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V. Modélisation du processus d’autorégulation de la conduite chez les seniors

V.3 Modèle du processus d’adoption du comportement de précaution

Le modèle du processus d’adoption du comportement de précaution (PAPM, « Precaution Adoption Process Model », Weinstein, 1988) a été une première fois utilisé dans le cadre de la conduite automobile pour tenter d’expliquer la mise en place des stratégies d’autorégulation par les conducteurs seniors (Kostyniuk, Molnar, & Shope, 2001). Cette adaptation du PAPM visait à décrire la manière dont les conducteurs seniors faisaient face au déclin de leurs capacités avec l’âge, ainsi que leur propension à changer de comportement au volant de leur voiture en réponse à ce déclin fonctionnel. Cependant, cette adaptation du modèle n’était pas suffisamment détaillée car elle était principalement basée sur la conscience des conducteurs du déclin de leurs capacités et ne prenait pas en compte l’influence de facteurs externes et internes dans le processus d’autorégulation. C’est pourquoi, Hassan et al. (2015) ont réalisé une nouvelle étude afin de compléter les travaux de Kostyniuk et al. (2001).

Le PAPM initial, proposé par Weinstein en 1988 (Figure 13), décrit les différentes étapes qui mènent à l’adoption d’un comportement dit « de précaution », par l’individu à la suite de la détection d’un risque ou d’une menace. Par exemple, ce modèle a permis d’étudier l’adoption d’un comportement par les individus lors de la détection de radon dans leur domicile (Weinstein, Lyon, Sandman, & Cuite, 1998), dans le cas du dépistage du cancer colorectal (Costanza et al., 2005), ou encore en cas d’épilepsie (Elliott, Seals, & Jacobson, 2007). Ce comportement de précaution vise à limiter le risque encouru, en étant plus prudent, et/ou en évitant complètement d’être confronté à l’élément ou à la situation risqué(e). Comme le modèle transthéorique, le PAPM repose sur l’idée que l’adoption du comportement de précaution est multifactorielle et séquentielle, et distingue des étapes où l’individu « envisage d’agir » et d’autres où il « agit ». Cependant, Weinstein & Sandman, (1992) ont relevé trois différences majeures entre ces deux modèles. Ils soulignent le fait que, dans le modèle transthéorique du changement :

- l’étape de pré-contemplation, qui se caractérise par l’absence de désir de changement et de perception du problème, ne fait pas la distinction entre les personnes qui n’ont jamais envisagé de changer de comportement et celles qui, après y avoir réfléchi, ont conclu qu’elles ne souhaitaient pas changer ;

- l’étape de contemplation, qui se caractérise par la conscience du risque sans action, regroupe les personnes qui envisagent de changer de comportement sans faire de distinction entre les personnes qui sont encore indécises sur leur choix et celles qui ont déjà décidé d’agir ;

- il n’y a pas d’étape caractérisée par l’absence de conscience du risque.

Figure 13. Représentation des différentes étapes du modèle du processus d’adoption du comportement de précaution, d'après Weinstein, Sandman, & Blalock, 2008

En 2015, Hassan et collaborateurs ont à leur tour utilisé le PAPM comme point de départ pour tenter de mieux comprendre le processus d’autorégulation de la conduite des seniors. Afin de compléter l’adaptation du modèle proposée par Kostyniuk et collaborateurs (2001), ils ont cherché à décrire l’impact des feedbacks (du médecin ou des proches) sur la prise de décision et le comportement de conduite des conducteurs seniors. Vingt-sept conducteurs âgés de 74 à 90 ans ont participé à des groupes de discussion. Les questions posées lors des entretiens semi-directifs visaient à déterminer l’importance de la conduite dans le quotidien des participants ; s’ils avaient conscience de la diminution de leurs capacités de conduite avec l’âge ; s’ils avaient modifié leurs habitudes de conduite au cours des dernières années ; s’ils avaient déjà envisagé d’arrêter de conduire et quel serait l’impact d’une telle décision sur leur qualité de vie ; s’ils avaient reçu des indications sur la nécessité d’arrêter et, si oui, quel avait été l’impact de ces feedbacks sur leur planification et leur prise de décision vis-à-vis de cet arrêt.

