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2/ 2010 : entre changement réel et « mises en scène » des mutations

Chapitre 2 : Le changement vécu par les institutions

1/ La stabilité des débats des assemblées régionales : 1982-2010

1.3. La hiérarchisation des « trois i » à l’épreuve des faits

1.3.1 Le cas du Nord-Pas-de-Calais entre 1992-1998

Lorsque le scrutin à la proportionnelle n’aboutit pas à dégager de majorité absolue et que les négociations partisanes ne parviennent pas à créer de larges coalitions de vote, l’imposition d’un leadership sur les questions budgétaires s’avère complexe. Cette situation s’est produite en Nord-Pas-de-Calais. Elle ne peut se comprendre qu’à la lumière des compromis qui ont jalonné le moment de l’élection de sa présidente.

À l’issue du scrutin de 1992, le Parti socialiste dispose de 27 sièges, le Parti communiste a 15 sièges et Les Verts en ont 8, ce qui oblige les partis de gauche à devoir construire une large coalition pour pouvoir remporter la présidence de la Région. L’élection présidentielle est alors jalonnée de nombreuses négociations. Les pourparlers à droite aboutissent dans un premier temps au retrait de la candidature de Carl Lang (FN) puis de Jacques Legendre (Union du peuple français [UPF]), qui s’allie à la candidature de Jean-Louis Borloo, ce qui permet à ce dernier de remporter l’élection (46 voix). Afin d’empêcher la Région de basculer à droite, le Parti communiste accepte d’apporter ses voix au Parti socialiste (42 voix). Mais le refus pour Les Verts de se retirer aboutit, suite à des compromis entre appareils partisans au niveau national, au retrait de la candidature du socialiste Michel

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Delebarre. Les élus socialistes et communistes apportent alors leur voix à Marie-Christine Blandin, finalement élue présidente de Région après de longues négociations 83.

Cette séquence politique particulière, qui provient de l’instabilité engendrée par le mode de scrutin, introduit alors une gouvernance complexe de l’assemblée et de l’exécutif. La présidente de Région gouverne en effet une majorité composée des groupes socialistes, communistes et des Verts (Dolez 1999), mais le parti écologiste est minoritaire. Aussi, le vote des budgets, dans une séquence marquée par l’obligation de créer de larges coalitions, fait l’objet de nombreuses difficultés. Marie-Christine Blandin, interrogée dans le cadre d’un entretien, résume les votes sur les questions budgétaires de la manière suivante :

On était face à une opposition de droite qui, lorsqu’elle mélangeait ses voix avec le Front national, était majoritaire et avait toute possibilité d’empêcher le budget […]. Je signale quand même que pendant six ans on n’a jamais voté le budget dans le même périmètre : une fois les communistes s’abstenaient, une fois c’étaient les centristes… Cela n’a jamais été la même équation84.

Cette disparité atteint son paroxysme avec le rejet de la première décision modificative présentée par le nouvel exécutif.

Ainsi, dans un contexte dans lequel les influences ne conduisent pas à un consensus, le clivage ne suit plus une logique opposition-majorité mais s’aligne sur les discours financiers propres à chaque parti.

Le groupe écologiste soutient les propositions de sa présidente d’augmenter la fiscalité pour ne pas pénaliser les générations futures. Les groupes communiste et socialiste s’y opposent en revanche pour montrer leur capacité à imposer un rapport de force au sein de l’exécutif. Ils s’allient alors avec la droite sur le sujet commun qui risque le moins d’éloigner leur électorat : la modération fiscale.

83 Élection de Marie Christine Blandin : résumé de la soirée, reportage diffusé dans le journal télévisé local du 31 mars 1992, 2 minutes 34 secondes, consulté sur ina.fr

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Verbatim des Verts, des socialistes et des communistes sur la fiscalité

Verbatim Les Verts Verbatim PS et PC

1992-1998

Souhaitez-vous l’augmentation des recettes fiscales ou

la diminution des dépenses ? Si c'est la seconde

solution, il faut éclairer l’exécutif sur les domaines (la présidente, SP consacrée aux OB 1992 après le rejet décision modificative n°1).

