• Aucun résultat trouvé

C. L’accompagnement des assurés par les organismes pour les personnes handicapées

4. Le modèle IPS

Un des modèles qui a récemment reçu beaucoup d’attention dans le monde scientifique est le modèle IPS (Individual Placement and Support). Nous nous proposons, dans un premier temps, de rendre compte de son origine et des principes sur lesquels ce modèle repose (4.1.). Ensuite, nous analyserons la question de la généralisation de ce modèle et examinerons sa mise en œuvre en dehors des Etats-Unis (4.2.). Enfin, nous envisagerons les conditions de sa transposition en Belgique et expliquerons qu’il fait déjà l’objet d’une mise en œuvre partielle en Wallonie et en Flandre (4.3.)172.

4.1. L’origine et les principes du modèle IPS

Le modèle IPS, spécialement conçu pour les personnes souffrant de troubles mentaux graves, est inspiré du concept de soutien à l’emploi (supported employment). Pour rappel, ce dernier concept repose sur une approche « Place-then-train » (placer-puis-former) en opposition à l’approche « Train-then-Place » (former-puis-placer), approche encore dominante chez nous et qui l’était aux Etats-Unis jusqu’à la fin des années 80173. Le paradigme « Train-then-Place » part de l’idée qu’il faut d’abord que la personne soit entièrement guérie avant de pouvoir penser à sa réhabilitation, y compris sa réintégration professionnelle174. A l’inverse, le modèle IPS ne requiert pas qu’une attention particulière soit posée par le professionnel sur le type de maladie de l’allocataire mais sur son souhait de

171 KNAEPS J., DESMET A., VAN AUDENHOVE C, « The IPS Fidelity Scale as a Guideline to Implement Supported Employment », Journal of Vocational Rehabilitation, 2012, 37(1), pp. 13-23 et KNAEPS J., NEYENS I., DONCEEL P., VAN WEEGHEL J., VAN AUDENHOVE C., « Beliefs Of Vocational Rehabilitation Counselors about Competitive Employment for People with Severe Mental Illness in Belgium », Rehabilitation Counseling Bulletin, 58(3), pp. 176-188.

172 BOND G.R., DRAKE R.E., BECKER D.R., « Generalizability of the Individual Placement and Support (IPS) model of supported employment outside the US », op. cit., pp. 32-39. DELEU G., nous mène la Réhabilitation Psychiatrique, Socrate Editions Promarex, Charleroi, 2012.

173 DRAKE R.E., BOND G. R., BECKER D.R., Individual Placement and Support. An Evidence-Based Approach to Supported Employment, Preface, op. cit., 2012, p. 24.

174 BEJERHOLM U., LARSSON L., HOFGREN C., « Individual Placement and Support illustrated in the Swedish welfare system : A case study », op. cit., p. 60.

travailler175.

Le modèle IPS a été initié aux Etats-Unis par deux chercheurs et professeurs de psychiatrie Robert E. Drake et Deborah R. Becker. Le chercheur et professeur de psychiatrie Gary R.

Bond les a ensuite rejoints une dizaine d’années après et ils ont poursuivi leurs recherches ensemble. Ces chercheurs sont partis du constat que bien que nombre de personnes souffrant de troubles mentaux graves souhaitent travailler, elles n’accèdent pas au marché de l’emploi « ordinaire » et ce, même si elles ont suivi un programme de formation professionnelle176.

Après le lancement du projet par Drake, Bond et Becker, ce sont ensuite plusieurs dizaines de chercheurs et d’experts qui ont continué à travailler sur ce modèle aux Etats-Unis et à le tester également sur d’autres continents177. Comparé à nombre d’autres modèles qui n’ont jamais fait l’objet d’une telle évaluation scientifique, le modèle a fait l’objet d’études quantitatives et qualitatives. En 2014, on dénombrait vingt études randomisées relatives au modèle IPS178. Aux Etats-Unis, on peut affirmer que là où 20% des assurés atteignent un

175 Ibidem.

176 DRAKE R.E., BOND G. R., BECKER D.R., Individual Placement and Support. An Evidence-Based Approach to Supported Employment, op. cit., p. 3.

177DRAKE R.E., BOND G. R., BECKER D.R., Individual Placement and Support. An Evidence-Based Approach to Supported Employment, Préface, op. cit..

178 Drake, Bond et Becker les ont répertoriées et partiellement évaluées (Ibid., pp. 47 et s.). Voici leur liste : BOND G.R., SALYERS M.P., DINCIN J., DRAKE R.E., BECKER D.R., FRASER V.V., « A randomized controlled trial comparing two vocational models for persons with severe mental illness », Journal of Consulting and Clinical Psychology, n°75, 2007, pp. 968-982 ; BURNS T., CATTY J., BECKER T., DRAKE R.E., FIORITTI A., KNAPP M. et al., « The effectiveness of supported employment for people with severe mental illness : A randomized controlled trial », Lancet, 2007, 370, pp. 1146-1152 ; DAVIS L. L., LEON A. C., TOSCANO R., DREBING C.E., WARD L. C., PARKER P.E.

