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Dans cette section, nous nous bornerons à présenter les schémas qui permettront la mise en forme du modèle d appropriation proposé dans le chapitre suivant. Nous ne présenterons pas les soubassements théoriques de ces modèles puisque nous nous adosserons à d autres travaux pour expliquer les phases du processus d appropriation du référentiel IAS/IFRS.

Dans un premier temps, nous préciserons le concept de processus et la dimension temporelle de ce dernier afin de mettre en vue le processus d appropriation en phases successives entre un début et une fin.

Ensuite, nous présenterons les schémas qui ont servi de soubassement au modèle d appropriation. Nous nous appuierons dans un premier temps sur les travaux de Lewin (1947) présentant le processus de changement en trois phases. Dans un deuxième temps, nous nous adosserons aux travaux de Vas (2002) sur le changement organisationnel, proposant une décomposition du processus de changement en trois grandes phases. Notre étude sera conduite dans un troisième temps en faisant référence aux travaux de Godowski (2004) relatifs à l assimilation de la méthode RAROC dans le milieu bancaire et proposant un processus d assimilation de la méthode en six phases. Pour finir, nous nous appuierons sur les travaux de De Vaujany (2005) portant sur le management de l appropriation des objets et outils de gestion. Il décrit, d une part, le processus d appropriation et d autre part il formule des axiomes de référence pour conduire une étude sur l appropriation des objets et des outils de gestion.

1. Les matériaux d élaboration du processus d appropriation

Cette partie nous permet de mettre en vue les processus d appropriation en précisant le concept de processus et la dimension temporelle qui présente le processus d appropriation en phases successives entre un début et une fin.

1.1. La concept de processus

Nous avons fait le choix de retenir le concept de processus pour introduire l idée d articulation des activités et de coopération des acteurs intervenant dans la mise en usage du référentiel IAS/IFRS et non pas celle du cloisonnement des activités, des tâches et des services. En effet, pour Arena et Solle (2008), « la conception d’un processus ne relève pas d’une simple agrégation d’activités et de compétences mais d’une logique d’agencement et de combinaison qui témoigne d’une réalité complexe (…) ».

Pour Arena et Solle (2008), « de ce fait, le management d’un processus ou des processus ne reposerait plus sur une conception simplement additive des activités, mais sur un assemblage et une compréhension où l’interaction, inhérente aux situations de complexité, aux ajustements en temps réel, viendrait renforcer l’autonomie et les compétences cognitives des agents opérationnels ».

Nous proposons donc ici de voir dans la notion de processus une figure privilégiée de l activité collective dans l organisation.

1.2. L approche temporelle

Nous avons également retenu une approche temporelle qui présente le processus comme ayant un début et une fin sans pour autant être défini à l avance. Il est alors construit par les acteurs (Vandangeon 1998). Plusieurs modèles ont été proposés dans la littérature au titre du changement organisationnel. Ils se présentent de manière récurrente sous la forme de modèles à plusieurs phases tel que le modèle de Lewin (1947) par exemple.

Nous nous sommes appuyé sur ces représentations dans nos travaux, étant donné que nous avons posé le principe que le référentiel IAS/IFRS, après avoir été qualifié d innovation managériale et comptable ainsi que d outil de gestion induit des changements organisationnels.

Pour définir le changement organisationnel, nous nous sommes adossé aux travaux de Latiri Dardour (2006) le considérant comme étant « une rupture par rapport aux modes de fonctionnement et aux raisonnements antérieurs. Il s’agit donc d’«un processus dynamique qui crée une différence dans un système entre un instant t et un instant t + 1» (Beriot 1992, p. 103). Le changement organisationnel traduit ainsi le chemin à parcourir entre un état de départ et un état d’arrivée (Yatchinovsky 1999), donc entre deux équilibres de l’organisation ».

Nous développerons dans ce qui suit les schémas fondateurs de l approche de l appropriation par les phases.

2 : Les schémas fondateurs du modèle d appropriation

Les schémas fondateurs du modèle d appropriation sont issus des travaux de Lewin (1947), Vas (2002), Godowski (2004) et de De Vaujany (2005).

