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Chapitre 1 : Banque de Financement et d’Investissement et éléments de théorie bancaire

4 Fonctions économiques de la banque : petite histoire de la pensée économique

Cette section a pour objet d’identifier les fonctions économiques de l’industrie bancaire étudiées dans la littérature dédiée : des travaux de Smith, considéré comme le fondateur de la théorie bancaire, attaché au rôle de lubrificatrice de l’économie de la banque, jusqu’à la conception contemporaine de Schumpeter de l’industrie bancaire dans laquelle les banques d’affaires deviennent un moteur de l’innovation (Diatkine, 2002 ; Bernou, 2005).

Smith, dans son ouvrage « An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations » (1776), approche les banques comme des acteurs économiques dont la fonction consiste à faciliter les transactions économiques et à lubrifier la circulation de la monnaie. « Dans son analyse, on note que les instruments bancaires (billets, certificats, comptes de dépôts) permettent d’améliorer le bien-être de la société dans la mesure où ils se substituent aux espèces métalliques, sans toutefois en augmenter le

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montant » (Bernou, 2005). En effet, ces instruments bancaires permettent d’éviter les coûts suscités par la gestion de la monnaie métallique (Diatkine, 2002).

Dans la conception de Smith, les banques fournissent aux commerçants la possibilité de détenir des « encaisses de transaction » pour faire face aux décalages entre leurs dépenses et leurs recettes dans une monnaie fiduciaire et scripturale, moins coûteuse et moins risquée que la monnaie métallique. « Smith insiste sur le fait qu’à travers l’escompte d’effet et les découverts, les banques ne doivent procurer aux commerçants qu’une encaisse de transaction ou de trésorerie à court terme, et non du capital qui sert à faire des investissements à long terme » (Bernou, 2005). Il s’agit d’une particularité de la pensée de Smith : le financement des investissements à long terme et la collecte des dépôts sont ignorés. Favoriser les prêts uniquement à court terme garantit alors à la banque qu’elle ne finance que les besoins d’encaisse de transaction (Ditakine, 2002).

Selon Smith, il existe deux types d’emprunteurs : les « marchands prudents » (caractérisés par des besoins de court terme) et les spéculateurs (ou « faiseurs de projet ») (caractérisés par des besoins de long terme). Lors de crédits accordés aux spéculateurs, la banque s’expose au risque d’insolvabilité des emprunteurs spéculateurs (risque de crédit) et au risque de ne pas pouvoir honorer les demandes de reconversion en métal des détenteurs de monnaie scripturale émise par la banque (risque de liquidité) (Diatkine, 2002). Smith introduit donc la nécessité de discriminer les deux types d’emprunteurs. Conscient de la difficulté de cette tâche, il conclut à la nécessité d’une réglementation bancaire, pour préserver la croissance économique et le bien-être collectif des conséquences négatives des faillites bancaires (Bernou, 2005).

Un peu plus tard, Thornton, dans son ouvrage « An Inquiry into the nature and effects of the paper credit of Great-Britain » (1802), dépasse la réflexion de Smith, en ajoutant à la fonction lubrificatrice des transactions des banques celle de financement des investissements via l’émission de dettes sur elles-mêmes. Par ailleurs, Thornton identifie déjà le rôle important de la « Banque Centrale », pour stabiliser la valeur de la monnaie d’une part et rassurer les déposants en tant que prêteur en dernier ressort en cas de paniques bancaires d’autre part (Bernou, 2005).

Comme Smith avant lui, Thornton reconnait le rôle des banques dans l’évaluation de la solvabilité de leurs clients. Il perçoit déjà l’intérêt des grandes quantités d’informations collectées par les banques sur les emprunteurs via, d’une part l’escompte des effets et l’octroi de découverts et d’autre part, les prestations de paiement (Bernou, 2005 ; Scialom, 2013).

Alors que Smith demandait qu’une stricte proportionnalité entre la quantité de billets de banque en circulation et la quantité de marchandises à faire circuler, Thornton prône une suspension momentanée de la convertibilité des billets de banque en période crise. Il considère que le seul remède aux crises bancaires de liquidité est d’injecter une quantité supplémentaire de monnaie dans l’économie. Cette conviction originale est à la base de la « banking school », mais n’empêchera pas Thornton en 1810 de

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Antoine ROSE – La comptabilité des émissions de GES par enjeu : un outil d’analyse des impacts du

changement climatique sur les activités d’une BFI 34

préconiser le contraire et ainsi de rejoindre une position plus proche de celle de Smith et des partisans de la « currency school » (comme Ricardo ou Wheatlley) à l’occasion du Bullion Report3. La « currency school » défend la théorie quantitative de la monnaie, c’est-à-dire la nécessité d’une règle de proportionnalité entre les émissions de billets de banque et les réserves de monnaies métalliques.

