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HISTOIRE , MODALITES ET ENJEUX

1.4. L’urbanisation en Afrique et le développement

La ville est porteuse d’enjeux et d’espoir. Partout dans le monde, elle s’accompagne du développement économique, de revendications sociales et de nouvelles identités. Mais les caractéristiques particulières de la ville africaine lui permettent-elles de répondre à ces promesses ? Entre le Xème et le XIVème siècle, la ville africaine est perçue comme un vecteur de libération. Puis du XVème au XVIIIème siècle, elle est perçue avec fatalisme : les causes de départ pour la ville relèvent davantage de la fuite que de l’ambition. On retrouve ces idées dans le roman africain [Alvergne 2008]. Après les indépendances et la fin des restrictions des migrations, la ville attire car elle est promesse d’emploi. Toutefois, à partir des années 1980, après les plans d’ajustement structurel, les économies urbaines offrent de moins en moins d’emplois alors que la demande est de plus en plus forte. Les villes qui étaient intégratrices deviennent des systèmes d’exclusion et la crise s’accompagne d’un mouvement de retour vers les campagnes.

1.4.1. La ville, facteur de croissance économique ?

Il existe un lien entre la taille des villes et la production de richesses estimées par le PNB d’un pays : les villes contribuent plus que proportionnellement à leur taille à la production de richesses. Un tiers de la population africaine vit en zone urbaine, d’où provient

la moitié du PNB [Alvergne 2008]. Il y a également une corrélation positive entre l’urbanisation et l’indice de développement humain (IDH), et entre la croissance urbaine et la croissance du revenu par tête : les travailleurs urbains se concentrent sur des activités plus productives que l’agriculture. De plus l’urbanisation permet de baisser les coûts de transport, de faire des économies d’échelle, de baisser les taux de fertilité et de natalité. Beaucoup de villes fournissent davantage au reste du pays que ce qu’elles reçoivent par le biais des taxes [Dubresson 1999]. Pour autant, l’agglomération africaine génère-t-elle une économie et un appareil de production modernes ?

En Afrique, le développement de la ville est biaisé par le manque d’industrie et l’absence d’un surplus agricole du à la mécanisation de l’agriculture. Les services et les commerces se développent peu, moins vite que dans le reste du monde. Elles sont parfois qualifiées de « pré-villes » ou de « non-villes » [Alvergne 2008]. L’emploi salarié existe essentiellement en ville mais l’essentiel de l’emploi a toujours été fourni par le secteur informel, l’artisanat et le petit commerce [Dubresson 1999]. Alors que dans le monde, l’urbanisation s’est accompagnée du passage d’une économie agricole à un autre type d’économie, en Afrique, l’industrie, peu développée, crée peu d’emplois. Quant aux secteurs publics, ils ont été démantelés et ne créent plus d’emplois. Les activités informelles sont donc à la base de l’économie urbaine.

De plus, la croissance urbaine rapide est à l’origine de situations difficiles. Des logements informels se créent à la périphérie des villes sans que les infrastructures nécessaires ne soient aménagées, que ce soit au niveau des réseaux routiers, de l’approvisionnement en eau et en électricité, de la gestion des déchets, des infrastructures scolaires et sanitaires. Cette situation est à l’origine d’une pauvreté urbaine et de disparités extrêmes [Ministère français de la Coopération 1996].

L’urbanisation en Afrique est donc bien un facteur de croissance économique, notamment grâce à la capacité d’innovation du secteur informel. Cependant, de multiples problèmes liés à l’urbanisation persistent, auxquels l’innovation sociale peut permettre de répondre en partie.

1.4.2. La ville, facteur d’innovation sociale ?

La ville est créatrice d’innovations sociales. Elle encourage de nouvelles formes d’organisation nécessaires à l’économie urbaine. Elle crée de nouvelles identités et de nouvelles territorialités, elle permet l’accomplissement d’un projet, les migrants sont

transportés dans l’aventure urbaine, et elle est un « point d’ancrage dans la mondialisation » [Alvergne 2008]. Mais l’urbanisation particulière de l’Afrique permet-elle l’innovation sociale à la hauteur de son potentiel ?

Le lien au village est souvent très fort : les urbains aident leur communauté d’origine par l’envoi d’argent (qui n’est pas forcément réinvesti dans le capital agricole). Les structures d’autorités villageoises se reproduisent dans les quartiers des villes [Moustier 2004]. Ce lien au village peut être perçu comme un frein au développement : il bloque l’innovation sociale dans la ville et les populations urbaines ne parviennent pas à s’émanciper de leur communauté d’origine, tant sur le plan économique que sur le plan social et culturel. Alors qu’elle a favorisé l’émergence de la démocratie sur les autres continents, en Afrique, l’urbanisation n’a pas provoqué de revendications sociales, de secousses idéologiques et l’apparition de contre-pouvoirs [Alvergne 2008]. Ce constat peut être modéré par la survenue de mouvements populaires, « les émeutes de la faim » qui ont eu lieu en 2008 dans les villes mais qui n’ont pas eu de répercussions politiques.

