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Chapitre 2 : De la perception du changement climatique par les banques à la définition du

1 Discours de responsabilité des acteurs bancaires et financiers et perception des risques

climatique

La concomitance des crises climatique et financière de 2007-2008 a permis l’émergence d’un discours de responsabilité de la part des acteurs bancaires et financiers (Carron, 2009 ; Accenture, 2011 ; OTC/ADEME, 2010). « De nombreux dommages environnementaux sont causés par la façon dont

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nous menons nos affaires. Si nous voulons créer une économie mondiale réellement soutenable, alors nous devons changer nos modèles économiques de manière à ce que nos activités deviennent une partie de la solution, et non pas une partie du problème »23 (UNEP-FI et PRI, 2010).

La crise financière de 2007-2008 a été l’occasion pour le secteur d’une remise en question. « Cette crise financière et économique a posé la question des critères d’évaluation de la performance : comment évalue-t-on fidèlement la performance d’une entreprise dans laquelle on investit ; dans quelle mesure les indicateurs macro-économiques classiques reflètent-ils réellement la vitalité d’une économie ? En parallèle, l’importance de l’enjeu climatique conduit à une prise de conscience chaque jour plus forte des conséquences certaines ou possibles du changement climatique, comme en témoignent les discussions sur la thématique des gaz à effet de serre ayant lieu au niveau français (lois issues du Grenelle de l’environnement, Contribution climat énergie) et international (conférence de Copenhague…). La résultante de ces deux actualités convergentes est un questionnement sur l’intégration des enjeux énergétiques et climatiques dans la stratégie des Etats, des entreprises et des investisseurs. » (CDP, 2009)

Des acteurs spécialisés, comme le Carbon Disclosure Projet24 (CDP) ou le cabinet de conseil Carbon Trust25, participent à nourrir le débat sur les conséquences du changement climatique en menant des analyses sur les risques et les opportunités pour les activités bancaires et financières. De nombreuses productions à destination du secteur bancaire et financier ont été publiées pour documenter les conséquences physiques et/ou économiques du changement climatique (CDP, 2009 ; Carbon Trust et McKinsey, 2008 ; UNEP-FI et PRI, 2010 ; Climate Principles, 2010 ; OCDE, 2012a ; Mercer, 2011 ; NEF, 2013 ; OTC/ADEME, 2010). Dans cette littérature dédiée, le changement climatique et la transition vers une économie économe en carbone que celui-ci appelle sont globalement perçus comme un facteur déterminant de l’évolution économique du XXIème siècle. « Les portefeuilles des

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Traduction de l’anglais : “A great deal of this environmental damage is caused by the way we do business. If we are to create a truly sustainable global economy, then we must change our economic models so that business can become part of the solution, not part of the problem” (UNEP-FI et PRI, 2010).

24 Le Carbon Disclosure Projet (CDP) est une initiative lancée en 2000 « qui réunit des investisseurs institutionnels, interroge les grandes entreprises sur l’intégration du changement climatique dans leur stratégie, sur leur approche de la contrainte carbone et sur leurs performances en matières d’émissions de GES » (CDP, 2009).

25 Carbon Trust est un cabinet de conseil qui « couvre un large éventail d’activités, comprenant le conseil aux entreprises en termes d’actions de réduction d’émissions de GES, d’analyses stratégiques des conséquences du changement climatique et d’investissements dans les nouvelles technologies permettant de lutter contre le changement climatique » (traduction de l’anglais: « Carbon Trust carries out a wide range of activities, including working directly with business to reduce carbon emissions, explaining the strategic implications of climate change and investing in new technologies and businesses that will help to tackle climate change. » (Carbon Trust et McKinsey, 2008)).

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changement climatique sur les activités d’une BFI 68

investisseurs sont inévitablement exposés partout aux coûts croissants des dommages environnementaux causés par les entreprises »26 (UNEP-FI et PRI, 2010). L’intégration du changement climatique dans les prises de décision est un enjeu stratégique pour les investisseurs (Carbon Trust et McKinsey, 2008). L’analyse plus fine de ces conséquences économiques est rendue complexe, entre autres, par le lot d’incertitudes présentées dans la section A de ce chapitre. Carbon Trust et McKinsey (2008) mettent en avant trois dimensions d’analyse : comportements des consommateurs, innovation technologique et réglementation. L’évolution de la demande des consommateurs est perçue comme l’opportunité commerciale de développer de nouveaux produits de financement et d’investissement adaptés (CDP, 2009). En revanche, l’entrée en vigueur de nouvelles réglementations en « augmentant la pression sur les entreprises intensives en carbone » (OCDE, 2012a) est perçue comme un facteur de risque (OTC/ADEME, 2010). L’introduction d’un prix des émissions de GES, qui s’ajoutera aux perspectives à la hausse des prix de l’énergie, devrait tirer vers le bas la valeur des entreprises qui ne l’auraient pas anticipé, ni préparé leur modèle économique (OCDE, 2012a ; Carbon Trust et McKinsey, 2008 ; CDP, 2009). Mais le besoin d’investissement dans les technologies vertes et d’adaptation est perçue comme une opportunité (CDP, 2009 ; Carbon Trust et McKinsey, 2008). Enfin un risque de réputation est identifié pour les acteurs économiques dont les efforts pour lutter contre le changement climatique seraient jugés par l’opinion publique comme insuffisants (Cf. section C – Risque de réputation et émissions de GES) (CDP, 2009).

