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Déstabilisation azimutale d’une onde de Kelvin-Helmholtz

4.3 Discussions et perspectives

4.3.1 Déstabilisation azimutale d’une onde de Kelvin-Helmholtz

Dans une étude portant sur l’atomisation d’un jet liquide assistée par un courant gazeux co-axial, Mar-mottant et Villermaux [75] observent la formation de ligaments périodiquement distribués autour du corps cylindrique du jet. Leurs expériences montrent que ces ligaments sont issus de la déstabilisation

Figure 4.22: (a) Demi-espace supérieur d’un jet liquide dans un écoulement co-axial. (b-c) Schématisa-tion de la modulaSchématisa-tion azimutale transverse. (d) Croissance de la perturbaSchématisa-tion secondaire transverse et entraînement aérodynamique de ses crêtes. (d) Formation et élongation des ligaments. Configuration des travaux de Marmottant et Villermaux [75].

transverse azimutale des ondes de surface générées par le différentiel de vitesse à l’interface liquide-gaz. Ces perturbations, de nature axisymétrique, sont initiées par le développement de l’instabilité de Kelvin-Helmholtz [Fig. 4.22(a)]. En se développant, elles conduisent à l’oscillation de l’interface autour de son altitude de référence r0. La direction de l’accélération transverse de l’interface gt, liée à son mouvement ondulatoire, est alternativement orientée vers le gaz et le liquide. Lorsque l’interface ac-célère en direction de la phase la plus dense, en l’occurrence la phase liquide, elle se déstabilise au sens de Rayleigh-Taylor [101, 132, 70] [Fig. 4.22(b)]. Cette accélération étant en opposition de phase avec l’élévation de l’interface, cette déstabilisation secondaire se manifeste lorsque l’ondulation de l’interface est au voisinage de son altitude maximale rmax. L’instabilité de Rayleigh-Taylor, ainsi initiée, est donc à l’origine de perturbations secondaires transverses aux ondes primaires axisymétriques associées à l’instabilité de Kelvin-Helmholtz [Fig. 4.22(b)-(c)]. Dès lors que l’amplitude de ces perturbations est appréciable [Fig. 4.22(d)], les crêtes formées sont entraînées par l’écoulement gazeux incident et étirées par les forces aérodynamiques [Fig. 4.22(e)]. L’axisymétrie des protubérances formées par la

combi-naison de deux instabilités étant conservée lors de leurs élongations, des ligaments sont formés. Leur longueur est notée l. Les résultats expérimentaux de Marmottant et Villermaux [75] sont soutenus d’une modélisation analytique visant à expliciter les mécanismes sous-jacents à la formation des lig-aments. Dans un souci de concision, nous limiterons la description de cette approche théorique aux relations clefs. Le lecteur est invité à lire les références [74, 75], ainsi que celles qui y sont citées, pour plus de détails.

Figure 4.23: Profil de vitesse linéaire utilisé par Marmottant et Villermaux [75] dans leur analyse de stabilité.

Ondes primaires de Kelvin-Helmholtz. Dans l’hypothèse d’un écoulement potentiel et d’une couche de vorticité infiniment mince (δ → 0), et en l’absence de gravité, la relation de dispersion de l’instabilité de Kelvin-Helmholtz est donnée par la relation [12]

ω=kρ1u12u2

ρ12 ±i k ρ12

ρ1ρ2(u2−u1)2− (ρ12)γk. (4.7) Lorsque la vitesse du liquide3 est négligeable devant celle de l’écoulement gazeux et que le rapport des densités est élevé (ρ2 ≪ ρ1), le nombre d’onde km associé au mode le plus instable et sa vitesse de groupe sont donnés par

km= 23ρ2u22

γ et $= ∂ω∂k =u1+ρ2

ρ1u2. (4.8)

Considérant ensuite une couche de vorticité non nulle caractérisée par un profil de vitesse linéaire par morceaux (Figure 4.23), la relation de dispersion [140, 141, 102] devient

e−2˜k= [1−2(ω˜+˜k u21 u21−1)] 1+ (ρ12+1) (ω˜+ ˜k u21−1) − k˜3 W eδ2 (ω˜+ k˜ u21−1) −1 1+ (ρ12−1) (ω˜+ ˜k u21−1) − k˜3 W eδ2 (ω˜+ k˜ u21−1) −1, (4.9) avec, W eδ2 = ρ2δ2(u2−u1)2 γ , u21= u2 u1, ρ12= ρ1 ρ2, ˜ k=kδ2 et ω˜ = ωδ2 u2−u1. (4.10) Dans l’ordre, les grandeurs définies par (Eq. 4.10) sont : le nombre d’onde et le taux de croissance adimensionnés, le rapport des vitesses gaz/liquide, le rapport des densités liquide/gaz et le nombre de Weber basé sur l’épaisseur de la couche limite dans le gaz δ2. La longueur d’onde associée au mode le plus instable, d’après la relation de dispersion Eq. (4.9) est [62]