Les traditions issues du milieu rural sont sélectionnées et intégrées dans la société urbaine, c’est-à-dire que les normes dites traditionnelles, tout comme les lois issues du droit écrit, sont adaptées au contexte urbain afin d’être efficaces [Ministère français de la Coopération 1996]. Les règles sont appliquées autant que possible, sinon elles sont négociées pour être applicables. Si la règle est réellement inapplicable, elle est transgressée par le groupe. Les valeurs « traditionnelles » que l’on retrouve en ville sont la soumission au collectif, la hiérarchie sociale entre groupes déterminés, les mécanismes de redistribution aux parents ou à la communauté d’origine, le lien ethnique. Mais la ville a aussi favorisé l’émergence de nouvelles valeurs et codes sociaux, et la crise économique a accéléré ces transformations. Ainsi on retrouve également des valeurs individuelles telles que l’esprit d’entreprise [Ministère français de la Coopération 1996].

1.4.3. L’urbanisation et l’activité agricole

En Europe, l’urbanisation s’est accompagnée de la mécanisation de l’agriculture qui a permis une augmentation des rendements par actifs agricoles (et donc une agriculture qui peut produire autant ou plus avec moins de main d’œuvre) et le développement du secteur secondaire qui a offert des emplois aux populations migrantes vers la ville. Au contraire, l’urbanisation africaine se fait sans que soit dégagé un surplus de production agricole [Les villes africaines en marche 2002], le monde rural s’appauvrit. La question alimentaire en ville

n’est pas réglée et il y a encore de forts risques de déficit. L’agriculture urbaine et périurbaine a donc une justification de ce point de vue et un potentiel de développement. Mais son évolution dépend en grande partie de l’urbanisation et des politiques publiques urbaines. « L’intérêt pour l’agriculture urbaine s’est accru au cours des dix dernières années. Deux phénomènes expliquent en partie cette situation : la rapidité de la croissance urbaine, d’une part, le renouvellement des politiques publiques, d’autre part » [Moustier 2004].

La croissance des villes favorise l’émergence des secteurs vivriers marchands, du maraîchage, de l’élevage et de la production fruitière. En effet, l’urbanisation permet l’augmentation de la demande alimentaire, favorise la mobilité des produits et des informations, et modifie l’alimentation [Moustier 2004]. Beaucoup d’urbains contribuent à la modernisation de l’agriculture par la diffusion de matériel, de semences, de nouvelles techniques [Dubresson 1999]. L’urbanisation permet le développement d’un marché intérieur, autonome, d’abord régional, puis national et international [Ministère français de la Coopération 1996]. L’apparition d’une économie moderne à travers l’urbanisation passe dans une première étape par la création d’un système agricole et la création d’un lien territorial entre villes et campagnes [Alvergne 2008]. Mais l’urbanisation est consommatrice d’espace et l’élévation de la rente foncière est un facteur fort de rejet de l’agriculture [Doucouré 2004]. L’urbanisation et la périurbanisation rapides détruisent les systèmes de production locaux, qui n’ont pas le temps de s’adapter.

D’un autre côté, l’agriculture contribue au développement de la ville. Elle a imposé ses pratiques dans de nombreuses villes africaines [Doucouré 2004]. Nombre de travaux mettent en lumière les fonctions de l’agriculture urbaine et périurbaine et les externalités qu’elle produit pour les urbains. Ces fonctions sont économiques (création d’un revenu, approvisionnement des villes), sociales (aménagement de l’espace, intégration des migrants) et environnementales (maintien d’espaces verts, biodiversité) [Cemagref 2005].

Finalement, « la grande ville en soi n’est ni un facteur de non développement, ni un facteur de développement. Elle est facteur de développement si les acteurs sociaux, les Etats investissent dans les infrastructures et assument leur rôle » [Dubresson 1999]. En effet, l’action publique en Afrique est problématique : la décentralisation n’a pas eu les résultats escomptés partout, dans beaucoup de pays, l’Etat reste le référent et la prise en charge locale est difficile. Les recettes fiscales centralisées sont supérieures à celles des villes [Ministère français de la Coopération 1996]. La question se pose du rôle de l’Etat, des municipalités et des acteurs de la société civile.