A partir des réponses des participants, les auteurs ont pu apporter des éléments complémentaires au PAPM (Figure 14) afin de décrire le processus d’autorégulation chez les conducteurs seniors, de l’absence de conscience du risque en conduite (Etape 1) jusqu’à la mise en place de stratégies d’autorégulation (Etapes 6 et 7). Les auteurs ont identifié les facteurs clés permettant la transition d’une étape à une autre. Tout d’abord, les auteurs soulignent que la prise de conscience des modifications de leurs capacités de

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conduite est une condition indispensable pour que les conducteurs s’engagent dans le processus d’autorégulation (transition de l’étape 2 à l’étape 3). Les conducteurs ont besoin de percevoir le risque qu’ils encourent s’ils ne modifient pas leur comportement au volant, ou de sentir l’importance des mesures de précaution, telles que l’évitement de situations de conduite difficiles pour eux-mêmes (Weinstein et al., 2008). Cette prise de conscience des changements des capacités de conduite avec l’âge est permise par des : i) facteurs intra-personnels (par exemple : l’état de santé, la perception de leurs capacités, les connaissances générales sur les problèmes de sécurité routière des seniors, etc.) ; ii) facteurs interpersonnels, tels que les feedbacks reçus du médecin, des amis ou des membres de la famille sur les déclins liés à l’âge et leurs répercussions sur leurs capacités de conduite (Ackerman et al., 2011 ; Eby et al., 2003 ; Holland & Rabbitt, 1992) ; ou encore iii) les accidents que les conducteurs ont pu avoir dans le passé (Lafont et al., 2008).

Ensuite, la transition de l’étape 3 à l’étape 5, c’est-à-dire la décision d’agir, est liée à des facteurs personnels et à des facteurs interpersonnels. Les facteurs intra-personnels font référence aux croyances et aux attentes des seniors vis-à-vis de leur conduite future. Certains conducteurs décident de réduire la fréquence et l’étendue de leurs déplacements après que les personnes de leur entourage aient eu un accident par exemple. De plus, les conducteurs sont plus enclins aujourd’hui à mettre en place des stratégies d’autorégulation et à modifier leurs habitudes de conduite, pour leur permettre de maintenir cette activité dans des conditions sûres car elle est essentielle pour leur identité et leur bien-être et est un élément majeur de leur indépendance et de leur qualité de vie (Adler & Rottunda, 2006 ; Yassuda, Wilson, & Mering, 1997). La décision d’agir repose également sur la confiance des seniors en leur conduite et sur leur niveau de confort au volant (Ackerman et al., 2011 ; Baldock et al., 2006 ; Marottoli & Richardson, 1998 ; Meng & Siren, 2012). Enfin, les facteurs interpersonnels font référence aux feedbacks reçus par les conducteurs de leur entourage, de leur médecin, ou encore d’un moniteur de conduite, s’ils ont repris des cours de conduite auprès d’une auto-école.

Pour finir, la dernière étape est « l’action » à proprement parler, qui consiste en la modification de l’activité de conduite, avec la mise en place des stratégies d’autorégulation pour permettre le maintien de cette activité ou en l’arrêt de la conduite. Le choix de l’action réalisée (le maintien ou l’arrêt de la conduite) est également sous-tendu par les feedbacks reçus mais aussi par des éléments facilitateurs et des freins parmi lesquels se trouvent : i) l’existence de modes de transport alternatifs (transports publics, taxis, bus, trains) ; ii) la composition du foyer (vivre seul ou en famille) ; ou encore iii) les aides technologiques à la conduite (par exemple : système de détection d’angle mort, système d’assistance au changement de voie, etc.).

Figure 14. Représentation du processus d'autorégulation de la conduite au travers du modèle du processus d’adoption du comportement de précaution (PAPM), adapté de Hassan et al., 2015

Pour conclure, l’adaptation du PAPM proposée par Hassan et collaborateurs est plus complète que les modèles présentés précédemment pour illustrer les différentes étapes du processus d’autorégulation de la conduite chez les conducteurs seniors et l’influence des facteurs lors de la transition d’une étape à une autre. Les auteurs soulignent l’importance de la conscience des conducteurs de leurs propres capacités dans l’initiation du processus d’autorégulation. De plus, les feedbacks reçus par les conducteurs jouent également un rôle important dans toutes les étapes de la modification du comportement de conduite (que ce soit dans la prise de décision concernant le choix de modifier ses habitudes de conduite ou dans la mise en place de stratégies d’autorégulation).

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