et al., « A randomized controlled trial of supported employment among veterans with posttraumatic stress disorder », Psychiatric Services, 2012, n°63, pp. 464-470 ; DRAKE R.E., FREY W.D., BOND G.R., GOLDMAN H.H., SALKEVER D.S., MILLER A. L., MILFORT R., « Assisting Social Security disability insurance beneficiairies with schizophrenia, bipolar disorder, or major depression in returning to work », The American Journal of Psychiatry, 2013, 170, pp. 1433-1441 ; DRAKE R.E., McHUGO G.J., BEBOUT R.R.; BECKER D.R; HARRIS M.; BOND G.R.; QUIMBY E. « A randomized clinical trial of supported employment for inner-city patients with severe mental disorders », Archives of General Psychiatry, 1999, 56(7), pp. 627-633 ; DRAKE R.E., McHUGO G.J., BECKER D.R., ANTHONY W.A., CLARK R.E., « The New Hampshire study of supported employment for people with severe mental illness », Journal of Consulting and Clinical Psychology, Vol 64(2), 1996, pp. 391-399 ; GOLD P. B., MEISLER N., SANTOS A.B., CARNEMOLLA M.A., WILLIAMS O.H., KELLEHER J., « Randomized trial of supported employment integrated with assertive community treatment for rural adults with severe mental illness », Schizophrenia Bulletin, 2006, n°32, pp. 378-395 ; HESLIN M., HOWARD L., LEESE M., McCRONE P., RICE C., JARRETT M., SPOKES T., HUXLEY P., THORNICROFT G.,

« Randomized controlled trial of supported employment in England : 2 year follow-up of the Supported Work and Needs », World Psychiatry, 2011, n°10, pp. 132-137 ; HOFFMANN H., JACKEL D., GLAUSER S., KUPPER Z., « A randomised controlled trial of the efficacy of supported employment », Acta Psychiatrica Scandanavica, 2012, 125, pp. 157-167 ; KILLACKEY E., JACKSON H.J., McGORRY P.D., « Vocational intervention in first-episode psychosis : Individual placement and support v. treatment as usual », The British Journal of Psychiatry, 2008,193, pp. 114-120 ; LATIMER E.A., LECOMTE T., BECKER D., DRAKE R., DUCLOS I., PIAT M., XIE H., « Generalisability of the

emploi compétitif après avoir suivi un programme de réadaptation autre que l’IPS, plus de 50% - parfois 60% - d’entre eux y accèdent après avoir suivi le programme relatif au modèle IPS179. Notons qu’en général, la plupart des personnes ayant suivi un tel programme travaillent à temps partiel, souvent en horaire à mi-temps180.

Le modèle IPS est conçu pour les personnes souffrant d’une incapacité psychiatrique sévère181. Les incapacités psychiatriques sévères désignent principalement les psychoses, telles que la schizophrènie et les troubles de l’humeur sévères (troubles bipolaires, dépression chronique, etc.) dans la mesure où elles déclenchent une incapacité sur le long terme182. Certains chercheurs et praticiens se sont intéressés à la possibilité d’étendre ce modèle de façon plus large, aux personnes souffrant d’incapacité de travail physiques ou de troubles mentaux légers, tels que le trouble du stress post-traumatique (à savoir un type de trouble anxieux sévère qui se présente à la suite d'une expérience traumatisante) 183. S’il ne semble pas y avoir de contre-indication à utiliser la méthode pour d’autres groupes cibles,

individual placement and support model of supported employment : Results of a Canadian randomised controlled trial », The British Journal of Psychiatry, 2006,189, pp. 65-73 ; LEHMAN A.F., GOLDBERG R.W., DIXON L.B., McNARY S., POSTRADO L., HACKMAN A., McDONNELL,

« Improving employment outcomes for persons with severe mental illness », Archives of General Psychiatry, 2002, 59, pp. 165-172 ; MICHON H.W., VAN VUGT M., VAN BUSSCHBACH J., « Effectiveness of Individual Placement and Support ; 18 & 30 months follow-up », Paper presented at the Enmesh Conference, Ulm, Allemagne, 2011 ; MUESER K.T., CLARK R.E., HAINES M., DRAKE R.E., McHUGO G.J., BOND G.R. et al., « The Hartford study of supported employment for persons with severe mental illness, Journal of Consulting and Clinical Psychology, 2004, n°72, pp. 479-490 ; NUECHTERLEIN K.H., « Individual Placement and support after an initial episode of schizophrenia : The UCLA randomized controlled trial. Paper presented at the International Conference on Early Psychosis, Amsterdam, Pays-Bas, 2010 ; TWAMLEY E.W., NARVAEZ J.M., BECKER D.R., BARTELS S.J., JESTE D.V., « Supported Employment for middle-aged and older people with schizophrenia, Academic Journal of Psychiatry Rehabilitation, 2008, 11, pp. 76-89 ; WONG K.K., CHIU R., TANG B., MAK D., LIU J., CHIU S.N., « A randomized controlled trial of a supported employment program for persons with long-term mental illness in Hong Kong, Psychiatric Services, 2008, n°59, pp. 84-90 ; BOND G.R. & SWANSON S.J., « Supported employment for justice-involved people with mental illness », à paraître. Pour l’Europe spécifiquement, nous avons répertoriés des études randomisées réalisées en Italie (EQOLIZE Study), en Suisse (EQOLIZE Study), en Norvège, en Suède, au Royaume-Uni (EQOLIZE Study, SWAN, ENDEAVOR, IPS-LITE), aux Pays-Bas (EQOLIZE Study, SCION), en Allemagne (EQOLIZE Study) et en Bulgarie (EQOLIZE Study). Voyez la note de bas de page 208 à ce sujet. Voyez également au sujet des différents essais randomisés menés : LUCIANO A., DRAKE R.E., BOND G.R., BECKER D.R., CARPENTER-SONG E., LORD S., SWARBRICK P., SWANSON S.J., « Evidence-based supported employment for people with severe mental illness: Past, current, and future research », Journal of Vocational Rehabilitation, 2014, 40(1), p. 2.