˜ λm= 5πδ2 12 ⎛ ⎝5 1 ρ12+ √ 27ρ312−37ρ212+13ρ12+5 ρ12√ 2 ⎞ ⎠, (4.11)

ce qui permet d’écrire, immédiatement, l’expression du nombre ˜kmdonné par le rapport 2π/λ˜m. Enfin, Marmottant et Villermaux [75] proposent une relation de dispersion pour une couche de vorticité épaisse. Cette dernière condition se place dans la limite des grands nombres de Weber où le rapport W eδ2 tend vers 0. Ceci permet de simplifier la relation de dispersion Eq. (4.9) qui devient [140, 141, 75]

e−2ˇk= [1− (2ˇω+ˇk)]1+1212+1)(2ˇω−ˇk) 1+1 212−1)(2ˇω−ˇk), (4.12) où ˇ ω=ω˜−2˜ku2+u1 u2−u1, (4.13)

dans le référentiel se déplaçant à la vitesse moyenne de u2+u1/2. Cette dernière relation de dispersion est une extension des travaux de Rayleigh [100] dans le cas d’un gradient de densité. Le nombre d’onde ˇ

km associé au mode le plus amplifié est donné par (u1 ≪u2) ˇ km32 √ ρ2 ρ1. (4.14)

La vitesse de phase4 correspondante aux équations (4.12) et (4.13) est donnée par la vitesse de convec-tion évaluée à partir de la condiconvec-tion de continuité des contraintes à l’interface des fluides [6, 24] (avec une précision de 10 % pour ρ12≈1000)

ˇ $= ∂ ˇω ∂ˇk∣ ˇ kmρ2u2+ √ρ1u1ρ 2+ √ρ1 . (4.15)

4L’analyse de stabilité [74] de l’écoulement montre, dans la configuration ici discutée, que la vitesse de phase

Accélération de l’interface. L’analyse de stabilité dans le cas d’une couche de vorticité épaisse indique que les perturbations primaires de type Kelvin-Helmholtz se propagent à la vitesse de phase

ˇ

$donnée par la relation (4.15). Notons ωl la pulsation de l’interface liquide-gaz soumise à ces pertur-bations de longueur d’onde λ. En considérant que la vitesse de l’interface est égale à celle du liquide et supposant que ˇ$ ≈ u1+u2

21) dans la limite où u1 ≪ u2 , Marmottant et Villermaux [75] montrent que ωl=2π √ ρ2 ρ1 u2 λ, (4.16)

dans le référentiel du liquide. Dès que les perturbations primaires arrivent à saturation (ce qui est vérifié dès lors que l’amplitude des perturbations primaires, a, atteint l’amplitude de saturation as), la déstabilisation transverse secondaire est initiée. L’accélération transverse de l’interface liquide-gaz est donnée par la dérivée seconde de l’altitude ξ de l’interface par rapport au temps tel que, Marmottant et Villermaux [75] montrent que

g= d2ξ

d2t =asωl2sin(ωlt). (4.17) Ondes secondaires de Rayleigh-Taylor. Lorsque la direction de l’accélération transverse de l’interface g est orientée vers la phase la plus dense (c.-à-d., le liquide), l’interface se déstabilise au sens de Rayleigh-Taylor. La relation (4.17), montrant l’opposition de phase entre l’accélération et l’élévation de l’interface, indique que cette situation se produit lorsque l’interface est à son altitude maximale. Lorsque c’est le cas, une perturbation azimutale peut être amplifiée. Dans le cas d’une interface plane soumise à une accélération constante g, l’analyse de stabilité de Rayleigh-Taylor prévoit une longueur d’onde la plus amplifiée et un taux de croissance temporel de la forme [12]

λ=2π

ρ1g. (4.18)

Notons a l’amplitude de la perturbation azimutale. L’accélération de l’interface n’est dirigée vers le liquide que le temps d’une demi-période. La longueur d’onde correspondant au taux d’amplification le plus important, sur cette demi-période, est celle associée à l’accélération maximale de l’interface, donnée par

amax=aω2l =a(2π$ˇ −u1

λ ), (4.19)

d’après Eq. (4.16). La longueur d’onde associée à l’instabilité azimutale transverse de type Rayleigh-Taylor des ondes primaires de Kelvin-Helmholtz s’écrit, d’après Eqs. (4.18) et (4.19)

λm=2π ¿ Á Á Á À ρ1a(2π$ˇ −u1 λ ). (4.20)

Cette démarche analytique permettant une estimation théorique de la longueur d’onde λ de l’instabilité secondaire de Rayleigh-Taylor, et donc la distance interligamentaire, confirme les observations et les mesures expérimentales [74, 75]. Un bon accord est également trouvé entre cette théorie et les résultats produits par simulations numériques, dans des conditions semblables, de Kim et coll. [62].

