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Vers un modèle intégrateur

CHAPITRE 5 : LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL « UN PROCESSUS A

5.7. Vers un modèle intégrateur

5.7.1. La description est-elle indépendante de l’explication ?

A l’issue de cette revue des grandes approches en matière de changement, le lecteur ne manquera pas d’être frappé par le fait que la plupart des catégories utilisées pour décrire le processus de changement s’insèrent en réalité dans des approches spécifiques qui aident à l’expliquer, surtout lorsque celles-ci sont de nature hypothético-déductive.

Ainsi les types de stratégies distingués par Miles et Snow (1978) et Porter (1980) s’inscrivent-ils logiquement dans la vision du changement pilotée par une direction générale éclairée (approche de la planification).

Les diverses configurations organisationnelles de Mintzberg (1982) ou les types de technologie de Woodward (1965) s’avèrent particulièrement utiles pour souligner l’influence de certains éléments du contexte sur le processus de changement (approche contingente). Quant aux mondes de Boltanski et Thévenot (1991), ils révèlent évidemment tout leur potentiel analytique lorsqu’on cherche à décoder les différentes significations que peut prendre un processus de changement auprès de ses parties prenantes (approche interprétativiste).

Ces approches ont en commun une conception hypothético-déductive de l’explication, partant de constructions théoriques pour explorer la réalité empirique. Les catégories descriptives qu’elles fournissent ne sont donc pas « neutres » puisqu’elles renvoient de manière privilégiée à une approche particulière. On ne s’étonnera pas, en revanche, que des approches plus inductives – comme l’approche politique ou l’approche incrémentale, qui partent des systèmes d’action concrets ou des histoires particulières de chaque organisation – ne proposent pas d’emblée de catégories descriptives.

5.7.2. L’enjeu de l’explication plurielle : le modèle des cinq forces

Après avoir discuté les spécificités de chacune de ces approches explicatives, nous sommes à présent en mesure de proposer un modèle d’analyse intégré et multidimensionnel des processus de changement. La particularité de ce modèle – dit des cinq forces – est d’articuler les différentes approches explicatives en exploitant leur complémentarité en vue d’offrir une appréhension globale des processus de changement. Ce modèle s’inscrit dans la tradition de recherche contextualiste développée par Pettigrew (1987) et son équipe autour de l’étude des processus de changement.

Le contextualisme ne constitue pas, à proprement une approche explicative : il propose plutôt une grille d’analyse générale, dans laquelle peuvent venir s’enchâsser différentes approches. Il met l’accent sur trois concepts clés et leurs interrelations : respectivement, le contenu, le contexte et le processus.

Les contenus ne désignent rien d’autre que le domaine concerné ou la cible visée par le changement. Ces contenus et leur évolution peuvent être décrits à l’aide des concepts que nous avons présentés plus haut.

Les contextes désignent les facteurs susceptibles d’influencer les contenus et leur évolution. Pettigrew distingue ici, de manière assez classique, les facteurs propres à l’organisation elle-même et ceux qui ont trait à son environnement : autrement dit, les contextes internes (modes de travail, taille, âge de l’organisation) et externes (marché, réglementation sociale, etc).

Quant aux processus, ils ont trait aux rapports de pouvoir qui se développent entre acteurs, fonction de la défense de leurs intérêts spécifiques, et aux initiatives qu’ils mettent en œuvre en conséquence face au processus de changement (les uns cherchant à faire évoluer la situation dans telle ou telle direction, les autres plutôt à la stabiliser…)

Ces trois variables sont en étroite interrelation, comme le montre la figure 4. D’un point de vue contextualiste, on considère en effet que les jeux d’acteurs sont contraints, au moins en partie, par les contextes, mais en même temps qu’ils les construisent et ainsi les transforment

FIGURE 4 – L’interaction contenu-contexte-processus

L’ouverture paradigmatique qui caractérise le cadre d’analyse contextualiste nous conduit logiquement à un modèle général qui intègre les différentes approches exposées précédemment.

