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LES VARIABLES DE PERSONNALITE

1. Le concept de locus de contrôle

1.4. Le locus de contrôle au travail

1.4.3. Les limites et les biais du modèle du locus de contrôle

Le locus de contrôle est un construit qui, comme nous l’avons vu, inspire la recherche depuis plus de soixante ans. Si ses fondements sont reconnus, un certain nombre de limites et de biais ont aussi été identifiés.

La présentation par Rotter (1966) de la variable de contrôle interne-externe comme variable bipolaire de la personnalité a eu pour conséquence de figer deux groupes dichotomiques : les individus internes, plus adaptés socialement et plus « armés » pour la réussite, qu’elle soit scolaire, professionnelle, personnelle et les « autres », les externes. Il est apparu très rapidement que le fait de distinguer les individus par ce seul score d’internalité devait être cependant considéré avec prudence.

112 Plusieurs critiques sont faites à l’encontre de la distinction interne/externe du modèle du locus de contrôle :

!! La première concerne le fait que certaines explications causalessont parfois difficilement classables entre les registres de l’internalité et de l’externalité et que cette catégorisation systématique peut être porteuse d’ambiguïtés. Ainsi, certaines explications externes peuvent implicitement renvoyer à des informations sur l’individu et des explications internes peuvent également transmettre des informations sur l’environnement dans lequel évolue cet individu.

!! Autre critique portée à la dichotomie interne-externe, celle de la grande hétérogénéité des explications causales (Deschamps, 1987). Des explications aussi différentes que l’effort, le trait de personnalité, l’intention qui concerne ici notre sujet de recherche, l’humeur, sont classées dans le registre interne. De même, les explications renvoyant à la situation, à la difficulté de la tâche, à la chance, au destin ou encore au pouvoir d’autrui sont considérées comme appartenant au registre externe.

!! Les recherches effectuées sur la dichotomie interne-externe ont mis en évidence également une fréquente surestimation des facteurs internes au détriment des causes externes : les individus s’estiment (ou sont estimés par leur entourage) généralement davantage responsables de ce qui leur arrive qu’ils ne le sont en réalité (Lerner & al, 1966 ; Langer, 1975) tandis que le rôle des déterminismes externes est occulté (et tout particulièrement sociaux).

Cette surestimation du poids de l’individu a longtemps été interprétée comme une erreur. Elle est socialement valorisée, comme l’ont initialement exposé Jellison et Green (1981) en introduisant le concept de norme d’internalité pour la causalité des renforcements, puis par Beauvois (1986), à la fois en matière d’explication des conduites et d’explication des renforcements. Ainsi, Jellison et Green (1981) ont apporté les preuves expérimentales que les individus accordent une valeur positive à l’internalité. Ils ont donc émis l’hypothèse que cette prédilection pour les comportements internes devait être considérée comme l’expression d’une norme d’internalité. Beauvois (1986) a repris cette hypothèse en la généralisant à l’ensemble des processus d’attribution causale. La norme d’internalité est donc vue comme « la valorisation sociale des explications qui accentuent le poids de l’acteur comme facteur causal » 14 Une norme ne résulte pas du fonctionnement « naturel » de l’organisme mais elle est socialement acquise. Elle fait l’objet d’un apprentissage social et elle correspond à une attribution de valeur. Il en est ainsi de la norme d’internalité.

Cette surestimation du poids de l'acteur serait la conséquence d'une valorisation sociale des explications internes. Et de nombreuses études, essentiellement françaises, ont depuis été conduites pour tenter d'attester de l'existence de cette norme d’internalité. Elle procède de la naturalisation des valeurs dominantes. Elle permet de légitimer, en invoquant les qualités personnelles (comme le mérite), la position de chacun dans la hiérarchie sociale, tout en masquant l’arbitraire social.

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113 Mais on a constaté par ailleurs que les répondants sont conscients de cette valorisation (Gangloff, 2002). Ainsi, en situation d'autoprésentation surnormative (situation dans laquelle les sujets doivent répondre aux questions en tâchant de donner d'eux-mêmes la meilleure image possible), les sujets se décrivent majoritairement de manière interne, alors qu'en situation d'autoprésentation contrenormative (où les sujets doivent donner d'eux-mêmes la plus mauvaise image possible), les réponses étaient majoritairement externes (Beauvois & al, 1986 ; Pansu 1994).

L’internalité relève davantage de l’appartenance sociale et idéologique des individus. Ainsi, il apparaît que l’internalité, en tant que norme dominante, est activée de façon préférentielle par les individus appartenant à des classes sociales dominantes : les hommes sont plus internes que les femmes, les managers sont également plus internes que les ouvriers (Pansu, 1994), les blancs davantage que les noirs (Dubois, 2005). De la même façon, les cadres sont en moyenne plus internes que les exécutants (Andrisani & al, 1976 ; Beauvois & al, 1986). Pansu (1994) a également analysé le score moyen d'internalité des cadres hiérarchiques et des exécutants lors de scénarios pré-construits décrivant le comportement d'un individu et les résultats obtenus ont montré que les cadres hiérarchiques avaient un score moyen d'internalité supérieur à celui des exécutants. Plus globalement, l’internalité paraît être l’apanage des groupes sociaux favorisés ; l’internalité, en tant que norme dominante, est activée de façon préférentielle par les individus appartenant à des classes sociales dominantes (Beauvois, 1986 ; Dubois, 1987). Autre phénomène intéressant à noter : Gangloff (1998) a comparé le score moyen d'internalité des cadres et des ouvriers du secteur public et du secteur privé, il a noté que la différence du score moyen d'internalité entre les cadres et les ouvriers était bien moins significative dans le secteur public que dans le secteur privé.

Autre point mis en exergue par ces études françaises : la reproduction de cette norme est renforcée par des institutions comme l’école qui diffuse un enseignement préconisant et valorisant l'acquisition et le développement de mentalités internes (Beauvois & al, 1986 ; Dubois 1988).

Certains auteurs proposent de remettre en question la dichotomie interne-externe pour lui préférer le concept d’allégeance. Il s’agit ici d’opérer une distinction entre le profil interne allégeant (« je me soumets à l’ordre établi »), qui constitue le profil le plus valorisé socialement et particulièrement au sein de l’entreprise et le profil rebelle (« je conteste l’ordre établi ») qui constitue un profil professionnellement moins attractif pour les employeurs. Selon cette théorie de l’allégeance, les internes ne sont donc pas valorisés du simple fait de leur internalité mais davantage pour leur allégeance à l’ordre des choses (Louche, 1995 ; Dagot, 2000 ; Gangloff, 2001). Les explications, pour susciter la valorisation, peuvent être internes ou externes, pour peu qu’elles « taisent l’influence de l’environnement social », c’est-à-dire qu’elles « préservent l’ordre établi » (Gangloff, 1997). Si cette théorie de l’allégeance peut séduire le lecteur car elle apporte un nouveau regard sur le concept d’internalité, force est de constater que son écho reste encore aujourd’hui marginal au sein de la littérature académique.

Malgré ces limites et ces biais, il semble pertinent d’utiliser dans le cadre de cette recherche le locus de contrôle car cette variable de personnalité demeure efficace pour mesurer les effets du contrôle a priori.

114 D’autre part, le fait d’avoir un terrain homogène de managers limite les effets des biais évoqués précédemment puisque, si cette population semble avoir une internalité renforcée (Beauvois, 1986), il demeure pertinent de mesurer les différences existantes au sein de ce même groupe.

Les ancres de carrières sont une autre caractéristique de personnalité qui peuvent potentiellement aider à comprendre les intentions de départ des salariés.