2.1. Les travaux de Lewin (1947)

Selon Siebenborn (1992), la proposition de découpage du changement est très ancienne puisque issue des travaux de Lewin dans les années 40. Le modèle de Lewin (1947) apporte un éclairage sur les comportements des acteurs et les forces existantes dans les organisations face à un changement organisationnel. Il identifie deux types de force : des forces d attraction ou motrices en faveur du changement et des forces contraignantes qui empêchent l action de changement. Quant au comportement des acteurs, ils résulteraient de la combinaison de ces deux forces. Ainsi, pour Lewin (1947), le changement serait un processus quasi statique résultant d un champ de forces opposées ayant des intensités similaires. Par analogie à une transformation chimique où un solide passe par un état fluide avant de revenir à un état solide différent du premier, le processus de changement serait un cycle planifié, long et suivant trois phases :

Décristallisation (Unfreeezing) : cette phase s articule autour de la prise de

conscience par les acteurs de l existence d une dissonance entre l organisation et son environnement. Un désir de transformation se propage alors dans l organisation. C est une période de remise en question et d ouverture, traduisant le fait que les forces motrices ont pu déplacer les barrières, changer les schémas de perception, et déstabiliser les croyances. Cette étape est caractérisée par une instabilité, une perte de repère et un degré d insécurité engendrant ainsi le sentiment de la nécessité de changer.

Changement (Move) : cette étape traduit un mouvement vers le changement,

l exploration de nouvelles pratiques et la discussion de celles jugées inefficaces (réduction de la force résistante au changement).

Recristallisation (freezing) : cette dernière étape du processus du changement

correspond à l institutionnalisation de nouvelles pratiques. Il s agit donc de la consolidation, la convergence et l appropriation de nouveaux comportements.

En outre, au cours de cette phase, l organisation assiste à l enracinement de nouvelles normes et à l émergence d une nouvelle culture. La recristallisation empêche donc les individus de retourner à l étape précédente.

Le concept central du modèle repose sur l idée qu'une organisation doit être d'abord portée hors de ses valeurs et de son mode de fonctionnement courant, doit ensuite être changée, puis replacée sur de nouvelles valeurs et un nouveau mode de fonctionnement.

Avec les travaux récents de Vas (2002), les trois phases du modèle de la démarche sont reconsidérées.

2.2. Les travaux de Vas (2002)

A la suite des travaux de Lewin (1947, 1951), Vas a proposé le processus de changement de « Work Force Management » (WFM), en trois grandes périodes :

Une première phase d Initiation, qui correspond au lancement du projet, où l on décide de planifier le projet de changement et de le démarrer ;

Une seconde phase d Activation, qui repose sur la mise en oeuvre du projet, où l on met en action le changement dans son contexte ;

Une troisième phase de Consolidation, ou d institutionnalisation du projet, où le changement est intégré dans la vie organisationnelle.

L objectif de ce découpage temporel est de permettre au chercheur une comparaison de trois grandes périodes dans la vie du projet WFM, afin de traiter le processus de façon longitudinale. Ces trois phases de la démarche deviennent un modèle qui permet d intégrer à la démarche de changement planifié, les ajustements et improvisations nécessaires en cours de processus.

Les modèles proposés par Lewin et Vas présentent l avantage de ne positionner que trois grandes phases au niveau du processus. Toutefois, ils semblent trop simplifier la réalité, c est pourquoi, nous allons à présent considérer une autre approche issue des travaux de Godowski (2004).

2.3. Les travaux de Godowski (2004)

Godowski, dans ses travaux sur l assimilation de la méthode RAROC dans le milieu bancaire, indique qu « à l’instar des travaux de Hage (1980), le processus d’assimilation d’une innovation de gestion peut être découpé en plusieurs phases. Brewer (1996) précise plus

avant le découpage de ce processus en distinguant cinq étapes : l’initiation, l’adoption, l’adaptation, l’acceptation, la routine et l’intégration » (Godowski 2004).

Initiation Adoption Adaptation Acceptation Routinisation Intégration

Figure 10 : Le processus d assimilation d une innovation managériale Source : Brewer (1996)

Selon Godowski (2004), si la théorie de la diffusion de Rogers permet de bien expliquer le passage de la phase d initiation à la phase d adoption, elle semble plus limitée pour comprendre la suite du processus et notamment la phase d adoption.

En effet, la transposition du cadre théorique de la diffusion de Rogers (1995) au domaine micro-économique conduirait à appréhender l assimilation de l innovation en fonction du nombre d adhésions des acteurs de l organisation à l instrument.

Ainsi, la phase d adoption serait celle où le nombre d adhésions à l instrument serait le plus important.

