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Nous avons vécu un long processus de construction de notre objet de recherche. Après avoir posé un questionnement initial, une première analyse de terrain nous a permis d avoir une vision aussi complète que possible de notre problème. Celle-ci nous a, en retour, amené à reformuler notre objet de recherche et à préciser la problématique de notre travail doctoral.

1. Une confrontation de la question de recherche initiale à la « réalité »

Le travail de recherche conduit en vue de la rédaction du mémoire de Master recherche a permis de faire émerger une première question de recherche, fin 2005, ainsi formulée : « Adaptation du système d’information et changements organisationnels face au référentiel IFRS ? ». C est à partir de ce questionnement que les travaux présentés ont trouvé leur origine et nous ont conduit à un certain nombre de considérations méthodologiques sur lesquelles nous reviendrons dans la section deux du présent chapitre, intitulée « Les choix méthodologiques ». Elles tiennent notamment à notre volonté d appréhender le sujet dans toute sa richesse, ce qui nous a orienté vers une étude de cas et, au sein de celle-ci, à l usage d une méthodologie qualitative, qui nous a semblé être la plus appropriée pour décrire et

conceptualiser les changements actionnés au jour le jour par des acteurs organisationnels ainsi que leurs interactions. L étude empirique devait être menée auprès d une entreprise soumise au référentiel IAS/IFRS, ou ayant opté, et appartenant au secteur pharmaceutique. Ce dernier présentait la particularité de s inscrire dans une démarche innovante et de disposer de moyens financiers importants pour faire évoluer ses systèmes d information afin de répondre aux exigences imposées par les normes internationales.

La gestion des immobilisations corporelles semblait être une activité comptable significative dans ce secteur où les investissements sont importants.

De plus, la gestion des immobilisations, nécessitant l application des normes IAS 16 « Immobilisations corporelles », IAS 36 « Dépréciation des actifs » et IAS 14 « Informations sectorielles » semblait imposer un rapprochement entre les différents services des organisations pour déterminer des informations comptables nouvelles, notamment le nombre et le montant des composants des immobilisations décomposables, la durée d utilité, la valeur résiduelle, la juste valeur des actifs, etc.

D autre part, l étude de l application des normes IAS 16, 36 et 14 semblait limiter les risques de demande de confidentialité sur les travaux menés, contrairement à d autres normes plus « sensibles » comme celles relatives au traitement des immobilisations incorporelles telles que les brevets et les licences qui constituent des postes importants dans le domaine pharmaceutique.

C est dans cette formulation que le projet de thèse a été présenté à M. DJM, Directeur comptable, responsable de la comptabilité sociale et de la consolidation du Groupe A (Annexe 7 intitulée « Support de présentation du projet de thèse au Groupe A »). M. DJM a eu l amabilité d accepter qu une étude de cas longitudinale sur une période de deux exercices comptables soit menée au sein de son service et d apporter son aide afin de faciliter la rencontre avec les acteurs des directions suivantes :

La Direction des systèmes d information :

La Direction des systèmes d information pouvait contribuer fortement à la recherche dans la mesure où des impacts de l adoption du référentiel IAS/IFRS pouvaient toucher le système d information au niveau de ses matériels, de ses logiciels, de son personnel, de ses données, de ses procédures, etc.

Le Contrôle de gestion :

Le contrôle de gestion pouvait enrichir la recherche par sa participation active au processus relatif à l élaboration et au traitement de l information comptable et financière. Il semblait intéressant de connaître les modifications induites par l adoption de référentiel IAS/IFRS au niveau du suivi des investissements (au niveau du budget) mais aussi de pouvoir appréhender la place des normes internationales dans la réflexion lancée sur la réorganisation du contrôle de gestion.

La gestion des ressources humaines :

La direction ayant en charge la gestion des ressources humaines pouvait apporter un éclairage intéressant sur les points suivants :

- la politique de gestion du changement dans le groupe ;

- la politique de formation associée à l adoption du référentiel IAS/IFRS ;

- l évolution des définitions de poste suite à l introduction des normes

internationales (notamment pour le personnel associé à la gestion des immobilisations corporelles).

