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CHAPITRE 5 : LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL « UN PROCESSUS A

5.4. L’approche incrémentale

5.4.1. Un sujet de changement succédant à d’autres

projets

Au regard de son histoire, on peut considérer une collectivité locale comme une organisation arrivée à maturité, à dominante bureaucratique (forte division du travail, forte hiérarchisation), basée essentiellement sur les compétences techniques, avec une tendance à la centralisation de la prise de décision au niveau de l’autorité de tutelle. Au cours des quelques années précédant la réforme considérée, les collectivités locales ont été soumise à de multiples projets de restructuration qui ont tous plus ou moins avorté. Elles vivent encore avec le souvenir d’un grand bouleversement organisationnel des années auparavant, qui a donné lieu à un renforcement des procédures de contrôle et à une accentuation de la centralisation des décisions. Un tel contexte n’a sans doute pas empêché la multiplication d’initiatives officieuses émanant des unités locales afin de répondre aux exigences de plus en plus pressantes de la clientèle. Il n’en reste pas moins que la réforme actuelle reste inévitablement marqué par les succès mitigés des initiatives précédentes de restructuration.

5.4.2.

Les attributs de l’approche

Tout comme les partisans de l’approche politique, les auteurs qui revendiquent leur appartenance au courant incrémentaliste partent d’un point de vue radicalement opposé au rationalisme. Ils étudient les processus de formation des décisions en cherchant à démontrer que ce ne sont pas les méthodes formelles de planification (détermination des objectifs, planification, sélection, évaluation) qui y prédominent mais qu’il s’agit au contraire le plus souvent d’un développement continu, largement morcelé, à caractère itératif et incrémental (Lindblom, 1959), dans lequel, de surcroît, la formulation et la mise en œuvre apparaissent non pas comme des moments séparés qui se suivent dans le temps (« je décide, ensuite je mets en œuvre ») mais bien plus souvent comme indissociables (le moment de la formulation de la stratégie étant inséparable de son implantation).

Loin de considérer un tel état de fait comme contraire à l’exercice de la raison, ils n’hésitent pas à adopter à cet égard une attitude normative. En somme, si le décideur « réel » ne se comporte pas comme le suggèrent les auteurs rationalistes, cela est non seulement « habituel » mais apparaît, dans bien des circonstances, comme souhaitable (Quinn, 1980). Que l’on pense, par exemple, au processus d’allocation budgétaire, qui s’effectue rarement par une mise à plat de tous les postes chaque année, mais bien davantage par une adaptation a posteriori d’un nombre limité de postes pour lesquels une évolution s’impose.

Cette approche met en cause l’idée selon laquelle les décideurs disposeraient d’une liberté totale dans le choix des décisions à mettre en œuvre. En effet, les dirigeants sont largement dépendants, dans leurs actions, de choix antérieurement élaborés ; la marge de manœuvre dont ils disposent se trouve donc étroitement circonscrite. Il en résulte une image du changement organisationnel qui ne peut être « qu’incrémental », chaque situation nouvelle étant modelée sur une situation ancienne dont elle ne se différencie que « marginalement » selon un processus permanent d’essais et erreurs à partir duquel se définissent les objectifs effectivement poursuivis.

Divers auteurs ont ainsi développé, dans la même perspective, la thèse de la dépendance du sentier (path dependency), selon laquelle plus les acteurs organisationnels empruntent une voie particulière, plus ils ont tendance à se maintenir sur cette voie et à ne pas revenir en arrière : on comprend ainsi la tendance à l’inertie des organisations. Comme le rappellent Sydow, Schreyögg et Koch (2005), dans une intéressante contribution faisant le point sur l’utilisation de la thèse de la dépendance du sentier en sciences de gestion, cette théorie permet d’apprécié la manière dont se déroulent les processus de changement liés à l’apprentissage organisationnel (Nooteboom, 1997), aux fusions et acquisitions (Karim et Mitchell, 2000), aux technologies de l’information, à la mise en place des partenariats inter organisationnels, etc.

Selon cette approche, le poids du passé, de la culture, des projets en cours, des décisions antérieures interviennent souvent de façon cruciale dans la conduite d’un processus de changement. La vie de nombreuses organisations se caractérise en effet par des alternances de courtes périodes de changements radicaux – où le coût d’une inadaptation aux variations de l’environnement devient trop élevé par rapport au coût d’une restructuration interne – et de longues périodes de changements incrémentaux – où le coût de l’inadaptation externe ne paraît pas assez important pour précipiter l’ensemble de l’organisation dans une restructuration en profondeur.

On comprend donc que l’un des enjeux majeurs de tout processus de changement consiste à combiner la temporalité du projet concerné avec les temporalités des autres projets en vigueur dans l’organisation. Ces derniers peuvent largement interférer avec le projet actuel et en conditionner le cours.

Sur le plan méthodologique, l’approche incrémentale s’emploie à repérer les principales dynamiques temporelles à l’œuvre dans l’organisation et à évaluer la mesure dans laquelle le processus en cours parvient à s’y articuler. On se montrera ainsi particulièrement attentif aux décisions antérieurement prises et à leurs retombées sur le changement actuel.

Cette insistance sur le poids des choix antérieurs et des temporalités qui leur sont liées ouvre la voie à une autre approche, davantage centrée sur le rôle du contexte dans l’explication des processus de changement. Tel est l’enjeu central de l’approche contingente.

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