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Lee et Mitchell (1994) ont cherché à conceptualiser les étapes qui mènent le salarié à quitter son emploi en s’inspirant des travaux de Mobley (1977) que leur théorie enrichit de nouvelles perspectives psychologiques.

Les stratégies de départ ne sont donc plus uniquement le résultat d’une accumulation d’insatisfactions au travail mais peuvent être aussi la conséquence d’un choc. Les auteurs avancent ainsi le fait que la décision de quitter l’entreprise est souvent déclenchée par un événement spécifique, parfois brutal qui va constituer pour l’individu un point de fixation et sera le début du processus cognitif qui le conduira à terme à quitter son entreprise après une délibération sommaire du choc. Ce choc est de différente nature, il peut être émotionnellement neutre, positif (prime, promotion) ou bien encore négatif.

Face à l’événement, l’individu analyse le contexte dans lequel ce choc se produit pour lui et il essaie de limiter son coût cognitif. Pour cela, il recherche dans ses expériences passées, dans ses observations de comportements de personnes de son entourage ou encore dans ses connaissances théoriques personnelles acquises antérieurement s’il peut trouver une réponse adaptée. L’ensemble de ces éléments forment pour l’individu un cadre qui va l’orienter dans son parcours décisionnel.

Par ailleurs, si les individus sont sollicités régulièrement par des informations qui pourraient les amener à changer de poste ou d’entreprise, on observe que, dans la majorité des cas, c’est le statu quo qui prévaut (Silver & al, 1990 ; Staw & al, 1987). Beach (1990) décrit les phases suivantes : (1) face à un choix, l’individu fait rarement une évaluation très étendue de sa situation, (2) le choix se présente d’ailleurs rarement à lui, (3) ses comportements sont en grande partie préprogrammés, (4) il fait appel à une variété de stratégie pour prendre ses décisions, qui ne sont pas toujours celles qui maximisent les potentialités, (5) le critère financier n’est pas toujours celui qui est privilégié lors de la décision.

En s’appuyant sur cette théorie qui conceptualise la prise de décision, Lee et Mitchell définissent quatre trajectoires principales dans les stratégies que mettent en place les individus face à un choc (figure 10):

70 !! Dans le premier parcours, l’individu peut rapprocher le choc d’une expérience déjà vécue. Il s’interrogera alors pour savoir si cette expérience déjà vécue avait bouleversé son cadre de valeurs, et si tel était le cas, si son comportement alors avait été approprié. Si le choix antérieur avait été de quitter son poste, alors la probabilité que l’individu quitte son poste actuel est extrêmement élevée. Ces comportements sont d’autant plus significatifs que la personne a un emploi précaire : interim, CDD, temps partiel (Hulin & al,1985 ; See Dipret, 1993). Ce premier parcours exige pour l’individu une délibération minimale de la situation professionnelle et de ses alternatives. L’individu peut donc quitter son emploi sans qu’il fasse référence à son insatisfaction ou à une quelconque alternative professionnelle. Cette première trajectoire est à rapprocher des travaux de Mobley (1979) qui évoque dans son modèle « le comportement impulsif » qui peut pousser un individu à entrer dans un processus de retrait professionnel.

!! Dans la deuxième trajectoire de départ professionnel et contrairement au premier parcours, le salarié doit faire face au choc, sans avoir dans son histoire une expérience personnelle à laquelle il peut se référer. Dans cette trajectoire, un choc dans le système amène un individu à réévaluer la qualité de son attachement à son organisation. L’attention est portée ici sur le degré d’attachement de la personne à son organisation actuelle. L’individu peut faire le choix de rester dans l’organisation actuelle en dépit du choc si c’est acceptable pour lui et compatible avec ses valeurs et ses représentations ou choisir l’option du départ sans alternative professionnelle clairement établie parce qu’il juge alors que ce départ est justifié.