La Direction des opérations industrielles :

La Direction des opérations industrielles semblait avoir un rôle renforcé au niveau de la gestion des immobilisations corporelles en raison de la dimension « économique » introduite par le référentiel IAS/IFRS. En effet, le rythme de consommation d un actif ne pouvant être traduit qu au niveau opérationnel, il semblait opportun de connaître :

- la contribution de la Direction des opérations industrielles dans la gestion des immobilisations corporelles : ventilation par composants, fixation des durées d utilité, etc. ;

- les changements au niveau organisationnel afin de produire les informations en relation avec la gestion des immobilisations corporelles, requises en raison de l adoption du référentiel IAS/IFRS.

Suite à l accord de M. DJM, la première question de recherche a été confrontée au terrain. Début 2006, un entretien exploratoire semi-directif a été conduit au sein du service comptabilité sociale et consolidation, avec M. DJM, Directeur comptable, afin de nous familiariser avec le mode de fonctionnement du groupe, les terminologies employées et sa culture.

Un travail approfondi a également été mené sur le projet de conversion des comptes du Groupe A aux normes IAS/IFRS. Le projet a été décomposé en trois phases : « diagnostic », « préparation » et « conversion » et est conduit par une structure comportant un comité de pilotage (COPI), un groupe projet, des ateliers.

Par ailleurs, nous nous sommes attaché :

• à recenser les normes IAS/IFRS applicables au groupe,

• à connaître les conditions d application et

• à comprendre le rôle des acteurs externes (consultants d une firme d audit internationale) et internes dans le projet de conversion des comptes aux normes IAS/IFRS.

Lors de cet entretien, il nous a également été permis de collecter une documentation abondante.

Dès le mois de février 2006 (20/02/2006), M. DJM a facilité l obtention d un rendez- vous avec M. LD, Directeur des services techniques. Un entretien semi-directif a été conduit en vue de déterminer le rôle de M. LD et des opérationnels de son service dans le projet de conversion et dans le traitement des immobilisations (qualification des dépenses engagées, détermination du coût de l immobilisation, fixation de la durée d utilité des immobilisations, détermination et valorisation des composants, choix des modes d amortissement, traitement comptable des pièces de rechange et de sécurité, des dépenses de maintenance, conditions de révision des plans d amortissement).

Ce premier contact avec le terrain nous a permis, outre d avoir une meilleure connaissance de notre domaine d'étude, de mettre en évidence des éléments importants pour la constitution de notre problématique que nous formulerons ci-après, dans le présent chapitre, dans la sous-partie intitulée « La problématique de recherche » :

Dans un premier temps, nous avons constaté les problèmes de faisabilité de

l étude des changements organisationnels induits par l application du référentiel IAS/IFRS au travers d une étude de cas longitudinale limitée à deux

années. La question de recherche initiale semblait nécessiter un temps d observation beaucoup plus important.

D autre part, nous avons perçu les risques liés à la réduction de notre champ

d étude au traitement des immobilisations corporelles en se limitant aux normes IAS 16, 36 et 14. En effet, un groupe adopte un corps de normes liées

entre elles. Par exemple, l application de la norme IAS 16 est liée à :

- la norme IAS 17 : « D’autres normes peuvent imposer la comptabilisation d’une immobilisation corporelle sur la base d’une approche différente de celle qui est énoncée dans la présente norme. Par exemple, IAS 17, Contrats de location, impose à une entité d’évaluer la comptabilisation d’une immobilisation corporelle louée sur la base du transfert des risques et des avantages. Toutefois, dans de tels cas, d’autres aspects du traitement comptable de ces actifs, incluant l’amortissement, sont prescrits par la présente norme. » (Norme comptable internationale IAS 16 « Immobilisations corporelles » point 4.) ;

- la norme IAS 40 : « Une entité doit appliquer la présente norme aux immeubles en cours de construction ou de développement en vue d’une utilisation ultérieure en tant qu’immeubles de placement mais qui ne répondent pas encore à la définition d’un immeuble de placement d’IAS 40, Immeubles de placement. (…). » (Norme comptable internationale IAS 16 « Immobilisations corporelles » point 5.) ;

- la norme IAS 19 : « Les coûts des avantages du personnel (tels que définis dans IAS 19, Avantages du personnel) résultant directement de la construction ou de l’acquisition de l’immobilisation corporelle. » (Norme comptable internationale IAS 16 « Immobilisations corporelles » point 17.a) ;

