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LE CONCEPT D’INTENTION DE QUITTER

2. Une définition du turnover

2.2. Les antécédents du turnover

Les motivations des salariés à quitter leur entreprise et les facteurs influençant ce départ ont constitué très tôt des sujets de recherche (March & al, 1958). L’intérêt s’est porté sur les individus quittant volontairement leur organisation en montrant les différences qui existent entre les déterminants liés au départ volontaire et ceux justifiant le turnover involontaire (Price, 2001). Ainsi, le départ volontaire constituerait l’étape ultime d’un enchaînement successif de comportements : 1) refus d’appliquer une décision, de réaliser une tâche etc., 2) retard, 3) absence, 4) turnover. Ces quatre étapes constitueraient

58 ainsi l’enchaînement conduisant au départ de l’individu de son entreprise (Sagie & al, 2002). La performance de l’individu se dégraderait au fur et à mesure qu’il franchit ces étapes jusqu’au départ qui constitue l’étape décisive et irréversible.

Les causes qui précipitent l’intention de départ d’un salarié sont multiples et différentes selon chaque individu (Allen & al, 2005). Si la généralisation d’un modèle unique applicable à l’ensemble des individus et des situations ne semble pas être scientifiquement valide, la mise en cause dans l’intention de quitter d’un certain nombre de déterminants fait l’objet d’un relatif consensus dans la littérature et ils peuvent être classés selon leur nature.

2.2.1. Les variables individuelles

Les deux construits les plus fréquemment utilisés dans la littérature pour expliquer l’intention de départ sont l’engagement organisationnel et la satisfaction professionnelle. De nombreux articles ont ainsi montré la relation négative et significative qui existe entre satisfaction au travail et intention de départ (Brayfield & al, 1955 ; Vroom, 1964 ; Locke, 1975 ; Mobley, 1977, Cotton & al, 1986 ; Hom & al, 1992 ; Tett & al, 1993). Quand les salariés sont engagés dans leur organisation, ils sont également plus volontiers portés à demeurer au sein des effectifs (Mobley & al, 1979 ; Cotton & al, 1986 ; Igbaria & al, 1992 ; Ahuja & al, 2007). Le stress professionnel a aussi fait l’objet de nombreuses recherches (Kahn & al, 1964 ; Wunder & al, 1982 ; Lee & al, 1993 ; Moore, 2000) ainsi que le profil et les compétences professionnelles (Price, 2001).

Le support organisationnel perçu est un autre des déterminants de l’intention de partir. En effet, les employés qui perçoivent un soutien organisationnel de leur entreprise sont davantage motivés pour s’intégrer dans leur poste et sont soucieux d’aider l’entreprise à atteindre ses objectifs de développement (Wen & al, 2015). Ils sont en conséquence moins susceptibles de chercher une alternative professionnelle et ont généralement plutôt le souhait de rester dans l’organisation qui les emploie (Allen & al, 2005 ; Shaffer & al, 2001 ; Wayne & al, 1997 ; Rhoades & al, 2001). Nous étudions dans notre modèle le rôle du soutien organisationnel perçu dans l’intention de quitter car c’est une variable sur laquelle l’entreprise peut agir si elle souhaite maîtriser son taux de turnover, notamment le turnover dysfonctionnel. A cette dimension s’ajoutent les variables de satisfaction de carrière et de plafonnement hiérarchique.

A ces premiers éléments viennent s’adjoindre des variables individuelles non liées au travail (responsabilités familiales, choix de carrière du conjoint, reprise d’études, changement de carrière mais aussi décès etc.). Ce sont les variables les moins contrôlables par l’entreprise car elles ne dépendant pas d’elle et appartiennent davantage au libre arbitre du salarié. Il est alors difficile pour elle de mettre en place une stratégie de rétention efficace vis à vis des salariés qu’elle juge les plus performants. Elle peut

59 cependant agir sur les conditions de travail des parents. Ainsi, le fait d’avoir des enfants semble être un facteur pour un salarié qui limite son intention de quitter son employeur (Price, 2001). Ce phénomène est encore accentué si l’entreprise mène une politique volontariste en faveur des parents en proposant par exemple des modèles souples d’organisation du travail ou en proposant des solutions de garde d’enfants (Hewlett, 1991). A l’inverse, l’individu peut éprouver des tensions de rôle qui peuvent précipiter son intention de quitter son organisation (Allen & al, 2000 ; Amstad & al, 2011 ; Nohe, 2014). Nous avons donc décidé d’évaluer dans notre modèle le conflit famille-enfant pour en mesurer les impacts sur l’intention de quitter son entreprise.

2.2.2. Les variables de personnalité

Elles sont également des éléments explicatifs significatifs de l’intention de départ et même du départ. Ces études portant sur les traits de personnalité et leurs effets sur l’intention de turnover sont encore à ce jour peu nombreuses dans la littérature académique ; elles sont pourtant d’un réel intérêt pour apporter un éclairage complémentaire sur ce qui pousse un salarié à quitter son emploi. Elles ont d’ailleurs tendance à se développer dans la littérature ces dernières années (Allen & al, 2005 ; Steel & al, 2009). En effet, certains auteurs ont montré que, en dépit des évidences qui font de l’intention le meilleur prédicateur de comportement (Armitage & al, 2001 ; Kim & al, 1996), de nombreux employés qui avaient pourtant l’intention de quitter leur poste ne l’ont finalement pas fait. Le coût personnel pour l’individu n’est évidemment pas le même entre l’intention et le départ effectif. Les variables de personnalité peuvent donc aider à comprendre ces différences entre les individus. Ainsi par exemple, Ghiselli (1974) a défini l’existence d’un syndrome Holo selon lequel certains individus sont intrinsèquement plus susceptibles de quitter leur emploi que d'autres. La recherche a révélé une variété de traits de personnalité liés au turnover, comme la conscience, l'agrément et l'ouverture à l'expérience (Barrick & al, 1991).