A l’inverse, les partisans de la « banking school », comme Tooke (1840, 1844), revendiquent que les quantités de billets de banque doivent suivre les besoins de l’économie et ne pas être régulées par la seule taille des réserves métalliques. Dans cette conception, « l’augmentation de la quantité de billets en circulation est donc la conséquence et non la cause de l’augmentation des transactions et des prix dans l’économie » (Bernou, 2005). Tooke se prononce alors favorablement pour une réglementation de la distribution des crédits bancaires pour encadrer les pratiques des banques qui sont à l’origine d’épisodes d’instabilité.

La Grande Dépression de 1929 est l’occasion pour Fisher de contribuer au débat entre ces deux conceptions de l’activité bancaire, avec son ouvrage « 100% money » (1935). Il adopte les positions de la « currency school », considérant que la monnaie est à l’origine des fluctuations de l’économie. Il accorde à la Banque Centrale la fonction de régulation de la valeur de la monnaie via des politiques monétaires dites « monétaristes », c’est-à-dire contrôlant quantitativement l’offre de monnaie.

Fisher (1935) considère que le crédit bancaire est à l’origine de la crise économique et financière des années 1930, en particulier via son lien avec le système des paiements. Il préconise la séparation des activités bancaires : d’une part, la collecte des dépôts et la gestion des moyens de paiement et d’autre part, la distribution de crédits4. Une telle mesure interdit aux banques de créer de la monnaie sous forme de nouveaux dépôts, à partir des crédits.

Schumpeter s’oppose à la position de Fisher dans son ouvrage « Business Cycles : A theoretical historical and statistical analysis of the capitalist process » (1939). Il explicite le rôle vital des banques en matière de croissance économique, via le financement de projets innovants. Les banques créent de nouveaux moyens de paiement à travers les crédits accordés à la clientèle. Ces crédits ne relèvent pas d’une épargne ex ante, et permettent d’accroître le niveau de richesse produit par l’économie (Bernou, 2005). « La monnaie se transforme en capital » (Diatkine, 2002 ; p 39). Schumpeter attribue aux

3 Le Comité Bullion a été nommé en 1810 en Grande-Bretagne par la Chambre des Communes et a été en charge de l’enquête sur les causes de la hausse du prix de l’or en lingots, suite à la suspension de la convertibilité de la Livre instaurée en 1797 après une ruée bancaire consécutive aux rumeurs de débarquements français au Pays de Galle. La suspension de convertibilité sera prolongée pendant toutes les guerres napoléoniennes, et ne prendra fin qu’en 1821. Cette suspension de la convertibilité en or de la Livre entraîna une hausse du prix de l’or et une baisse du taux de change de la Livre.

4 Cette séparation des activités bancaires reprend les dispositions du Pell Act (1844) qui organise la Banque d’Angleterre en deux départements distincts : un département de banque et un département d’émission (Bernou, 2005).

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banques une fonction d’évaluateur sur le marché du crédit qu’elles remplissent au travers d’une relation de clientèle suivie (Diatkine, 2002).

Le débat sur les fonctions des banques au cours de l’histoire de la pensée économique fait ressortir « l’opposition entre deux conceptions de la banque. Soit une banque qui « transforme » des réserves préexistantes en monnaie bancaire, soit une banque qui crée de la monnaie bancaire à partir du crédit » (Diatkine, 2002 ; p 3) :

- Certains auteurs, comme Smith ou Fisher et les partisans de la « currency school », mettent l’accent sur le rôle de lubrification des rouages de l’économie, cantonnent les activités bancaires à des horizons de court terme pour éviter de fragiliser le système monétaire par des prises de risque trop importantes (risque de crédit et de liquidité). La création monétaire doit être strictement encadrée par des règles de proportionnalité.

- D’autres auteurs, comme Thornton, Tooke et les partisans de la « banking school » ou Schumpeter, reconnaissent un rôle des banques dans le financement à long terme et dans la stimulation de l’innovation, basés sur l’octroi de crédits et une création monétaire associée au développement de l’économie.

Ce sont ces deux conceptions de l’activité des banques que Pauget et Betbèze résument par « les deux fonctions essentielles de la banque : gérer et créer de la monnaie, c’est-à-dire assurer et contrôler la liquidité en quantité et en qualité » (Pauget et Betbèze, 2008).