L hypothèse sous-jacente de la théorie de la diffusion est qu une innovation managériale possède des qualités intrinsèques de complétude dès son entrée dans l organisation. Or, selon Godowski (2004), la réalité contredit souvent cette hypothèse et les travaux de Moisdon (1997) et David (1998) démontrent l incomplétude des instruments de gestion. L instrument ne prend forme (n est intégré) que par les interprétations et les interventions des acteurs dans l organisation. « La perfection n’est que de fin de parcours » (Latour 1992).

« Pour devenir une réalisation concrète, c’est-à-dire être utile à l’acteur en répondant à ses problèmes quotidiens, l’instrument doit intéresser les acteurs, mais doit également être contextualisé, adapté à l’environnement » (Akrich, Callon et Latour 1988).

Godowski fait référence aux représentants de l Ecole française de la sociologie qui ont proposé un modèle concurrent au modèle de la diffusion de Rogers (1995), le « modèle de la traduction » ou encore « de l intéressement » Akrich, Callon et Latour (1988). L utilisation de la théorie de l intéressement permet de comprendre l adoption de l instrument par l organisation. En prenant appui sur l idée que l instrument doit intéresser les acteurs et les choses (le contexte), il est possible d interpréter la non-adaptation de l instrument comme un problème de résistances des acteurs aux changements ou comme une difficile contextualisation à l environnement (figure 11 ci-après).

Figure 11 : Conditions à l adoption d un instrument de gestion (Godowski 2004)

Au-delà de la phase d adoption, Godowski (2004) explique le processus par la dynamique des processus de gestion instrumentés de Gilbert (1998). « La routinisation et l’intégration de l’instrument sont fonction des effets directs et indirects de l’instrument. A partir du moment où les fonctions agissent dans des rapports d’interdépendance, mais de manière contrôlée, l’instrument est intégré. Dans le cas contraire, l’instrument ne parvient pas à atteindre les objectifs initiaux. Selon cette dynamique, l’instrument doit d’abord être un moyen pour les acteurs d’acquérir des connaissances et des savoirs (rôle de moniteur). Il est donc important que l’instrument soit imprégné d’une philosophie gestionnaire (Hatchuel et Weil 1992) c’est-à-dire un ensemble de principes régissant son fonctionnement. Par la suite, l’instrument doit produire des effets cognitifs et politiques lui conférant des fonctions d’analyseur et de régulateur. Au travers de ces fonctions, l’instrument révèle la distance entre la vision simplifiée des relations organisationnelles sous-jacente et l’organisation présente dans les fonctionnements usuels. A partir de ce moment là, l’instrument peut alors jouer son rôle d’opérateur. Il peut participer à « normer » le comportement des acteurs pour les rendre conformes à une norme ou un ensemble de règles préétablies. L’instrument a un rôle de conformation (Moisdon 1997) ou de prescripteur de conduite (Gilbert 1998) » Godowski (2004).

Le processus d assimilation d une innovation managériale proposé par Godowski (2004) est plus riche que celui de Vas (2002) et semble par sa modélisation en six phases adapté pour formaliser le processus d appropriation du référentiel IAS/IFRS. De plus, les conditions d adoption d un instrument de gestion apportent un éclairage intéressant pour expliquer les phases du processus.

2.4. Les travaux de De Vaujany (2005)

De Vaujany (2005) dans ses réflexions sur le management de l appropriation des objets et outils de gestion décrit, d une part, le processus d appropriation et d autre part, il formule des axiomes de référence pour conduire une étude sur l appropriation des objets et des outils de gestion.

2.4.1. Le processus d appropriation par un collectif

De Vaujany (2005, p. 33-34), dans ses réflexions sur le management de l appropriation des objets et outils de gestion, décrit le processus d appropriation par un collectif comme un processus contingent, ouvert, complexe et continu. L appropriation est un processus long qui débute bien avant la phase d utilisation de l objet et se poursuit bien après l apparition des premières routines d utilisation.

T0 T+n

Pré- Appropriation Routine 1 Ré- Routine 2

appropriation originelle appropriation

Notions liées : Notions liées : Notions liées : Notions liées :

Perception Acceptation Stabilité Ré-interprétation

Evocation Utilisation Routine Utilisation

Conception Evocation Réflexes Apprentissage

Apprentissage Acceptation

Maîtrise :

- +

Construction sociale de l objet :

- +

Figure 12 : Le processus d appropriation par un collectif Source : De Vaujany (2005, p. 34)

L appropriation commence ainsi avec une phase que l on pourrait qualifier de « pré- appropriation » : à l occasion de premières discussions et de son évocation ou, pour quelques rares personnes, de la phase de (co-)conception, l outil de gestion est l objet d'une première interprétation. Ainsi, dans la simple phase de projet ou bien dans des formations ou communications sur l outil, des éléments de structuration de l organisation peuvent être repérés.