- la norme IAS 23 : « Le coût d’une immobilisation corporelle est le prix comptant équivalent à la date de comptabilisation. Si le règlement est différé au-delà des conditions habituelles de crédit, la différence entre le prix comptant équivalent et le total des règlements est comptabilisée en charges financières sur la période de crédit, à moins qu’elle ne soit incorporée dans le coût de l’actif selon l’autre traitement autorisé par IAS 23. » (Norme comptable internationale IAS 16 « Immobilisations corporelles » point 23) ;

- la norme IAS 20 : « La valeur comptable des immobilisations corporelles peut être diminuée du montant des subventions publiques selon IAS 20, Comptabilisation des subventions publiques et informations à fournir sur l’aide publique. » (Norme comptable internationale IAS 16 « Immobilisations corporelles » point 28) ;

- la norme IAS 12 : « Les effets sur l’impôt sur le résultat qui pourraient

éventuellement résulter de la réévaluation des immobilisations corporelles sont comptabilisés et présentés conformément à IAS 12, Impôts sur le résultat. » (Norme comptable internationale IAS 16 « Immobilisations corporelles » point 42) ;

- la norme IAS 18 : « La sortie d’une immobilisation corporelle peut intervenir de différentes manières (par ex. par voie de vente, de conclusion d’un contrat de location-financement ou de donation). Lors de la détermination de la date de sortie d’un élément, une entité applique les critères énoncés dans IAS 18, Produits des activités ordinaires, pour comptabiliser le revenu provenant de la vente de biens. IAS 17 s’applique aux sorties résultant de la conclusion d’une cession-bail. » (Norme comptable internationale IAS 16 « Immobilisations corporelles » point 69) ;

- etc.

Même si sur le terrain, l imbrication entre les différentes normes n est pas aussi importante que le texte de la norme IAS 16 l indique, elle s avère réelle et suffisante pour ne pas revoir la portée de l étude qui doit avoir un caractère général et s intéresser aux différentes normes du référentiel international applicables à une organisation donnée.

• De plus, la réduction du champ d étude au traitement des immobilisations corporelles priverait le chercheur d une réplication des observations par l étude

des différentes normes du référentiel IAS/IFRS. En effet, étudier l application

de l ensemble des normes comptables internationales reviendrait à une multiplication des cas « enchâssés » à l intérieur des cas étudiés et permettrait de mettre éventuellement en évidence les divergences mais aussi les régularités dans l application des différentes normes.

Par ailleurs, nous avons appréhendé l'intérêt qu aurait une étude portant sur le

processus d appropriation du référentiel IAS/IFRS par les acteurs d une organisation.

La première conclusion, issue de notre étude préliminaire, a souligné la difficulté qu il y aurait à étudier les changements organisationnels induits par l application du référentiel IAS/IFRS et la nécessité de resserrer notre objet d'analyse sur un phénomène observable. Nous avons donc décidé de nous focaliser, dans le cadre de ce travail

doctoral, sur l étude du processus d appropriation du référentiel IAS/IFRS au sein des organisations.

La seconde conclusion nous semble justifier la pertinence d'une étude générale

visant à élargir nos observations à l ensemble des normes du référentiel IAS/IFRS.

Suite à ces réflexions, nous sommes en mesure de proposer notre objet définitif de recherche.

2. La problématique de recherche

Ainsi que le souligne Nikitin (2006 p. 88) dans ses travaux sur le concept de problématique, « dans les propos ou les écrits des chercheurs en science de gestion, on trouve des acceptions très variées du terme problématique : ce dernier est parfois utilisé comme synonyme de « thème d’étude », dans certains cas il s’agit de la « question de recherche ». Le plus souvent, il n’est qu’un synonyme mélioratif de « problème », comme si ce dernier terme était usé et devait céder la place à un autre, plus jeune et surtout d’apparence plus scientifique ». En effet, Le Petit ROBERT (1993) définit la problématique comme « l’art de poser les problèmes ».

Pour saisir les sens de problème et problématique, Nikitin (2006) a conduit des recherches mais l expression « problématique des sciences de gestion » ne figurant, dans aucun dictionnaire, il a donc proposé de définir une problématique de gestion comme un « dilemme récurrent que se posent les managers ». Cette définition permet ainsi la réconciliation des sens de l adjectif et du nom puisque selon elle une problématique, ce serait une question problématique.

