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Chapitre 3 : La comptabilité des émissions de GES par enjeu : définition, justification et

3 Le modèle « faible » micro-économique de Puma-PPR (2011) : le compte de résultat

loss accounts »)

3.1

Présentation de la démarche du compte de résultat

environnemental

En 2011, l’entreprise Puma a publié les résultats d’un exercice très ambitieux de comptabilité environnementale : son compte de résultat environnemental (comptes P&L). Il s’agit d’une comptabilité environnementale micro-économique apparentée au modèle de la Banque Mondiale, même si son périmètre d’application à l’échelle de l’entreprise est très différent (Richard, 2012a). L’objectif de cette approche est de mesurer et de quantifier en termes monétaires les impacts environnementaux et sociaux des activités de l’entreprise incluant l’ensemble de la chaîne de valeur. « Affecter une valeur économique aux impacts environnementaux des activités de l’entreprise lui permet d’affronter directement des questions vitales, pas uniquement en rapport avec les impacts environnementaux, mais aussi en matière de risques financiers, de réduction de coûts et de nouvelles approches d’efficacité »18, déclare Alan McGill, associé chez PriceWaterHouseCooper (PwC), en

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Traduction de l’anglais : “the social cost of carbon is a first estimate of the Pigou tax that should be placed on carbon dioxide emission” (Tol, 2008).

17

Traduction de l’anglais : “For policy purposes, the marginal damage cost (if estimated along the optimal emission trajectory) would be equal to the Pigouvian tax that could be place on carbon, thus internalizing the externality and restoring the market to the efficient solution” (Tol, 2009).

18 Traduction de l’anglais : « Assigning economic values to the environmental impact of a company’s operations enables a business to tackle vital questions now, not just about environmental impacts, but business risk, costs savings and finding new ways to become more effective», citation d’Alan McGill, disponible au lien suivant :

http://about.puma.com/puma-completes-first-environmental-profit-and-loss-account-which-values-impacts- at-e-145-million/.

Chapitre 3 : La comptabilité des émissions de GES par enjeu : définition, justification et comparaison avec les modèles existants

charge du développement durable et du changement climatique et co-développeur avec Trucost de cette méthodologie comptable. Cette approche suppose que les aspects environnementaux et sociaux ne soient pas déconnectés. La gestion de ces impacts pourrait être la source d’innovations, d’économies et de réduction de risques, en favorisant le développement de l’activité. Cette hypothèse est également appelée « win-win » d’après les travaux de Porter et Van den Linden (1995b).

La publication de ces comptes de résultat environnemental ne représente que la première étape d’un projet plus ambitieux. La deuxième étape consiste en l’intégration des impacts sociaux de l’entreprise Puma. Elle « nécessitera une collaboration avec d’autres entreprises et des représentants de la société civile pour aborder la complexité des facteurs sociaux de la soutenabilité comme les niveaux de salaires équitables, la sécurité et les conditions de travail, permettant le développement d’un compte de résultat environnemental et social »19. La dernière étape, mais peut-être la plus difficile, consistera en l’évaluation des bénéfices sociaux des activités de Puma. Cette étape « complétera l’autre partie de l’équation, en abordant la question tout aussi complexe de l’évaluation des bénéfices sociaux et économiques des activités de Puma, à travers la création d’emplois, sa contribution fiscale, ses initiatives philanthropiques et d’autres aspects créant de la valeur »20. Seule la première étape de ce processus est à notre connaissance achevée.

La méthodologie utilisée distingue différents périmètres de calculs :

- Les activités de base : la conception des produits, les services de logistique, la gestion de stocks, les fonctions de direction et la vente-distribution ;

- Niveau 1 : la fabrication des produits ;

- Niveau 2 : les procédés externalisés comme la broderie, l’impression ou la fabrication de

semelles ;

- Niveau 3 : la transformation des matières premières comme les tanneries pour le cuir,

l’industrie chimique pour les solvants ou la raffinerie pour le pétrole ;

19 Traduction de l’anglais : «As the impacts of Puma’s operations not only refer to the natural environment, Stage 2 will require collaboration with other corporate and civil society stakeholders in tackling the complexities of social factors in sustainability such as fair wages, safety and working conditions, enabling the development of an Environmental and Social P&L Account », disponible au lien suivant :

http://about.puma.com/puma-and-ppr-home-announce-first-results-of-unprecedented-environmental-profit- loss-account/.

20 Traduction de l’anglais : «Stage 3 will complete the other side of the equation, moving to the equally complex area of valuing the social and economic benefits from PUMA’s operation through the creation of jobs, tax contributions, philanthropic initiatives and other value-adding elements », disponible au lien suivant :

http://about.puma.com/puma-and-ppr-home-announce-first-results-of-unprecedented-environmental-profit- loss-account/.

