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I.4 La transition de spin à l’échelle nanométrique

I.4.2 Les mécanismes à l’origine des effets de taille

I.4.2.3 Le modèle nanothermodynamique

Que cela soit le défaut de coordination, l’interface entre une particule et sa matrice ou une modification chimique des surfaces, les différentes contributions à l’énergie due à la présence de surfaces peuvent être associées à une quantité en excès : l’énergie de surface. Dans ce contexte là, un modèle thermodynamique a été mis en place pour prendre en compte la présence des surfaces et leurs conséquences sur la transition de spin.

La thermodynamique axiomatique a été développée sur la base des variables extensives et intensives. Ainsi l’énergie interne totale U d’un système de N particules et de volume V peut être exprimée :

U = uVV = UNN (I.44)

avec respectivement uV et uN l’énergie interne par unité de volume et l’énergie interne

par particule.

Cette vision n’est valable que dans la limite thermodynamique où la surface est né- gligeable devant le volume. La considération d’un système de taille finie dont les surfaces

ne peuvent plus être négligées entraîne la perte de cette extensivité. Les conséquences de la perte d’extensivité sur la transition de spin a fait l’objet d’une étude à l’aide d’un modèle spin-phonon en 2014 [102]. C’est Gibbs qui introduisit pour la première fois un terme d’énergie de surface additionnel prenant en compte explicitement la présence de surfaces. Par la suite, diverses approches prirent en compte ces excès d’énergie [109, 110]. De manière générale, il est toujours possible de définir une quantité en excès ∆Ψ d’une quantité Ψ due à la présence de surfaces tel que :

∆Ψ = Ψ(L) − Ψ(∞) (I.45)

où Ψ(L) et Ψ(∞) sont respectivement la valeur de la quantité Ψ d’un système de taille L et d’un système infini.

b) Énergie de surface

Dans le modèle nano-thermodynamique appliqué à la transition de spin par Félix et al. [111], il est considéré un système cœur-coquille composés de N = Nc+ Ns molécules. Nc

est le nombre de molécules dans le coeur et Ns, le nombre de molécules dans la coquille

qui correspond ici à la surface. La proportion de molécules en surface est définie par la profondeur de la surface λ (correspondant dans ce cas à la première couche de molécules) définie par l’aire A0 et le volume V0 d’une molécule telle que λ = V0/A0 et par le rapport

surface-volume A/V . Dans le cas d’une sphère, ce dernier s’écrit : A V = 4πr2 4/3πr3 = 3 r (I.46)

Le nombre de molécules en surface et dans le cœur s’écrit alors : Ns= N 3V0 rA0 = Nαs (I.47) Nc = N  1 − 3V0 rA0  = Nαc (I.48)

La fraction HS totale est évaluée en fonction de la fraction HS en surface et dans le cœur nHS = NHS/N = nsHSαs + ncHSαc où nsHS = NHSs /Ns et ncHS = NHSc /Nc. Une énergie de

surface γA est définie tel que :

avec γ l’énergie surfacique ou densité surfacique d’énergie. L’énergie de surface est dépen- dant de l’état de spin de la surface et peut s’écrire comme :

γA=γBSA+ nsHSHS− γBS)A

=ns

HSγHSA+ (1 − nsHSBSA

(I.50)

Il est fait l’approximation que l’aire ne change pas avec la transition de spin. Cela revient à considérer une énergie surfacique effectif reliée à l’énergie surfacique réelle par γBS =

γr´eel

BS ABS/A.

c) Entropie de mélange et terme d’interaction

La fraction HS n’étant pas la même en surface que dans le cœur de la particule, il est nécessaire de réécrire l’entropie de mélange :

Sm´el = Ssel+ Scel (I.51)

avec l’entropie de mélange en surface Ss

m´el, et dans le cœur Scel.

Ssel = −R [nsHSln (nHSs ) + (1 − nsHS) ln (1 − nsHS)] (I.52) Scel = −R [ncHSln (nHSc ) + (1 − ncHS) ln (1 − ncHS)] (I.53) Une dernière modification par rapport au modèle thermodynamique de Slichter et Dri- ckamer est la prise en compte de la variation du module d’élasticité durant la transition de spin. L’équation I.23 montre que le terme d’interaction est proportionnel au module élastique isostatique Γ ∝ B. Dans le modèle nano-thermodynamique, il a été considéré une interpolation linéaire du terme d’interaction en fonction de la fraction HS :

Γ = ΓBS+ nHS∆Γ (I.54)

avec ∆Γ = ΓHS− ΓBS.

d) Enthalpie libre de Gibbs

En considérant ce système cœur-coquille, il est possible de réécrire l’équation I.16 comme :

G= nHSGHS+ (1 − nHS)GBS+ ΓnHS(1 − nHS) − T (Scel+ Ssel)

+ [ns

HSγHS+ (1 − nsHSBS] A

La minimisation de l’énergie libre de Gibbs pour les variables nc

HS et nsHS mène à un

système de deux équations reliant la température et les fractions HS du cœur et de la surface : T = ∆H + Γ (1 − 2αcn c HS) + ∆ΓnHS(1 − nHS) − 2αsΓnsHS Rln  1−nc HS nc HS  + ∆S (I.56) T = ∆H + Γ (1 − 2αsnsHS) + ∆ΓnHS(1 − nHS) − 2αcΓncHS+ ∆γA Rln1−nsHS ns HS  + ∆S (I.57)

Avec ∆γ = γHS−γBS. Une troisième équation peut être déduite à partir des deux premières.