« Chaque résolution de ce dilemme est donc :

problématique de par son lien avec un contexte singulier et donc instable ;

suspecte, parce que le moindre changement de l’environnement peut la rendre inadéquate » Nikitin (2006, p. 90).

Il pourrait également y avoir, dans une telle définition, la manière d éclairer sous un autre angle ce que Girin (1990) appelait une situation de gestion : une telle situation ne peut être que problématique, sinon elle peut être ramenée à un simple problème technique disposant d une solution indépendante du contexte.

C est dans la dernière acception que nous positionnerons notre problématique. En effet, l appropriation de l outil de gestion qu est le référentiel IAS/IFRS est une situation de

gestion problématique pour les organisations à plusieurs titres.

En premier lieu, la problématique tient à notre posture. Nous nous refusons à réduire l outil à son substrat technique, formel qui ramènerait la situation à un simple problème technique mais nous nous orientons vers une compréhension de l outil comme une entité mixte associant d un côté des artefacts, matériels ou symboliques (des concepts, des schémas, etc.), de l autre, des registres d action, d usage qui vont leur donner sens.

« Pour devenir une réalisation concrète, c'est-à-dire être utile à l’acteur en répondant à ses problèmes quotidiens, l’instrument doit intéresser les acteurs mais doit également être contextualisé, adapté à l’environnement » (Akrich, Callon et Latour 1988).

En second lieu, la problématique tient à la portée de notre recherche qui traite du concept d appropriation. L appropriation de l outil de gestion renvoie selon Mallet (2006), d une part, au processus d adaptation de l outil par l utilisateur pour son intégration dans un usage familier, et, d autre part, au processus d adaptation de l utilisateur aux caractéristiques de l outil et à la nouvelle norme qu il véhicule. Dans cette perspective, l outil de gestion est une construction sociale et « l’appropriation est fondamentalement un processus interprétatif de négociation et de construction de sens à l’intérieur duquel les acteurs questionnent, élaborent, réinventent les modèles de l’action collective » (Grimand 2006, p. 17).

Nous pouvons donc nous interroger sur les mécanismes par lesquels le référentiel IAS/IFRS, outil de gestion, s insère progressivement dans le quotidien des employés, trouve progressivement son inscription sociale, se positionne dans un système de rôle de d organisation voire parfois le modifie. Nous rejoignons ainsi le questionnement de De Vaujany (2005 p. 25) sur les outils de gestion que nous nous proposons d adapter à notre contexte de recherche :

Que devient le référentiel IAS/IFRS dans les mains des acteurs qui

l instrumente ?

Comment est-il « rendu propre » ou « impropre » à un usage ?

Comment le référentiel IAS/IFRS s insère-t-il dans l épaisseur sociale ?

Toutefois le processus de recherche ne peut aboutir qu à « la définition d une question précise, représentative d une volonté de démonstration, contribuant à un ensemble de problématiques dans le champ de la recherche envisagée » Wacheux (1996, p.18-19).

L objet d une recherche est la question générale que la recherche s efforce de satisfaire, l objectif que l on cherche à atteindre (Allard-Poesi et Maréchal 1999, p. 34).

Nous résumerons donc notre objet de recherche en une question :

Comment le référentiel IAS/IFRS est-il approprié par les acteurs de l organisation ?

Ensuite, nous devons distinguer les quatre objectifs de recherche que sont la compréhension, la description, l explication et la prédiction (Bergadaà et Nyeck 1992 p. 32- 33). Notre finalité de recherche s'engage à :

décrire dans un premier temps le processus d appropriation du référentiel IAS/IFRS au sein des organisations ;

expliquer ensuite les objectifs des phases constitutives de ce dernier ;

proposer pour finir un ensemble de conditions à remplir, véritables points de passage d une phase à une autre du processus d appropriation afin de réduite la distance outil/organisation et favoriser ainsi l inscription sociale de l outil.

La finalité de notre recherche énoncée ci-dessus indique que notre recherche vise d abord la compréhension de l appropriation du référentiel IAS/IFRS afin d expliquer le phénomène. Notre but ne réside pas dans la prédiction (prévoir le futur) mais dans la compréhension du passé. Cette compréhension servant éventuellement à l explication du présent nécessaire à la formulation de propositions pour réduire les risques d échec dans le long processus d appropriation de l outil. Ces propositions ne pourront être retenues par une organisation qu après un nécessaire effort de contextualisation.