La fiscalité pèse de plus en plus lourd dans les foyers : il serait trop simple de céder à une complaisance fiscale où l'on fait reposer sur nos habitants les rattrapages de la Région (PC, SP consacrée aux OB 1992 après le rejet décision modificative n°1).

C’est pourquoi j’ai été favorable, même en année électorale, à une augmentation de nos recettes propres supérieure à celle qui vous est proposée aujourd’hui. Mais il n'y a pas de majorité sincère pour prendre ce chemin d’augmentation, donc, en matière de croissance de la fiscalité comme de diminution de recours à l’emprunt de long terme, le budget cherche à dégager un point moyen acceptable par toutes les parties capables de bonne volonté (la présidente, SP de 1995).

Le budget de janvier n'a pas réussi à dégager une majorité ! Il met en relief un problème majeur qui était à la fois la

divergence d’appréciation quant aux

modalités de financement du budget régional et l’ampleur du recours à certaines contributions (PS, SP consacrée au budget 1992).

Donc nous acceptons plus de fiscalité [...]. L’augmentation de la fiscalité n’est pas populaire mais notre responsabilité est de proposer les moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques que l’ensemble du conseil régional a définies (plan Région, contrats de plan, plan lycées et assises de l’emploi) (Les Verts, SP consacrée au budget 1997).

Nous avons eu raison de faire des éclats de voix car vous nous présentez 5 % de fiscalité contre 18 % présentés au budget de janvier (PS, SP consacrée au budget 1992).

Depuis 1992, nous sommes l’avant-dernière Région pour les augmentations de fiscalité. Je le déplore pour ce qui est de nos capacités d’intervention, pour ce qui est aussi du désendettement, mais je suis avant tout pragmatique, donc je propose une stabilité fiscale cette année […]. Mais il sera impossible de continuer ainsi en 1998 et 1999. L’augmentation des impôts locaux est inéluctable, sauf un retournement improbable de la logique des pratiques budgétaires annuelles de l’État, qui construit sa virginité fiscale sur la supposée dépravation dépensière des collectivités (la présidente, SP consacrée au budget 1997).

La fiscalité directe et indirecte crée une situation insupportable pour les familles : il faut donc revoir la fiscalité des entreprises pour pénaliser le gâchis des capitaux (PC, SP consacrée au budget 1992).

0 % cette année, comme les autres Régions ; mais il faut regarder l’accumulation de la fiscalité des Régions depuis 1992 […]. Les pauses fiscales ne se répercutent pas sur les générations futures : c'est donc un bien collectif reconnu par tous (PS, SP consacrée au budget 1998).

Tableau n° 34 : Verbatim des Verts, des socialistes et des communistes sur la fiscalité en Nord-Pas-de-Calais entre 1992 et 1998, source : Retranscriptions des débats en séance plénière en Nord-Pas-de-Calais (1992-1998)

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Ainsi, dans un contexte marqué par des rapports de force complexes, où un parti minoritaire gouverne une majorité, et où une partie importante de la majorité est en mesure, associée à l’opposition, de faire rejeter un budget, la capacité pour la présidente d’imposer ses orientations budgétaires est fortement contrainte. Marie-Christine Blandin décrit la situation : « La présidence écologiste était à cette époque-là contestée par la droite

car c’était une présidence de gauche, et assez peu aidée par la gauche, qui aurait bien aimé avoir elle-même la présidence85. »

Dès lors, les règles institutionnelles (modes de scrutin et « 49-3 ») et les intérêts (individuels et collectifs) dominent les discours. Lorsque des majorités ne sont pas trouvées, les « idées » s’alignent sur d’autres logiques d’opposition.

En dehors de cette « exception » du Nord-Pas-de-Calais en 1992, les Régions étudiées ont toutes vu leurs décisions budgétaires votées.