Elle permet de relier la fraction HS en surface à celle dans le cœur. Il est ensuite possible de résoudre numériquement cette équation pour en déduire les couples ns

HS/ncHS qui en

sont solutions, puis de les injecter dans les équations précédentes pour en déduire la température à l’équilibre thermodynamique.

Il fut ainsi montré qu’en fonction de la différence d’énergie surfacique ∆γ entre les deux états de spin, il est possible d’abaisser (∆γ < 0) ou d’augmenter (∆γ > 0) la température de transition (voir figure I.18). De plus, si la différence est suffisamment importante, les molécules peuvent se retrouver bloquées dans un état de spin provoquant une transition de spin incomplète. Du fait de l’observation expérimentale de fractions résiduelles HS à basse température, ce modèle prédit que l’énergie de surface de l’état HS est plus faible que dans l’état BS. Cela peut être compris de manière simple, puisque l’énergie de cohésion est plus faible dans l’état HS que dans l’état BS, le coût énergétique associé à la rupture d’une liaison est plus faible dans l’état HS que dans l’état BS.

Température (K) nH S 400 350 300 250 200 1 0.8 0.6 0.4 0.2 0 Massif ÕH S>> ÕLS ÕH S> ÕLS ÕH S= ÕLS ÕH S< ÕLS ÕH S<< ÕLS

Figure I.18 – Courbes de transitions de spin thermo-induites calculées pour le matériau massif et des nanoparticules de 8 nm avec différentes valeurs de ∆γ = γHS− γBS [111].

Quand la différence d’énergie surfacique est suffisamment importante, la transition devient incomplète et l’effet mémoire disparaît.

e) Coopérativité à l’échelle nanométrique

Ce modèle décrit correctement la perte du cycle d’hystérésis, la présence d’une fraction résiduelle HS à basse température et le décalage de la température de transition. Cepen- dant, il n’est pas capable de reproduire l’effet mémoire observé dans des nanoparticules de quelques nanomètres. Puisque la coopérativité dépend de la force des interactions entre les molécules, il est fait l’hypothèse d’une augmentation des modules élastiques mènerait à une réouverture du cycle d’hystérésis.

Pour vérifier expérimentalement cette hypothèse, des mesures de spectroscopie Möss- bauer furent réalisées sur des analogues de bleu de Prusse pour déterminer la tempéra- ture de Debye θD, celle-ci étant reliée à la racine carré du module élastique isostatique

θD

B [112]. Les analogues de bleu de Prusse choisis (Ni3[Fe(CN)6]2) sont des réseaux

de coordination 3D qui ne présentent pas de transition de spin mais qui ont une struc- ture très proche de certains réseaux de coordination à transition de spin. Les résultats montrèrent alors une augmentation de la température de Debye avec la réduction de la taille (voir figure I.19 a)). Ces résultats expérimentaux furent injectés dans le modèle nano-thermodynamique et une réouverture du cycle d’hystérésis à l’échelle nanométrique fut observée (voir figure I.19 b)).

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Figure I.19 – (a) Température de Debye mesurée par spectroscopie Mössbauer en fonc- tion de la taille des nanoparticules Ni3[Fe(CN)6]2. Une augmentation d’environ 16 % de

la température de Debye est observée pour les nanoparticules de 4 nm. (b) Courbes de transition de spin thermo-induites simulées pour γBS ≫ γHS et différentes tailles de nano-

particules. L’évolution de la température de Debye a été pris en compte dans le terme de coopérativité par l’intermédiaire du terme d’interaction (Γ ∝ B ∝ θ2

D) [111].

Par la suite, une campagne de mesures synchrotron fut initiée dans l’équipe pour dé- terminer l’évolution des propriétés élastiques et vibrationnelles avec la taille à l’aide de deux techniques : la diffraction des rayons X sous haute pression, permettant d’obtenir l’évolution du volume avec la pression et ainsi le module d’élasticité isostatique et la diffu- sion nucléaire inélastique permettant la détermination de la densité d’états vibrationnels

et ainsi l’obtention des vitesses du son. Ces campagnes synchrotrons furent initiées dans la thèse de Gautier Félix et ont été poursuivis dans le cadre de cette thèse.