!! Le troisième type de décision a comme point commun avec la deuxième trajectoire que l’individu qui fait face à un choc n’a pas de référence dans son passé qui peut le guider dans son choix de rester ou de partir de son emploi. La différence entre ces deux modèles porte sur le cheminement qui va conduire à la décision et sur l’analyse des alternatives qui s’offrent à lui. Si le choc paraît compatible avec ses valeurs et ses représentations, l’individu fera le choix de rester. Si au contraire le salarié pense qu’il est en inadéquation, il va alors éprouver une certaine désaffection pour son emploi qui peut complètement annihiler l’attachement que ce dernier pouvait avoir auparavant pour son organisation. Il va alors probablement se mettre en recherche d’alternatives. Pour certains, la recherche d’un autre poste va demander une forte implication (envoi massif de cv, entretien). Pour d’autres au contraire, cette recherche d’emploi demandera un effort limité, notamment dans les secteurs professionnels où la demande des entreprises est forte. Mais cette trajectoire peut aussi être la conséquence d’un choc positif pour le salarié, par exemple lorsque celui-ci reçoit une offre d’emploi attractive alors qu’il n’est pas à priori à la recherche d’une opportunité professionnelle. Quand celle-ci se présente, le salarié compare les bénéfices attendus à rester ou quitter son entreprise actuelle et cette analyse guide son choix final. Cette trajectoire nous montre que le départ d’un poste n’est pas forcément lié au niveau de satisfaction professionnelle.

71 !! Enfin, la quatrième trajectoire se distingue des autres chemins qui mènent le salarié à quitter son

emploi. Dans ce cas précis, l’individu ne fait pas face à un choc mais davantage à une réévaluation de son poste. Cela peut se produire selon chacun de façon régulière ou de façon aléatoire. L’employé effectue alors une sorte de contrôle périodique de son activité. Cette réévaluation peut naître d’un manque d’ajustement sur des valeurs par exemple, qui conduit progressivement l’individu selon toute probabilité à une forme d’insatisfaction. Parfois cette réévaluation ne répond pas à des critères objectifs. Weiss et ses collègues (1992) ont ainsi montré que certains individus contournent les analyses cognitives rationnelles et développent une forme d’insatisfaction professionnelle sans qu’il y ait eu des variations de représentations de leur fonction ou de choc. Cette insatisfaction professionnelle conduit à une baisse de l’engagement, à la recherche d’alternatives et donc à une plus grande probabilité à terme de départ. On est, avec cette dernière trajectoire davantage en accord avec le modèle de Mobley (1979) qui lie satisfaction professionnelle et turnover.

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Figure 10 : modèle de départ volontaire (Lee & al, 1994)

Les contributions de ce modèle de déploiement sont multiples : elles ont permis d’enrichir notre connaissance des processus complexes qui mènent l’individu à quitter son organisation et à mettre en évidence le caractère impulsif du départ qui n’est plus vu par ces auteurs uniquement comme une succession de décisions rationnelles, comme cela est proposé dans les modèles antérieurs de turnover, mais qui peut aussi être lié à des facteurs affectifs et psychologiques.

Le modèle de Lee et Mitchell (1994) présente par ailleurs de nombreux apports pour notre recherche. En effet, il considère que l’intention de départ dépend notamment de l’inadaptation de l’emploi avec les valeurs et les objectifs de la personne. Il peut aussi comparer sa situation avec celles d’autres personnes. D’autre part, Lee et Mitchell intègrent dans leur modèle l’attachement de l’individu pour son organisation. Or le soutien organisationnel perçu est une des composantes de l’attachement. Renforcer l’attachement des employés est ainsi efficace pour lutter contre l’intention de quitter son entreprise (Rousseau, 1998 ; Eisenberger, 1986). Enfin, Lee et Mitchell estiment que le salarié peut adopter une attitude rationnelle : il compare sa situation d’emploi avec diverses opportunités externes et choisit l’option qui est censée maximiser l’utilité attendue subjective et ceci peut dépendre des caractéristiques personnelles de l’individu. L’approche de Lee et Mitchell (1994) justifie donc notre hypothèse que le fait pour une entreprise de renforcer son soutien à l’égard de ses salariés, tout en tenant compte des caractéristiques personnelles de ces derniers, peut lui permettre de lutter plus efficacement contre l’intention de quitter.

Les déterminants de l’intention de départ et du départ effectif semblent donc multifactoriels, avec des combinaisons multiples, différentes selon les individus et ne faisant jamais totalement consensus au sein

73 de la communauté scientifique. Le nombre important de modèles dont certains peuvent être contradictoires ou complémentaires est une preuve des désaccords qui persistent entre les auteurs (Steel & al, 2009).

Nous venons de voir dans cette sélection de modèles que les liens entre les différentes attitudes au travail et l’intention de quitter sont privilégiées dans plusieurs modèles de turnover. En accord avec ces modèles, le travail de cette thèse explore ces relations entre attitudes au travail et l’intention de quitter en introduisant également des caractéristiques personnelles.

La partie suivante sera l’occasion de décrire les grandes caractéristiques du soutien organisationnel perçu ainsi que les variables les plus généralement associées à ce concept.

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CHAPITRE 2