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Mobiliser l’approche discursive pour analyser les assemblées régionales Les votes des budgets constituent les temps forts, publics et médiatisés, des

2/ 2010 : entre changement réel et « mises en scène » des mutations

Chapitre 2 : Le changement vécu par les institutions

1/ La stabilité des débats des assemblées régionales : 1982-2010

1.1 Le constat : des logiques majorité-opposition à l’origine des discussions budgétaires

1.1.1 Mobiliser l’approche discursive pour analyser les assemblées régionales Les votes des budgets constituent les temps forts, publics et médiatisés, des

assemblées régionales. Dès lors, nous choisissons de mettre l’accent sur les espaces de confrontation publique plutôt que sur les lieux invisibles de négociation. Ce faisant, nous nous positionnons dans deux courants méthodologiques particuliers : le premier plaide pour un retour des legislative studies dans la science politique française ; le second valorise les approches discursives des politiques publiques.

1.1.1.1 Les legislatives studies

Le tournant sociologique de la science politique conduit aujourd’hui les observateurs de la vie politique à porter le regard sur ce que font concrètement les élus plutôt que sur ce qu’ils sont censés faire, ou, autrement dit, sur le métier politique plutôt que sur les jeux de l’assemblée (Nay 2003b). Les récents travaux sur les legislative studies proposent de redonner une place à l’analyse des débats des assemblées dans la mesure où ces dernières constituent un angle de lecture majeur pour saisir la manière dont s’élabore l’action publique. Les assemblées régionales représentent une « société politique en modèle réduit » (Nay 2003a). L’intérêt d’étudier ce « microcosme » est double. Il permet d’examiner

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comment les règles, les codes et les pratiques qui régissent les assemblées mettent en avant les jeux d’acteurs qui prennent les décisions. Il incite à observer le rôle des conseillers régionaux en tant que représentants des électeurs et des formations politiques à qui ils appartiennent (Nay 2003b, 4). Les approches des legislative studies illustrent les stratégies d’équilibre de vote à partir de méthodes quantitatives développées par des théoriciens du choix rationnel. Nous chercherons quant à nous à renouer avec les comportements de vote mais en nous intéressant davantage au poids du « fonctionnement ordinaire » des assemblées qu’au calcul de la maximisation des motivations pour les élus (Nay 2003a, 6-7). Nous « adaptons » dès lors la tradition des legislative studies à un contexte institutionnel spécifique, marqué par l’absence de pouvoir législatif des assemblées régionales et par la faiblesse de la valeur politique des postes de conseillers régionaux (Lehingue 2010).

L’utilisation des legislative studies prend ici tout son sens si l’on accepte de considérer que les assemblées régionales constituent un lieu pertinent d’analyse des décisions budgétaires et des rapports de force qui s’y déroulent. La Région reste certes un territoire conçu artificiellement, se construisant entre l’échelon de la proximité — la commune — et celui de la tradition républicaine et de l’aide sociale — le département (Bidégaray 2004). La participation électorale y est relativement faible (57,7 % de participation en 1998, 60,8 % et 65,6 % de participation respectivement au premier et au second tour de 2004, et 46,3 %, et 51,2 % de participation en 201066). Et le fort turn-over des élus au cours des mandatures a conduit à la considérer pendant longtemps comme une scène politique secondaire (Dupoirier 1999). Néanmoins, des éléments montrent que les Régions gagnent progressivement en intérêt politique. En effet, en premier lieu, les élections régionales, qui étaient considérées comme des élections « subordonnées » ou « intermédiaires », deviennent de plus en plus importantes non seulement pour les partis minoritaires qui peuvent siéger dans les conseils régionaux (mode de scrutin), mais aussi pour les « grands partis » en raison de la « latitude » d’action publique qu’autorise la Région (Lehingue 2010). En second lieu, l’investissement d’élus nationaux au niveau régional

66 Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur : http://www.interieur.gouv.fr/Elections/Elections-regionales- 2015/Dossier-de-presse-des-elections-regionales-2015/Annexe-5-Les-taux-de-participation-aux-elections-regionales-depuis-1986-France-entiere

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diminue progressivement la perception du poste d’élu régional comme un « trophée supplétif peu convoité » (Lehingue 2010).

Ces mutations permettent de justifier la pertinence d’étudier les jeux de pouvoir qui se déroulent au sein des assemblées. Il convient, pour les restituer, de mobiliser parallèlement une approche discursive.

1.1.1.2 Le choix de l’analyse discursive

Les décisions des élus en matière de modulation des recettes sont parfois déconnectées des éléments discursifs. Or, malgré la corrélation imparfaite qui peut exister entre les pratiques et les discours, ces derniers ne sont pas pour autant dénués d’impact sur l’action publique. L’« habillage idéologique » continue d’exister en dépit des différences entre les mises en récit et les mises en œuvre. Ce « bricolage cognitif », qui cherche à faire coïncider les actions avec un cadre idéologique spécifique, légitime le fait d’étudier les discours pour déceler le poids des idées dans l’action publique (Arnaud, Le Bart, et Pasquier 2007, 21-23).

Dans ce domaine, l’apport méthodologique des narrative studies est substantiel. Ces approches considèrent en effet les discours comme des « formes de la connaissance

pratique que [les acteurs] mobilisent » (Durnova et Zittoun 2013). Trois tendances de

l’analyse discursive jalonnent son existence en sciences sociales : le tournant « argumentatif », développé par Frank Fischer et John Forester en 1993, qui porte sur la mise en évidence, à travers les pratiques communicationnelles et l’argumentation, des enjeux de la construction sociale des cadres normatifs des politiques publiques (Fischer 2013) ; l’approche « interprétative », défendue par Marc Bevir, qui traite de la notion de gouvernance par les intentionnalités (récits, croyances des acteurs) et par l’historicité (traditions au sens large) (Bevir 2013) ; l’approche « pragmatique » des politiques publiques, issue de la philosophie développée conjointement par Charles Pierce, William James et John Dewey, qui se concentre sur la construction du discours dans le processus décisionnel et qui prend en compte les acteurs et les idées dans la fabrication des politiques publiques. Cette dernière approche conduit à dépasser la distinction entre penser et agir en démontrant le lien entre l’action et le produit de leur réalisation (Durnova et Zittoun 2013). Sept

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caractéristiques des discours montrent qu’ils fournissent une nouvelle interprétation du terrain : ils contribuent à saisir la réalité, ils ne sont pas neutres, ils produisent du sens, constituent des actions intentionnelles, font exister une interaction, disposent d’une matérialité et permettent de faire reconnaître l’énonciateur (Zittoun 2013, 93-112). C’est dans ce cadre que nous positionnerons notre analyse. Derrière la manière dont les assemblées régionales mobilisent les leviers de recettes, ce sont en effet les mises en scène des discours partisans qu’il convient d’observer. Dès lors, l’utilisation des verbatim des élus en séance plénière peut nous permettre de retracer les logiques qui s’expriment.