Le locus de contrôle fait partie de ces traits de personnalité qui depuis ces dernières années suscitent un intérêt renouvelé des chercheurs. Il s’agit alors de comprendre comment les croyances des individus sur le fait qu’ils contrôlent leur environnement extérieur (ou non) peut affecter considérablement leurs décisions de changement de travail (Spector, 1982 ; Allen & al, 2005 ; Chiu & al, 2003, Taeyhun Ahn, 2015 ; Susskind, 2000 ; Lewin & al, 2010). Les ancres de carrière peuvent également aider à comprendre les attitudes et les comportements des salariés (Schein, 1990).

Cependant, certains résultats de recherches posant une relation directe entre personnalité et turnover ont été qualifiés de décevants et incohérents (Hom & al, 1995). Les variables de personnalité jouent traditionnellement davantage le rôle de modération dans la relation qui lie les antécédents habituels que sont la satisfaction ou l’engagement organisationnel à l’intention de départ ou le départ effectif.

60 C’est dans cette perspective que nous proposons dans notre travail de thèse d’examiner l’influence du locus de contrôle comme modérateur dans la relation qui lie le support organisationnel perçu et l’intention de départ.

2.2.3. Les variables organisationnelles

Ces facteurs influencent le désir du salarié de quitter son entreprise et peuvent aussi faciliter son départ (Mitchell & al, 2001). Parmi les facteurs organisationnels les plus étudiés, les conditions de travail et d’évolution (salaire, promotions) sont particulièrement importantes pour expliquer le phénomène d’intention de départ (Mueller & al, 1994 ; Mitchell & al, 2001) même si elles ne constituent pas des explications suffisantes. Balsam, Gifford et Kim (2007) ont ainsi montré que le fait d’instaurer dans une organisation cotée en Bourse une période où les options d’achat d’action ne peuvent pas être exercées (vesting period) diminue le turnover volontaire des employés. A l’inverse, une reconnaissance de l’engagement et de l’action du salarié par une rémunération perçue comme juste sont des critères qui permettent à ce dernier de développer des liens d’attachement vis à vis de son organisation (Mitchell, 2001). Cet attachement renforce la satisfaction du salarié et il est lié négativement avec le désir de quitter son entreprise.

2.2.4 Des alternatives professionnelles

Ce sont les opportunités professionnelles qui se présentent au salarié. Elles peuvent être de deux natures : soit elles sont le fruit d’une démarche volontaire de l’individu qui consulte les annonces d’emploi, envoie des candidatures spontanées, informe son réseau qu’il est à l’écoute des opportunités professionnelles qui se présenteraient par exemple, soit elles sont davantage le fait du hasard, d’une rencontre, d’une proposition sans que l’individu n’ait de son côté engagé une quelconque démarche active.

Ces opportunités professionnelles peuvent engager le salarié dans un processus d’intention de départ de son poste actuel. Elles sont pour l’employé l’occasion d’évaluer les coûts et les bénéfices de saisir une telle alternative. Si finalement les bénéfices de changement de poste paraissent plus importants que le coût, l’employé a alors une forte propension à quitter son employeur (Lee & al, 1994). Il existe ainsi une corrélation négative entre l’opportunité professionnelle et la satisfaction professionnelle : plus cette dernière est importante, moins le salarié voit de bénéfices à quitter son emploi (Price, 2001).

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2.2.5. Des variables sociodémographiques

Elles sont traditionnellement étudiées comme variables de contrôle et ne se montrent pas toujours pertinentes comme variables explicatives de l’intention de quitter (Griffeth & al, 2000). Parmi les facteurs sociodémographiques, citons l’âge, le statut marital, l’ancienneté dans le poste et le genre. Certains travaux montrent ainsi que les salariés les plus âgés sont aussi ceux qui ont le moins le souhait de quitter leur entreprise (Levinson & al, 1978 ; Miller & al, 1951) soit qu’ils soient satisfaits de leur poste, soit qu’ils aspirent à plus de sécurité. Une autre étude montre que les plus jeunes se révèlent être les plus mobiles et ont davantage l’intention de quitter leur employeur que leurs ainés (Zeffane & al,1995), résultat que nuancent d’autres travaux (Giraud, 2012).

Certaines études ont montré également que le niveau d’intention de partir de son entreprise décroit avec l’arrivée de responsabilités familiales (Finegold, 2002). Cela est confirmé par des travaux qui ont mis en lumière le fait que le statut marital pouvait être négativement corrélé avec l’intention de turnover (Doran & al, 1991), notamment parce que la stabilité financière et émotionnelle des personnes va de pair avec une stabilité professionnelle.

Le genre a fait l’objet d’études spécifiques afin de déterminer si l’appartenance au genre féminin pouvait être une explication au turnover et les résultats sont nuancés selon les auteurs. Ainsi, Mobley (1982) a démontré que le genre est un déterminant de turnover peu concluant alors que quelques années plus tard, Cotton & Tuttle (1986) ont validé l’existence d’une relation significative entre le turnover et le genre.

Cette revue de littérature des antécédents de l’intention de quitter a permis de confirmer l’importance des variables liées aux attitudes au travail ainsi que l’émergence des variables de personnalité dans la compréhension des raisons qui poussent certains salariés à quitter leur entreprise. La section suivante va nous permettre de comprendre comment ces antécédents interagissent et quelles sont les étapes qui mènent au départ grâce à une présentation sélective de modèles de turnover.