En conséquence, « le niveau de perception des risques et/ou opportunités reste à un niveau élevé, proche des niveaux atteints en 2008 : respectivement 89% et 94% des entreprises ont identifié au moins un risque et/ou une opportunité en 2009 » (CDP, 2009). Même si le risque climatique est perçu comme lointain (horizon 2040) par le secteur financier (2°ii, 2013). Il est de plus en plus recommandé d’intégrer les impacts du changement climatique dans les stratégies et décisions d’investissement (Carbon Trust et McKinsey, 2008), les modèles de gestion financière et dans la mesure de performance et d’évaluation des risques (OTC/ADEME, 2010 ; 2°ii, 2013).

Nous constatons pourtant un décalage important entre la perception mesurée comme grandissante par des acteurs comme le CDP (2009) et les pratiques de prises en compte des risques par le secteur bancaire et financier actuellement (2°ii, 2013; WWF et al., 2012 ; Mercer, 2011). La Banque Mondiale est l’une des rares banques qui mesure la vulnérabilité des projets qu’elle finance au changement climatique et l’intègre dans la conception du projet (World Bank, 2006a). Selon une enquête Ceres27

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Traduction de l’anglais : “Their portfolios (from investors) are inevitably exposed to growing and widespread costs from environmental damage caused by companies” (UNEP-FI et PRI, 2010).

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Le CERES est une ONG promouvant le développement durable auprès des investisseurs, des entreprises et des acteurs publics (http://www.ceres.org/).

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plus de 60% des investisseurs interrogés déclarent intégrer le risque réglementaire associé au changement climatique dans leurs considérations d’investissement. Mais seulement 20% prétendent l’intégrer directement dans leurs valorisations (Ceres, 2010).

Cependant il est important de reconnaître que « mesurer l’impact du changement climatique sur les prêts bancaires est difficile car (i) les effets physiques du changement climatique sur les emprunteurs ne seront pas manifestes avant de nombreuses années, (ii) les politiques de limitation des émissions de GES doivent encore être appliquées aux Etats-Unis, tandis que l’application du protocole de Kyoto par le Canada reste incertaine, et (iii) la durée des prêts est relativement courte par rapport à la survenance des impacts du changement climatique »28 (UNEP-FI et EcoSecurities, 2006). « Les approches traditionnelles de modélisation d’allocation stratégique d’actifs échouent dans la prise en compte du risque du changement climatique »29 (Mercer, 2011). Elles sont basées sur des analyses quantitatives historiques (de l’anglais, « historical quantitative analysis »), alors que le risque lié au changement climatique nécessite l’utilisation de données qualitatives sur les tendances futures. « Etant donné l’incertitude sur les politiques climatiques et les conséquences économiques totales du changement climatique, le précédent historique n’est pas un indicateur efficace de la performance future »30 (Mercer, 2011).

Au final, il reste difficile de préciser la perception actuelle des conséquences du changement climatique par le secteur bancaire et financier. Certaines sources « optimistes » se focalisent sur les opportunités et le développement de nouveaux produits financiers associés à la transition vers une économie économe en carbone (Accenture, 2011 ; OCDE, 2012b ; Carbon Trust et McKinsey, 2008), alors que d’autres « pessimistes » prédisent une crise financière et économique d’ampleur comparable à celle de 2007-2008, consécutive à la réévaluation soudaine des actifs intensifs en carbone lors de la transition énergétique (Cf. sous-sous-section 2.3 – La bulle carbone) (NEF, 2013 ; Lee et Ellis, 2013).

28 Traduction de l’anglais : “Measuring the impact of climate change on bank loans is challenging because (i) the physical effects of climate change on borrowers will not be evident for many years, and (ii) policies designed to limit emissions of greenhouse gases have yet to be imposed in the US, while Canada’s implementation of the Kyoto Protocol remains unclear, and (iii) the relatively short time frame of loans compared to the long-term impact of climate change” (UNEP-FI, 2006).

29 Traduction de l’anglais : “Traditional approaches to modeling strategic asset allocation fail to take account of climate change risk” (Mercer, 2011).

30 Traduction de l’anglais : “Given the unclear climate policy environment and uncertainty around the full economic consequences of climate change, historic precedent is not an effective indicator of future performance” (Mercer, 2011).

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Différentes approches de quantification des impacts du changement