179 DRAKE R.E., BOND G. R., BECKER D.R., Individual Placement and Support. An Evidence-Based Approach to Supported Employment, Preface, op. cit., pp. 47 et s.. Cela dit, il pourrait être intéressant que des économistes vérifient la fiabilité des vingt études randomisées existantes à ce jour.

180 BOND G.R., DRAKE R.E., BECKER D.R., « Generalizability of the Individual Placement and Support (IPS) model of supported employment outside the US », op. cit., p. 36.

181 Le modèle a été créé initialement pour des adultes mais il a déjà été appliqué à des jeunes populations, notamment en Australie avec le programme Australia’s Orygen Youth Health. Voyez à ce sujet OCDE, Fit Mind, Fit Job. From Evidence to Practice in Mental Health and Work, op. cit., p. 52.

182 DRAKE R.E., BOND G. R., BECKER D.R., Individual Placement and Support. An Evidence-Based Approach to Supported Employment, op. cit., p. 5.

183 Ibid., p. 84.

plusieurs chercheurs recommandent de l’adapter alors aux aspects psychosociaux et médicaux des autres populations184. La méthode IPS a en effet été créée spécifiquement pour prendre en compte les troubles mentaux graves.

Drake, Becker et Bond ont constaté que le modèle IPS, à l’instar de tout programme de réhabilitation dans le domaine de la santé mentale, fait ses preuves à condition de rencontrer les 9 critères suivants185 :

- Etre bien défini : le programme doit avoir un objectif précis. Il est préférable d’établir un manuel fixant les différents critères auxquels doit répondre le programme et de créer une échelle de fidélité permettant de s’assurer de la conformité du programme à ces critères,

- Refléter les objectifs de la personne : les préférences de la personne sont déterminantes pour assurer le succès du programme ; elles évitent le problème de désengagement de la personne des services de santé mentale,

- Correspondre aux objectifs sociétaux, à savoir les objectifs rencontrant une forme d’intérêt général (telles qu’explicitées par exemple dans des normes juridiques),

- Démontrer son effectivité par des méthodes fiables,

- Apporter des effets durables et non limités sur le court terme, - Avoir des effets indésirables limités,

- Avoir des coûts raisonnables,

- Etre adapté à différentes communautés et groupes-cible, - Etre facile à implémenter.

Au cours des deux dernières décennies, ces mêmes chercheurs et praticiens américains ont également établi une série de principes auquel le modèle IPS doit répondre. Depuis 2012, on dénombre 8 principes qui fondent la spécificité - et le succès - du modèle IPS186 :

1/ L’emploi compétitif doit être l’objectif poursuivi. Les programmes mis en place doivent faire entrer les personnes directement sur le marché de l’emploi compétitif. Cela signifie que ce modèle n’encourage ni le volontariat, ni les stages non rémunérés, ni les emplois

184 Ibidem. Voyez sur les stress post-traumatiques, l’étude citée de DAVIS L. L., LEON A. C., TOSCANO R., DREBING C.E., WARD L. C., PARKER P.E. et al., « A randomized controlled trial of supported employment among veterans with posttraumatic stress disorder », Psychiatric Services, 2012, n°63, pp. 464-470.

185 DRAKE R.E., BOND G. R., BECKER D.R., Individual Placement and Support. An Evidence-Based Approach to Supported Employment, op. cit., pp. 15-17.

186 Voyez à ce sujet Ibid., pp. 33-39.

protégés car une approche « par étapes » n’apporte pas de résultats encourageants de remise à l’emploi compétitif, sur le court ou le long terme.

Notons cependant que cela ne signifie pas que les programmes IPS ne peuvent pas, concomitamment à la recherche d’un emploi compétitif, encourager des programmes de formation (supported education) si la personne le souhaite187. A l’heure actuelle, peu de recherches ont cependant étudié cette question188 mais une étude de 2012 a démontré l’avantage d’une telle combinaison189.

2/ L’admissibilité au programme est basée sur le choix de la personne. La personne ne