4.3.1.2. Adaptation à la fragmentation des gouttes

Récemment, Jalaal et Mehravaran [52] ont conduit des simulations numériques53-D de la fragmentation aérodynamique d’une goutte pour des nombres de Weber modérés (50 ≲ W e ≲ 200). Entre autres, leurs résultats révèlent l’apparition d’une instabilité 3-D à l’origine de la formation de ligaments. Les simulations montrent qu’elle est initiée par le développement, et la déstabilisation transverse, d’ondes de Kelvin-Helmholtz au voisinage des pôles équatoriaux de la goutte. Les auteurs suggèrent que les perturbations azimutales observées sont induites par l’accélération perpendiculaire de l’onde et, compte tenu du gradient de densité du système, concluent quant à la déstabilisation azimutale transverse des ondes de Kelvin-Helmholtz sous l’effet de l’instabilité de Rayleigh-Taylor. Afin de confirmer cette phénoménologie et, notamment l’implication de l’instabilité de Rayleigh-Taylor dans le processus de formation des ligaments, ils proposent une validation théorique de leurs résultats numériques à partir de la modélisation de Marmottant et Villermaux [75] précédemment discutée. Pour une goutte d’eau sphérique soumise à un écoulement gazeux axial et dans le cadre de la théorie d’une couche de vorticité infiniment mince (δ→0), ils montrent à partir des relations (4.8), (4.19) et (4.20) que le nombre d’onde km associé à la longueur d’onde la plus amplifiée λm (de l’instabilité de Rayleigh-Taylor transverse) est donné par

km= 1

2 ($−u1)(usin θ)2

a(ρ1−ρ2)

3 , (4.21)

où u est la vitesse de l’écoulement gazeux uniforme non perturbé et θ est l’angle polaire de la goutte. Puis, dans le cas d’une couche de vorticité épaisse et à partir de l’équation (4.14), ils montrent que le nombre d’onde km est tel que

km = $ˇ u1

2

3aρ22−ρ1)

γρ1 . (4.22)

Le tableau 4.5 compare le nombre d’onde le plus amplifié (adimensionné par le diamètre initial de la goutte d0) déterminé à partir des simulations numériques de Jalaal et Mehravaran [52] à ceux prédits par la théorie de Marmottant et Villermaux [75] dans l’approximation d’une couche de vorticité infini-ment mince [Eq. (4.21) et épaisse [Eq. (4.22)]. La comparaison est sans équivoque. Dans les deux cas, les nombres d’onde ne sont pas en bon accord. Un à deux ordres de grandeur séparent les résultats numériques des prédictions théoriques. On constate, cependant, que l’approximation d’une couche de vorticité épaisse réduit considérablement l’écart entre les simulations et la théorie. Le désaccord constaté ne permet donc qu’une validation purement qualitative de l’hypothèse d’une combinaison des instabilités de Kelvin-Helmholtz et de Rayleigh-Taylor dans le processus de formation des ligaments. Jalaal et Mehravaran [52] attribuent cette discordance à une modélisation trop simplifiée ou, entre autres, le profil de vitesse linéaire dans la couche limite et l’hypothèse d’une interface plane sont des conditions initiales trop éloignées du cas de l’interaction d’une goutte avec un écoulement gazeux. Suite à leurs travaux et dans le même esprit, de nouveaux efforts de recherche ont très récemment été fournis par Meng et Colonius [79] dans l’espoir de valider, ou d’invalider, la responsabilité de

5La simulation est réalisée pour un écoulement incompressible et tient compte des effets capillaires. Le code

Configuration We d0km (simulation) d0km [Eq. (4.21)] d0km [Eq. (4.22)]

3-D 100 35-40 1627 342

Table 4.5: Comparaison des résultats numériques de Jalaal et Mehravaran [52] à la théorie de Marmot-tant et Villermaux [75] dans l’approximation d’une couche de vorticité infiniment mince [Eq. (4.21)] et épaisse [Eq. (4.22)].

l’instabilité azimutale transverse, comme décrite par Marmottant et Villermaux [75], dans le processus de formation des ligaments. Une fois encore, des simulations numériques6 3-D ont été effectuées. À l’inverse des simulations numériques conduites par Jalaal et Mehravaran [52], l’écoulement est ici com-pressible, mais les effets capillaires ne sont pas pris en compte. Sur la plan qualitatif, les simulations convergent vers le mécanisme suspecté. En effet, la perte d’axisymétrie de la goutte est clairement observée. Cependant, une analyse de Fourier du champ de vitesse révélant un développement rapide de la perturbation azimutale pour tous les modes ne permet pas la confirmation du développement d’une instabilité de Rayleigh-Taylor transverse.

