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HISTOIRE , MODALITES ET ENJEUX

1.3. Les villes africaines : des spécificités continentales

1.3.2. Mobilité et migration

L’histoire des migrations en Afrique sub-saharienne peut être divisée en trois grandes étapes [Antoine 1997]. Avant le XIXème siècle, la traite des esclaves est le principal moteur des migrations. Ensuite, entre 1880 et 1945, les stratégies coloniales accroissent les besoin en main d’œuvre pour le travail forcé et entraînent l’implantation de quelques villes comptoirs. Les populations ont été encouragées à migrer vers certaines régions stratégiques, notamment les régions côtières. Enfin, depuis les Indépendances, les migrations se sont accélérées (les migrations spontanées étaient parfois interdites pendant la période coloniale). L’exode rural a été massif mais a tendance à ralentir voire à s’inverser depuis la crise économique des années 1980. Les flux entre monde rural et villes moyennes sont très importants alors que ceux vers la capitale sont minoritaires (11% des flux villes-campagnes en Côte d’Ivoire, 33% au Burkina Faso entre 1988 et 1992), alors même que les flux de la capitale vers la campagne ont eu tendance à s’accélérer. Les migrants viennent chercher en ville une cadre de vie plus attrayant là où sont concentrées les infrastructures de santé, d’éducation, ainsi que les emplois [Antoine 1990]. Mais la majorité n’a pas les qualifications pour prétendre aux postes du secteur moderne et le chômage s’est accru avec la crise économique. Le secteur informel est donc la porte d’entrée privilégiée des migrants qui s’appuient sur leurs réseaux relationnels pour s’intégrer. Les migrations étaient plutôt masculines dans les années 1980 mais elles se sont rééquilibrées en faveur des femmes. Leur insertion est encore plus difficile du fait de leur faible niveau de scolarisation. La ville attire particulièrement la population scolarisée qui espèrent bénéficier de l’université et des infrastructures culturelles [Antoine 1997].

Dans les années 1960, les migrations urbaines en Afrique ont été étudiées sous l’angle économique et social, notamment avec la théorie du « push-pull » : certains facteurs poussent les migrants à quitter leur village natal (les difficultés économiques), d’autres les attirent vers la ville (l’espoir d’une vie meilleure). Le modèle de l’économie duale a mis en avant les différences de revenus entre villes et campagnes comme moteur des migrations. Cependant, les populations aisées et instruites migrent également vers les villes. D’autres mettent en avant

le passage à l’âge adulte chez les hommes qui va de pair avec la migration. Les migrations sont en fait des phénomènes multidimensionnels. Les migrants, population très diversifiée, sont soumis à différentes pressions et incitations sociales et économiques. La migration est à la fois un mécanisme social et macroéconomique prédéterminé et une décision individuelle. Les migrants s’adaptent à la ville et ne restent pas figés dans des organisations traditionnelles, ils innovent et peuvent garder ou renforcer des éléments de leur culture rurale si cela leur est nécessaire. Le lien avec le village reste très fort, la ville et le rural fonctionnent comme deux éléments complémentaires d’un système : l’urbain a besoin du rural pour des raisons économiques (envoi de nourriture) et sociales et le rural attend de l’urbain qu’il envoie de l’argent [Coquery-Vidrovitch 1991].

1.3.3. La croissance urbaine en Afrique sub-saharienne

L’explosion urbaine en Afrique commence dans les années 1950. Pendant la période coloniale, l’immigration vers les villes était étroitement restreinte par les autorités coloniales. Lorsque les restrictions sont levées, le mouvement migratoire semble vouloir rattraper le retard. En 1950, le taux de croissance urbaine est de 5 % par an sur le continent africain, il est plus élevé en Afrique subsaharienne qu’au Maghreb qui possède des villes précoloniales importantes. En 1980, le taux de croissance urbaine en Afrique est encore de 4,5 % [Dubresson 1999]. Les pays africains connaissent actuellement le processus de transition urbaine : les taux d’urbanisation sont très élevés et ils baisseront lorsqu’un niveau de saturation aura été atteint (moins de candidats à la migration et moins d’attractivité de la ville par rapport à la campagne) [Le Goix 2005].