Chapitre 3 : La comptabilité des émissions de GES par enjeu : définition, justification et comparaison avec les modèles existants

Antoine ROSE – La comptabilité des émissions de GES par enjeu : un outil d’analyse des impacts

du changement climatique sur les activités d’une BFI 110 - Niveau 4 : la production des matières premières comme la culture du coton, l’élevage des

bêtes à cuir, le forage pour le pétrole.

3.2

Quantification de l’impact carbone des activités du Puma et

résultats

Ce modèle comptable intègre évidemment une mesure des impacts des émissions de carbone (plus précisément un ensemble de six GES est considéré ici, qui comprend le dioxyde de carbone, mais également le méthane, l’oxyde nitreux, les chlorofluorocarbures et de façon plus surprenante l’ozone et la vapeur d’eau) dans ce modèle comptable. Notre analyse ne prend pas en compte la pertinence ou l’efficacité de l’outil comptable en termes de gestion des impacts. Des auteurs spécialisés dans la gestion environnementale sont plus qualifiés pour traiter cette question (Richard, 2012a). Malheureusement peu d’informations méthodologiques sont disponibles et notre analyse ne sera basée que sur l’information rendue publique par les développeurs, PwC et Trucost21.

L’estimation des émissions de carbone associées aux activités de base repose sur des données de consommation collectées dans les systèmes d’information de Puma. Les émissions de carbone sont estimées à partir des données d’activités, comme la consommation énergétique des véhicules et des bâtiments, des achats d’électricité et de vapeur, la logistique et les voyages professionnels. Des émissions d’autres GES comme le méthane et l’oxyde nitreux sont apparemment ajoutées sur la base des consommations de carburant. La couverture des sources potentielles d’émissions de GES est assez complète, mais nous pouvons regretter cependant l’absence de sources d’émissions comme la construction des bâtiments et infrastructures pour une entreprise comme Puma, pour laquelle le réseau de distribution et son accessibilité pour les clients (déplacements domiciles-centres commerciaux) sont stratégiques. De la même façon les sources des émissions associées à la fin de vie et au recyclage des produits vendus par l’entreprise sont absentes du champ d’investigation de cet exercice comptable.

L’estimation des émissions de carbone associée à la chaîne de valeur est plus complexe. Les émissions des fournisseurs sont dans un premier temps calculées à l’aide du modèle entrées-sorties développé par Trucost (Puma-PPR, 2011). Les données des fournisseurs du niveau 1 sont collectées pour valider l’empreinte carbone générée initialement par le modèle. Ensuite, les volumes de GES sont « calculés pour les activités de chaque fournisseur et pour leur propre chaîne d’approvisionnement »22. Au-delà

21 Disponible aux adresses suivantes (consultées le 16 octobre 2013) : http://about.puma.com/puma-

completes-first-environmental-profit-and-loss-account-which-values-impacts-at-e-145-million/ et

http://about.puma.com/wp-content/themes/aboutPUMA_theme/financial-report/pdf/EPL080212final.pdf

pour le rapport d’experts (PPR, 2012).

22 Traduction de l’anglais : “Using information on the expenditure and sectors of operation for 195 of PUMA’s first-tier suppliers in the 2010 financial year, volumes of GHGs and other air pollution, water abstraction and

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de ces assertions, certaines questions subsistent. En effet, il y a un risque de comptabilisation multiple des émissions de GES quand les chaînes de valeur des fournisseurs se croisent. Ce risque peut paraître théorique et faible dans ce cas puisque les différentes activités considérées et leurs chaînes d’approvisionnement semblent distinctes (broderie, tanneries, agriculture…). Le modèle entrées- sorties permet l’addition d’émissions de carbone associées à l’ensemble des consommations intermédiaires pour chaque fournisseur (cf. sous-section 3 – Les comptes hybrides : les matrices NAMEA). Il s’agit d’un outil utile pour estimer l’empreinte d’une chaîne de valeur, mais seulement pour les échanges donnant lieu à une transaction marchande.

Une fois les émissions de GES estimées, chaque tonne est évaluée à son « coût social » (« social cost »), c’est-à-dire à son coût marginal de dommage. Trucost applique une valeur de 66 €/tCO2e (87 $/tCO2e). Cette valeur est obtenue à partir de la méta-analyse (Tol, 2009) : elle correspond à la moyenne actualisée à raison de 3% par an (pour tenir compte de l’augmentation de la quantité de GES dans l’atmosphère) de l’ensemble des estimations de coût social du carbone sous les hypothèses d’un taux de préférence pure pour le présent égal à 0 et d’une croissance économique annuelle moyenne de 3,4% (Puma-PPR, 2011). A partir de l’information fournie, il ne nous a pas été possible de retrouver cette valeur à partir de l’article de Tol (2009).

GES (M €) Distribution (%) Impacts Totaux (M €)

Proportion des GES dans les Impacts Totaux (%) Activités de base 7 15 8 88 Niveau 1 9 19 13 69 Niveau 2 7 15 14 50 Niveau 3 7 15 27 26 Niveau 4 17 36 83 20 Total 47 100 145 32

Tableau 3.2 : Résultats des comptes de résultat environnemental de Puma pour l’année 2010.