Le nombre d’onde le plus amplifié déterminé à partir des simulations numériques 3-D (We=470) réal-isées dans le cadre de cette thèse sont du même ordre de grandeur que ceux obtenus par Jalaal et Mehravaran [52]. Ainsi, sans surprise, la comparaison de nos résultats avec le modèle théorique de Marmottant et Villermaux [75] n’est pas concluante. Du fait d’une vitesse d’écoulement sensiblement différente, le désaccord observé est d’ailleurs bien plus important que celui rapporté par Jalaal et Mehravaran [52] comme l’indique la figure 4.24. À partir de l’analyse de Fourier et des images expéri-mentales, nous avons estimé à environ huit le nombre de ligaments se développant autour du corps de la goutte (voir tableau 4.4). Les courbes illustrées sur la figure 4.24 montrent que, pour We=470 et dans l’approximation d’une couche limite infiniment mince, cet ordre de grandeur est théoriquement respecté dès lors que l’amplitude des ondes de Kelvin-Helmholtz est comprise entre 10−4 et 10−3 nm, ce qui n’est évidemment pas réaliste au vu des images expérimentales exhibant des ondes d’amplitudes micrométriques (submillimétriques). Ce désaccord entre les résultats numériques et la modélisation théorique à We=470 est conforté par l’évolution de la modulation lorsque la tension de surface est négligée. L’analyse de Fourier azimutale présentée à la section 4.2.2 montre que la tension de surface ne semble pas influer l’initiation de la perturbation azimutale. Que les effets capillaires soient négligés ou pas, le mode le plus amplifié est le même. Cette observation est contradictoire avec la relation (4.20) qui prévoit une influence immédiate de la tension de surface.

De plus, en dépit de la perte d’axisymétrie avérée de la goutte et du développement notable de per-turbations azimutales transverses, la dynamique observée ne correspond pas totalement au mécanisme initialement proposé par Marmottant et Villermaux [75]. Les résultats numériques où les effets capil-laires sont négligés, révèlent la formation d’un nombre fini de ligaments (N =24). Ceci est également

10−14 10−12 10−10 10−8 10−6

a [m]

100 101 102 103 104

d

0

k

m θ = π/2 θ = π/3 θ = π/4

Figure 4.24: Dépendance fonctionnelle du nombre d’onde adimensionné d0km à l’amplitude de la perturbation primaire dans l’approximation d’une couche limite infiniment mince.

en désaccord avec la théorie décrite par la relation (4.20) qui prédit, pour γ→0, une longueur d’onde λm infiniment petites et donc, un nombre de ligaments infini. De plus, le scénario proposé par Jalaal et Mehravaran suggère que les ligaments sont issus de l’élongation des crêtes de la perturbation azimu-tale par les forces aérodynamiques. Autrement dit, autant de ligaments que de crêtes sont attendus. Comme le montre la figure 4.25, le nombre de crêtes formées à la surface de la goutte ne correspond pas avec le nombre de ligaments (N =8) finalement formés, ce qui suggère que ceux-ci ne sont pas directement issus de l’entrainement aérodynamique des perturbations. Au contraire, les observations expérimentales et numériques s’accordent à montrer que les ligaments sont formés à la suite du perçage aérodynamique des poches qui se développent entre les nervures formées sur la nappe.

Le désaccord entre la théorie de Marmottant et Villermaux [75] et les résultats numériques et ex-périmentaux peut effectivement être la conséquence d’un modèle analytique trop simplifié (p. ex., interface plane, profil de vitesse linéaire, théorie non-visqueuse [29]). Cependant, sur des aspects purement qualitatifs et phénoménologiques, nos simulations numériques et nos images expérimen-tales semblent difficilement converger vers un scénario où les ligaments seraient formés des suites de l’entraînement aérodynamique de perturbations axisymétriques produites par la combinaison des in-stabilités de Kelvin-Helmholtz et de Rayleigh-Taylor. Une toute autre physique sous-jacente n’est donc pas à exclure et, notamment, l’interaction de vortex (voir section 4.3.3) au voisinage des ondes Kelvin-Helmholtz.