En Afrique subsaharienne plus particulièrement, le taux de croissance urbaine entre 1960 et 1990 était de 6,7 % par an, à comparer au 2 % de taux de croissance urbaine en Europe au moment où il était le plus élevé (au début du XXème siècle). En Amérique latine et en Asie, les taux sont à la même époque d’environ 3 % par an [Alvergne 2008]. Depuis 1990, ce taux a légèrement baissé en Afrique et se situe à 4,5 % par an. En 1995, la population urbaine de l’Afrique sub-saharienne était de 100 millions, ce qui représentait 37 % de la population totale, contre 15 % en 1960 (Figure 1). En Europe et Amérique du Nord, 74 % de la population totale était urbaine [Ministère français de la Coopération 1996]. L’Afrique reste donc le continent le moins urbanisé mais celui avec les plus forts taux de croissance urbaine [Alvergne 2008].

Depuis 1990, les taux de croissance urbaine en Afrique restent élevés par rapport au reste du monde. Mais les taux de croissance diminuent globalement partout. En 2000, le taux d’urbanisation en Afrique approche les 40 %, mais il masque une grande diversité de situations nationales, les taux variant de moins de 10% (Rwanda, Burundi…) à plus de 60 % (Réunion, Djibouti, Libye…) [Les villes africaines en marche 2002]. Les pays côtiers sont généralement plus urbanisés.

Une des principales causes des migrations vers la ville est la crise que connaissent l’agriculture et le milieu rural en Afrique : la dégradation de l’environnement due aux manques de moyens des producteurs entraîne des baisses de rentabilité, qui expliquent en partie l’exode rural et l’émigration vers d’autres pays [Les villes africaines en marche 2002]. La croissance urbaine est due à la croissance naturelle de la population, aux migrations et à l’absorption de petits centres ruraux périphériques [Ministère français de la Coopération 1996]. Depuis 1980, la croissance naturelle est le principal facteur d’urbanisation en Afrique, et non les migrations comme ce fut le cas entre 1950 et 1980. Malgré la baisse de la fécondité, la moitié de la croissance des villes est due au solde naturel. Aujourd’hui, un tiers des Africains sont des urbains nés en ville [Alvergne 2008]. Cependant la population rurale ne décroît pas au profit des villes, au contraire elle augmente également. Le taux d’accroissement annuel de la population rurale fut de 2,1% entre 1950 et 1995 et serait encore d’environ 1,2% entre 1995 et 2025. C’est seulement après 2025 qu’elle commencerait à décroître [Les villes africaines en marche 2002].

Ce phénomène d’explosion urbaine ne touche pas que les capitales. A partir des années 1980, la croissance des petites et moyennes villes dépasse celle des grandes villes [Dubresson 1999]. Ce renversement (par rapport à la tendance à la macrocéphalie entre 1950 et 1980) s’explique par la « crise urbaine », liée aux ajustements structurels, à l’affaiblissement des Etats qui ne sont plus en mesure de proposer des emplois aux urbains et de mettre en place des politiques de gestion urbaine pour régler la question de l’habitat. De plus, à partir des années 1980, les politiques de décentralisation ont modifié les modes de gestion urbaine : l’accent a été mis sur les collectivités locales (avec plus ou moins de moyens et de succès) et même la capitale a souvent échappé en partie au pouvoir central au profit du pouvoir local métropolitain [Ministère français de la Coopération 1996].

En 1995, seulement 32 villes, dont 12 ne sont pas des capitales, dépassent le seuil de 1 million d’habitants. Sur les 57 capitales, 20 seulement ont plus d’1 million d’habitants, 27 ont une population comprise entre 100 000 et 1 million, et 10 ont une population inférieure à 100

000. En 1950, il n’y avait que deux agglomérations africaines de plus d’un million d’habitants, toutes deux situées en Egypte: Le Caire et Alexandrie. Le Caire, avec 2,4 millions d’habitants à l’époque, était la seule agglomération africaine figurant dans la liste des 30 plus grandes agglomérations mondiales. En 1995, elles sont deux dans ce classement mondial: Lagos au Nigeria (15ème rang, avec 10,3 millions d’habitants) a rejoint et dépassé Le Caire (19ème rang avec 9,7 millions d’habitants). En 2015, Lagos pourrait atteindre 24,4 millions d’habitants et se retrouver au 3ème rang mondial. Le Caire pourrait avoir 14,5 millions d’habitants (16ème rang) et la liste des 30 plus grandes agglomérations mondiales pourrait compter une ville africaine supplémentaire: Kinshasa (République Démocratique du Congo), avec 9,9 millions d’habitants (28ème rang) [Les villes africaines en marche 2002].

Figure 1: Taux de population urbaine en Afrique sub-saharienne, en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale entre 1962 et 2006

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