Le changement, c’est d’abord un contenu, c’est-à-dire un objet qui va être soumis à modification, reflétant le plus souvent les intentions d’une équipe dirigeante en matière de cible, de rythme ou de résultats attendus (approche de la planification) mais pouvant aussi résulter de l’évolution non intentionnelle de certaines variables. Ce changement ne peut

Contexte

Processus

être appréhendé correctement sans être mis en relation avec le contexte dans lequel il est destiné à s’implanter (approche contingente), qui représente à cet égard autant de contraintes que d’opportunités. Son processus d’introduction s’avère crucial : comment les acteurs se positionnent par rapport au contenu (approche politique), comment ils sont marqués, dans ces positionnements, par l’histoire organisationnelle et les décisions héritées du passé, chacune ayant une temporalité spécifique (approche incrémentale), comment ils « mettent en action » les éléments du contexte pour les intégrer de manière signifiante dans le contenu (approche interprétativiste).

CONTENU CONTEXTE

PROCESSUS

FIGURE 5 – Le modèle des cinq forces

Ce modèle permet de rendre compte des multiples dimensions d’un processus de changement. Dans notre cas, on sera aussi bien attentif à la réalisation du plan d’entreprise et du contrat de gestion qu’au contexte de libéralisation qui marque l’ensemble des Etats Européens et qui conditionne, dans une certaine mesure, la conviction de tous les acteurs « qu’il faut changer », aux multiples conflits qui vont marquer la mise en place de la réforme,

Design du projet, de ses étapes clés et des résultats attendus (approche de la planification) Contraintes et opportunités du contexte (approche contingente)

Dynamiques temporelles des décisions antérieures (approche incrémentale)

Légitimité et signification commune du projet (approche

interprétativiste) Rapports de force et jeux de pouvoir entre acteurs (approche politique) Processus de changement

à l’héritage des initiatives précédentes et de leurs succès mitigés, à la suspicion introduite par la nouvelle convention à l’égard de l’ancienne en vigueur jusque-là.

Quelques maîtres mots vont donc désormais structurer notre raisonnement : plans d’activités et objectifs (approche de la planification), évolutions du contexte interne et externe (approche contingente) conflits reproducteurs ou innovateurs (approche politique), articulation du processus en cours par rapport aux actions précédemment entreprises (approche incrémentale), légitimité et signification partagée du changement (approche interprétativiste).

Un des risques auxquels est soumise la démarche explicative que nous proposons est évidemment celui du relativisme intégral. L’analyse s’emploiera en effet à reconstituer avec soin la trajectoire spécifique de chaque processus de changement à l’aide du modèle des cinq forces. On pourra ainsi montrer que dans tel cas, ce sont surtout les forces conjuguées d’une équipe dirigeante visionnaire, capable de rassembler autour d’un projet cohérent, d’un contexte économique favorable et d’une pacification des jeux internes liée à la domination d’un syndicalisme de service qui façonnent les orientations du changement ; dans tel autre cas, ce sont davantage l’accumulation des échecs antérieurs d’initiatives similaires, le raidissement de l’équipe dirigeante dans une vision planificatrice du changement, le caractère bureaucratique de la structure organisationnelle et les clivages entre « pro » et « anti » changement qui marquent le processus. Nous montrerons cependant plus loin que ce modèle nous permet, dans une certaine mesure, d’anticiper certains scénarios possibles d’évolution. Le reproche de relativisme intégral pourra donc être, en partie, rencontré.

SYNTHESE DU CHAPITRE 5

Après avoir tenté de classer les travaux analytiques relatifs à la formation des stratégies de changement, nous avons convenu de distinguer cinq grandes approches explicatives en la matière. L’approche de la planification – qui conçoit le changement comme un processus séquentiel dans lequel l’élaboration de la stratégie précède sa mise en œuvre – reste l’approche dominante dans la littérature en gestion. Elle est cependant battue en brèche par d’autres approches plus analytiques : l’approche politique, qui insiste sur la prééminence des jeux de pouvoir entre acteurs, aux rationalités différentes ; l’approche incrémentale, qui souligne l’influence des décisions antérieures sur les actions présentes, limitant dans les faits la marge de manœuvre dont les dirigeants disposent ; l’approche contingente, qui met en avant le poids des évolutions du contexte, aussi bien interne qu’externe ; l’approche interprétativiste, qui est attentive à la manière dont l’organisation construit de façon active son environnement et au rôle que joue, dans ce processus de construction, l’équipe dirigeante, susceptible de lui donner un sens plus ou moins acceptable.

Ces diverses approches explicatives ont ensuite été articulées en un modèle intégrateur, dit des cinq forces, qui permet d’offrir une vision globale et nuancée du processus de changement

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