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Mise en scène d’une « posture littéraire » exploratoire

CHAPITRE 3 : Expérimentations posturales et figuratives dans Mes hommes à

4- Mise en scène d’une « posture littéraire » exploratoire

La narratrice se met donc en scène dans son activité d‟expérimentation des places associées au récit de soi, faisant de Dior la métaphore du parcours littéraire de Ken Bugul et de sa conception esthétique du récit de soi. Dans Mes hommes à moi, des indices textuels rapprochent le récit intime de la narratrice à ceux de l‟auteure. Ainsi, est résumée, dans son ordre de parution, la diégèse des récits de Ken Bugul. Est d‟abord synthétisée l‟histoire du

Baobab fou : « Je plongeai dans un gouffre profond, rempli de désillusions, de vide, de

non-sens. En me jetant dans la vie avec désespoir, je commençais à me détruire sans m‟en rendre compte. » (MHAM, p. 214) Après avoir expliqué sa grande déroute, elle mentionne être retournée aux origines, rappelant la diégèse de Riwan ou le chemin de sable193 :

Le sage que j‟avais retrouvé aux origines absolues effaça […] tous les mauvais souvenirs de ma mémoire. J‟étais guérie de mon désir de vengeance sur les hommes qui ressemblaient à mon frère. Il m‟avait frappée avec le sceau de la réhabilitation par la spiritualité. Il avait déblayé le chemin qui menait à l‟individualité. J‟étais désaliénée d‟une enfance que je n‟avais pas vécue et que je m‟étais confectionnée avec ce qu‟il y avait de pire. (MHAM, p. 214)

Le sage pourrait renvoyer au Serigne de Riwan ou le chemin de sable. Dior lui attribue le pouvoir de l‟avoir « désaliénée [de son] enfance ». Ce troisième roman de Ken Bugul évacue, en effet, les souvenirs d‟enfance de la narratrice. Les mauvais souvenirs effacés de la mémoire de Dior s‟interprètent aussi comme ceux dont se libère la narratrice du Baobab fou. Le « chemin qui menait à l‟individualité » qu‟elle découvre peut ainsi être rapproché de son activité d‟écriture, qui lui a permis de se « confectionner » une enfance « avec ce qu‟il y avait de pire ». Par l‟utilisation du verbe « confectionner », Dior entend que son récit était une construction d‟évènements fantasques qui ne touchent pas à toute l‟ampleur du vécu. Enfin, Dior évoque De l’autre côté du regard194 lorsqu‟elle raconte sa

déception de ne pas pouvoir raconter ses problèmes à sa mère maintenant que celle-ci est décédée : « J‟avais perdu ma mère sans avoir pu parler avec elle de tout cela. »(MHAM, p. 215) De l’autre côté du regard met en scène un dialogue imaginaire de la narratrice avec sa défunte mère.

Ainsi, se tisse un réseau intertextuel entre les autres textes de Bugul, montrant un lien symbolique qui les unit plutôt qu‟un renforcement du donné référentiel que l‟on repère. La facticité du donné référentiel est d‟ailleurs ironisée par l‟auteure à travers le récit de Dior sur sa date de naissance. Dior explique que ce n‟est qu‟à partir de l‟école française, voire du lycée, qu‟elle a eu à fournir sa date de naissance pour des raisons administratives. S‟ensuit une longue digression concernant les raisons qui l‟ont amenée à établir celle-ci en 1947. Elle s‟explique : « je n‟avais jamais su exactement ma date de naissance. Cette préoccupation de l‟exactitude, j‟étais la seule fille de la famille à l‟avoir. J‟allais à l‟école coloniale et l‟exactitude était toujours requise. » (MHAM, p. 73) L‟enjeu d‟exactitude impliqué par l‟administration coloniale est alors tourné en dérision par Dior. Elle se met à chercher à travers cette date de naissance les signes de son statut d‟artiste, qu‟elle oppose au souci de précision et à la violence des déterminismes administratifs imposés par l‟administration coloniale.

Elle ironise d‟abord sur la recherche de sa date de naissance en la fixant selon les critères de l‟astrologie. Elle croit être née le 15 août, mentionnant : « [j]‟ai été du signe du Lion pendant plus d‟une dizaine d‟années et des amis me souhaitaient bonne fête et joyeux anniversaire à chaque 15 août. Un jour, sur mes investigations, ma mère situa ma naissance

pendant la grève des chemins de fer qui avait débuté en octobre 1947 et avait pris fin en mars 1948. » (MHAM, p. 97) Présupposant sa date de naissance en décembre, Dior s‟associe ensuite au signe du Verseau. L‟auteure sait bien que les natifs du Verseau sont plutôt nés entre janvier et février. Pourquoi imaginer la narratrice sous ce signe? Dior précise : « J‟avais remarqué que les natifs du Verseau étaient sensibles et prédisposés aux arts. Cela me convenait. » (MHAM, p. 97) Elle s‟identifie, à sa convenance, à des figures créatrices. Cette identification à une figure créatrice atteint son paroxysme lorsque Dior comprend être née en 1947 et qu‟elle décide d‟associer cette date à deux actes de création : la parution des Bouts de bois de Dieu de Sembène Ousmane, qui met en scène une histoire de rébellion sociale, ainsi que la fondation de l‟État d‟Israël. Ces deux événements majeurs se conjuguent pour construire une image de la narratrice en créatrice engagée, qui devient alors l‟enfant de la création d‟un État nouveau et celle de la parution d‟un roman qui thématise la résistance à la colonisation, dirigée par une femme.