(Sources : Puma-PPR, 2011)

L’estimation des coûts de GES pour les activités de Puma et sa chaîne de valeur est d’environ 47 millions d’euros, contre un impact environnemental total de 145 millions d’euros (32%). Le coût des GES est uniformément réparti sur l’ensemble de la chaîne de valeur avec cependant un maximum atteint pour le niveau 4 avec 36%. Nous remarquons que le coût de GES est prédominant pour les waste generation were calculated for each supplier’s own operations and those of its own supply chain”, disponible au lien suivant : http://about.puma.com/wp-

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du changement climatique sur les activités d’une BFI 112 périmètres activités de base, niveau 1 et niveau 2. A l’inverse il représente moins de 50% pour les niveaux 3, 4 et le Total. Enfin aucune donnée de précision ou d’incertitude n’est fournie avec les résultats pour aider à apprécier les ordres de grandeur (PPR, 2012).

3.3

Interprétations des résultats

Le compte de résultat environnemental et social de Puma permet une mesure des conséquences des activités de l’entreprise et de ses fournisseurs sur le capital naturel et humain. La méthodologie de calcul analyse les relations entre l’entreprise et son environnement dans un périmètre étendu allant de la production des matières premières jusqu’à la distribution et la vente des produits fabriqués. Si l’amont de la chaîne de valeur est largement exploré, l’aval (la fin de vie des produits) n’est pas pris en compte. L’approche se distingue ainsi de l’analyse de cycle de vie.

Les résultats sont annuels, l’année étant la période de référence des comptes. Les émissions de GES causées par les activités de Puma et de sa chaîne de valeur sont évaluées à leur « coût social » qui représente un coût marginal de dommages. Ainsi, le montant de 47 millions d’euros dans le tableau précédent (Cf. Tableau 3.2) ne constitue pas un coût pour Puma ou ses fournisseurs, mais un coût pour l’ensemble de la société (le total des dommages futurs causés par les émissions de GES annuelles et actualisées à la date du présent). Cela représente le coût des émissions de GES dans le cas où les externalités environnementales sont complétement internalisées dans le marché mondial, comme par exemple avec une taxe mondiale (Cf. sous-section A.2 de ce chapitre). Il ne s’agit pas d’un coût supplémentaire que les entreprises payeraient en conséquence du changement climatique (augmentation de la volatilité sur les marché agricoles, vulnérabilités géographiques des installations de production…) dans les conditions actuelles de marché et de réglementations environnementales. La comparaison du résultat financier de Puma et des évaluations des dommages causés par ces activités n’a pas de sens a priori. Les montants apparaissant dans ce compte de résultat environnemental ne correspondent pas à un risque financier pour l’entreprise Puma, d’autant plus que la grande majorité des impacts proviennent des fournisseurs et non de l’entreprise elle-même.

Cependant, les experts qui ont développé la méthodologie des comptes de résultat environnemental la considèrent « comme un support adapté à la prise de décision stratégique. Elle offre un aperçu des risques liés au capital naturel auquel sont confrontées les entreprises, met en évidence les opportunités potentielles et sert de support de communication auprès des parties prenantes de l’entreprise, y compris ses clients et ses investisseurs»23 (PPR, 2012). De plus Puma a annoncé des engagements de

23 Traduction de l’anglais : «The current E P&L methodology was viewed as appropriate to support strategic decision making, provide insight into natural capital risks faced by business, highlight potential opportunities and act as a basis to communicate a company’s impact on the environment to key stakeholders, including customers and investors » (PPR, 2012).

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réductions de son impact environnemental de l’ordre de 25% de sa consommation d’eau et d’énergie et de ses émissions de GES à l’horizon 2015 (Richard, 2012b). Réduire son impact environnemental contribue à atteindre l’objectif de développement durable, mais des questions fondamentales demeurent : cela sera-t-il suffisant pour protéger notre capital naturel ? Richard dans (Richard, 2012a, 2012b) montre que le modèle de comptabilité environnementale de Puma permet la substitution des différentes formes de capitaux et compare directement les impacts environnementaux et les résultats financiers en valeur. Ainsi l’adoption des comptes de résultat environnemental ne permet pas de garantir la préservation du capital environnemental et supporte une approche faible du DD.

Avant d’étudier le traitement des émissions de carbone dans le modèle comptable CARE (Richard, 2012a) en accord avec l’approche forte du DD, la sous-section suivante revient sur le coût social du carbone qui permet l’estimation des « dommages CO2 » nécessaire à la mesure de l’épargne véritable dans le modèle de la Banque Mondiale et l’impact des émissions de GES pour les comptes de résultat environnemental des activités de Puma.

4 Le Coût Social du Carbone, comme valorisation monétaire des