Dans les cas où l outil fait l objet d une acceptation minimale, la seconde étape peut ensuite débuter. Il s agit de la phase d « appropriation originelle ». De multiples processus socio-politiques ou psycho-cognitifs sont alors activés dans l organisation. Cela peut d ailleurs se traduire par des tensions. Cette troisième étape s achèvera avec l entrée dans certaines routines d utilisation. Dans une troisième étape qui ne cessera véritablement qu avec sa désactivation, l outil pourra être l objet de multiples « ré-appropriations ». Comme le souligne Ciborra (2000), les « bricolages » et « improvisations » des acteurs amèneront l outil à évoluer de façon récurrente et imprévisible au fil de l arrivée d outils concurrents, de nouveaux acteurs, de changement dans l environnement institutionnel ou concurrentiel, etc. Le processus d appropriation ne s achève donc pas par la formation de routines « définitives ».

2.4.2. Une axiomatique de l appropriation

Afin de définir plus précisément un cadre théorique de l'appropriation et des éléments auxquels elle s applique, De Vaujany (2005) propose des axiomes de référence pour conduire une étude sur l'appropriation des outils de gestion. Il en formule quatre :

« Axiome 1 : Toute appropriation est une forme contingente qui articule les quatre catégories d éléments du modèle analytique (les objets, les outils, les

dispositifs et les règles).

Axiome 2 : Tout outil ou objet de gestion, conçu à distance des acteurs ou bien

dans une logique de co-production, présente une certaine flexibilité

instrumentale et interprétative. Ce second axiome nous paraît incontournable

dans une étude de l'appropriation. Sans ces deux types de flexibilité, les outils ne peuvent pas être « détournés », ré-interprétés et même plus simplement, instrumentés. En l'absence de cette vision des objets, outils, dispositifs et règles de gestion, l’appropriation perd sa raison d’être au profit de notions plus usuelles comme celles d’utilisation, d’usage ou bien d'acceptation.

Axiome 3 : L'appropriation est un phénomène complexe qui nécessite l activation de trois « regards » afin d'être appréhendée dans toute sa richesse.

Comprendre comment un ou plusieurs acteurs rendent un outil de gestion propre à un usage passe par l’adoption du point de vue :

- du ou des (co-)concepteurs et de celui des formateurs-diffuseurs de l’outil, lesquels inscrivent l’outil dans une perspective de régulation de contrôle ayant des préoccupations d’efficacité et d'efficience (perspective dite « rationnelle ») ;

- des utilisateurs-finaux et des dynamiques d’apprentissage-représentation de l’outil par lesquelles ils vont inscrire leur utilisation de l’outil dans une logique de régulation autonome (perspective dite « psycho-cognitive ».

- des utilisateurs-finaux toujours et des processus sociologiques par lesquels

passent l’appropriation afin de constituer une régulation autonome (perspective dite « socio-politique ».

In fine, comprendre une dynamique d’appropriation passe donc par une « compréhension conjointe ». Il s’agit de mobiliser à la fois le point de vue de la régulation de contrôle (celle qui s’efforce de normaliser l’outil et ses utilisateurs) et celui de la régulation autonome (celle qui souvent contourne ou détourne un outil ou un objet afin de le rendre propre à un usage local).

Axiome 4 : L appropriation est un processus long qui débute bien avant la phase d utilisation de l objet et se poursuit bien après l apparition des premières routines d utilisation (cf. figure 12).

L’axiome 4 amène à voir l’appropriation des objets, outils, dispositifs et règles de gestion comme un processus contingent, ouvert, complexe et continu » De Vaujany (2005).

Le schéma temporel de l appropriation proposé par De Vaujany (2005) et la formulation d axiomes de référence pour conduire une étude sur l'appropriation des outils de gestion apportent un éclairage intéressant à notre étude. La référence aux travaux de De Vaujany sera récurrente dans les développements qui vont suivre. Toutefois, nous rapprocherons les travaux de Vas (2002), de Godowski (2004) et de De Vaujany (2005) pour proposer une description en plusieurs phases du processus d appropriation du référentiel IAS/IFRS au sein des organisations.

Nous avons repris les postulats des quatre modèles présentés que nous avons tenté de ressembler dans un modèle intégrateur comme étant notre référent dans le cadre de notre approche. Nous allons, avant de le décrire, présenter les acteurs intervenant dans le processus d appropriation et le mode d organisation retenu.