La construction du roman montre d‟ailleurs la prédominance de la posture créatrice de l‟auteure, qui évoque l‟histoire davantage à travers un jeu littéraire que sur le plan événementiel. Les réflexions métatextuelles de la narratrice montrent Dior en train de réfléchir sur le monologue intérieur qui sert son récit intime. Dior réfléchit à celui-ci en évoquant le mode théâtral impliqué par le monologue intérieur imposé par les problèmes de communication qu‟elle connaît depuis l‟école coloniale : « Tout était un jeu depuis l‟envahissement. Mais moi, ma mise en scène avait un côté amer, car je l‟avais montée avec moi-même et je jouais seule devant un public qui n‟était autre que moi-même. » (MHAM, p. 75) Les voix du récit coïncident avec celle que met en scène Dior, la faisant apparaître comme le seul maître du jeu, malgré la plurivocalité du roman qui fait vaciller son récit de l‟individuel au collectif. Justement, les différents visages de l‟œuvre sont des transfigurations de la narratrice qui cherche à se montrer à travers eux et à montrer, en même temps, qu‟elle est apte à pratiquer les différents récits intimes qu‟ils prononcent et dont elle est se fait l‟instance ultime de leur orchestration.

La conception esthétique de Dior oscille entre un pôle idéal ou rêvé et celui des désillusions du monde contingent. La meilleure illustration est celle de ses relations amoureuses. Elle exprime à satiété son désir d‟un homme intellectuel, artiste ou penseur : « [j]e réalisais que j‟étais assez attirée aussi par les hommes qui avaient un titre : docteur,

professeur, maître mais pas les ministres, les présidents, les milliardaires. J‟étais attirée par les titres de connaissance, et une connaissance qui servait à une communauté, qui défendait une cause. » (MHAM, p. 172-173) Dior valorise les domaines du savoir qui ont un capital symbolique élevé contre un capital économique et social. Plus loin, elle précise : « j‟étais attirée par les créateurs, les penseurs qui vivaient leurs convictions. Non pas ceux qui étaient des théoriciens et vivaient complètement en contradiction avec les idées qu‟ils avaient. » (MHAM, p. 210) Ainsi, Dior réduit encore son idéal à un homme qui aurait un fort capital culturel et symbolique et qui aurait une position en accord avec ses prises de position dans le champ de la culture.

Selon Barthes, l‟une des forces de la littérature est la mathesis : « [p]arce qu‟elle met en scène le langage, au lieu, simplement, de l‟utiliser, elle engrène le savoir dans le rouage de la réflexivité infinie : à travers l‟écriture, le savoir réfléchit sans cesse sur le savoir, selon un discours qui n‟est plus épistémologique, mais dramatique195. » Or Ken Bugul engage sa narratrice dans une réflexivité infinie où tout est prétexte aux mises en scène qui permettent d‟approfondir la démonstration de son statut de romancière dans l‟énoncé de son récit. Ne prête-t-elle pas à Dior la mise en scène d‟un discours dramatique lorsqu‟elle la fait avouer son attirance pour les artistes intellectuels, mais qu‟elle la fait aussi décrire ses relations amoureuses selon des détails matériels plutôt insignifiants, comme le modèle de leur voiture ou l‟apparence de leurs draps. Elle décrit ainsi sa rencontre avec un ami de son frère : « [il] avait une voiture, une Citroën, une DS21, la même voiture que celle dans laquelle le général de Gaulle se faisait conduire. J‟aimais sa suspension. » (MHAM, p. 168) La narratrice joue à échapper aux déterminismes en mettant en scène son discours passé (celui de Dior) contre les déterminismes, mais en se montrant aussi en train de déterminer les hommes par des valeurs qui s‟éloignent de celles qu‟elle prétendait valoriser. Cet écart entre le personnage de Dior et la narratrice Dior est évident, puisque la première est montrée par la deuxième a posteriori, dans une mise en scène qui fait apparaître un discours dramatique au-delà d‟un discours épistémologique. Lorsque le personnage de Dior remarque le modèle de voiture de son amant et qu‟elle lui attribue un capital social en fonction de son rapprochement avec le général de Gaulle, la narratrice tisse

une métonymie de la France qui a été à l‟origine de beaucoup des déterminismes réducteurs qu‟elle dénonce.

