réflexions (régulières et irrégulières) pouvant se produire à la surface de la goutte. Dans un second temps, nous nous concentrerons sur la transmission de l’onde de choc et les réflexions multiples à l’intérieur de la goutte. La discussion est appuyée d’une modélisation théorique basée sur la théorie de rayons en optique et acoustique géométriques. Sur la base de cette modélisation, un code de tracé de rayon, auquel nous ferons référence dans ce chapitre suivant l’acronyme GART (Geometric Acoustics Ray-Tracing Code), a été implémenté sous Matlab. Ce code permet la construction géométrique du front d’onde transmis et des multiples réflexions, pour une propagation instantanée (p. ex., onde lumineuse) ou dynamique (c.-à-d., onde acoustique). Dans le cas dynamique, les paramètres d’entrée du code sont : la vitesse et le rayon de courbure du front d’onde transmis, les coordonnées du centre de la goutte et son rayon initial. Dans ce chapitre, les tracés de rayons sont complémentaires à des simulations numériques 2-D axi-symétriques. Effectivement, des simulations numériques ont été réalisées avec le code ECOGEN pour des ondes de choc se propageant à un nombre de Mach (Ms) allant de 1.1 à 2.0. L’objectif principal de cette approche numérique est de quantifier le champ de pression à l’intérieur de la goutte et de déterminer le nombre de Mach critique à partir duquel un processus de cavitation devient possible. Enfin, sur la base de la bibliographie, nous terminerons ce chapitre autour d’une brève discussion sur les effets potentiels de la cavitation sur le processus de fragmentation.

Dans ce chapitre, le temps physique t n’est pas adimensionné avec le temps caractéristique de transport d’une goutte trmais par le rapport de la vitesse du son dans l’eau cl=1480 m/savec le diamètre initial de la goutte d0=2 mm. Ainsi, le temps adimensionné ˜t est tel que ˜t=t(cl/d0).

3.1. Définition du problème numérique

Afin d’identifier le nombre de Mach (Ms) critique à partir duquel le processus de cavitation est possible, cinq simulations numériques ont été effectuées pour les nombres de Mach suivant : 1.1, 1.3, 1.5, 1.7 et 2.0. Nous verrons plus tard dans ce chapitre que les réflexions dans la goutte peuvent être traitées en configuration 2-D axisymétrique. C’est ce qui est fait sur le plan numérique (voir le schéma de la configuration numérique sur la figure 3.1). Le domaine de calcul rectangulaire est défini sur

[5d0, 10d0]. Des conditions aux limites non réfléchissantes (non-reflective boundary conditions, NRBC) sont imposées aux bords gauche, droit et supérieur du domaine et une condition de symétrie est imposée au bord inférieur. Les conditions NRBC sont fixées de sorte à ne pas parasiter le calcul par des réflexions d’onde aux bords du domaine de calcul. La goutte d’eau et l’air ambiant devant l’onde de choc sont initialement au repos. À l’état initial, la pression de l’air au repos est à 1 atm et la densité à 1.204 kg/m3. La pression dans l’eau est calculée à partir de l’équation de Laplace-Young est la densité est de 1000 kg/m3. Les conditions post-choc de l’air sont déterminées à partir des relations de saut de Rankine-Hugoniot à travers un choc droit et en fonction du nombre de Mach de l’onde de choc souhaité. La simulation démarre avec la mise en mouvement du choc vers la goutte d’eau permettant d’établir un écoulement gazeux stationnaire autour de la goutte.

Figure 3.1: Configuration numérique des simulations 2-D axisymétriques