À travers la configuration narrative complexe de Mes hommes à moi, s‟érige un commentaire d‟ordre métatextuel sur la relation qui s‟installe entre le lecteur et l‟auteure dans l‟œuvre bugulienne et qui semble donner les grandes lignes du projet narratif de Ken Bugul dans ce roman. Selon Umberto Eco, « prévoir son Lecteur Modèle ne signifie pas uniquement espérer qu‟il existe, cela signifie aussi agir sur le texte de façon à le construire. Un texte repose donc sur une compétence mais, de plus, il contribue à la produire196. » Si, comme nous venons de le voir, chaque personnage est décrit par la narratrice d‟une manière qui lui permet de se transfigurer pour mettre de l‟avant une composante de sa figure d‟auteure, les personnages entretiennent aussi des discours sur leur destinataire idéal, qui traduisent la réflexion de l‟auteure sur l‟importance du lecteur dans l‟orientation interprétative de l‟œuvre. Un lecteur idéal est donc toujours recherché dans la construction du texte et c‟est à lui que s‟adresse normalement le roman. Il est aussi impliqué comme agent du champ littéraire et son idéalisation par l‟auteure participe de l‟illusio qui motive sa pratique. Le lecteur idéal de Dior adopte la même posture qu‟elle dans la narration : il est en constant déplacement interprétatif, étant surtout qualifié par une recherche incessante de la posture à adopter.

Par la rencontre de différents types d‟interlocuteurs, Dior refuse de déterminer de manière univoque une typologie stricte du lecteur idéal à qui elle s‟adresserait. D‟abord, son premier interlocuteur est l‟homme à la veste de cuir. Elle se vexe de constater qu‟il l‟« écoutait avec détachement, comme s‟il connaissait déjà [son] histoire, ou comme si elle ne l‟intéressait pas. » (MHAM, p. 75). En apparence, celui qui accepte d‟entendre Dior n‟est pas intéressé par son histoire, parce qu‟il connaît son contenu. L‟homme à la veste de cuir reflète le lecteur fidèle de Ken Bugul, qui reconnaît dans Mes hommes à moi la réitération des épisodes de vie de la narratrice des récits intimes de l‟auteure. Dior ne devrait pourtant pas être vexée, puisque l‟homme à la veste de cuir continue de s‟intéresser à elle, l‟incitant à poursuivre en lui demandant des précisions et en l‟interrogeant. L‟action même de raconter est encouragée, montrant bien que l‟énonciation de l‟œuvre bugulienne est plus intrigante que l‟énoncé qui se répète au fil des récits.

Cet homme finit par refléter la pratique du récit de soi de Dior dans sa pratique de la lecture de ce récit. En effet, il tient ce discours à propos de la construction des histoires intimes :

Nous avons tous des histoires. Des histoires cachées, dissimulées, occultées. Des histoires superposées à d‟autres histoires, des histoires remaniées, des histoires transformées, des histoires expliquées, des histoires reconstruites, ainsi de suite. Chacun a son histoire. Donc tu dois comprendre que la vie ce n‟est que des histoires. Il n‟y a pas d‟histoires malheureuses ou d‟histoires heureuses. Il n‟y a que des histoires. Calme-toi. Mon histoire va bientôt se terminer ici et une autre histoire va commencer qui sera construite sur les fondations de mon histoire, celle que tu connais un peu. Car tu ne connais que ce que tu vois, que ce que tu crois connaître, que ce que tu devines (MHAM : 245).

Dans ce passage, non seulement une interpellation directe à Dior (« Calme-toi », « tu dois comprendre ») oriente son interprétation du récit, mais l‟interpellation se double aussi de la ressemblance entre cette vision du récit intime et celle que prospectait Dior. Le récit de soi est pour elle l‟objet d‟une quête qui concerne davantage la manière de se raconter que la véracité. La narratrice transpose cette réflexion au cas de son récit intime : « Moi aussi, j‟ai mon histoire que j‟ai essayé de travestir. J‟ai essayé de forcer le destin. J‟ai essayé de camoufler mon histoire comme un caméléon en vivant les histoires des autres ou en en faisant d‟autres histoires » (MHAM, p. 245-46). Cet aveu exprime la transfiguration de Dior, et celle de l‟auteure. À travers la voix de l‟homme à la veste de cuir, qui avoue que sa nouvelle version des faits « sera construite sur les fondations de [son] histoire », Ken Bugul explique que Mes hommes à moi est aussi une « autre histoire » qui se bâtit, de manière intertextuelle, sur celles qui la précèdent. Comme Dior, elle se fait « caméléon » à travers ses personnages et elle avertit le lecteur qu‟il ne verra jamais plus que « ce [qu‟il croit] connaître, que ce [qu‟il devine] » à travers ses masques.

C‟est d‟ailleurs par l‟expérimentation de son propre statut de lectrice que Dior jauge la posture qu‟elle voudrait adopter. À la fin de son récit, elle se rend compte qu‟elle était aussi prise au piège de ses propres interprétations subjectives du monde, alors qu‟elle comprend qu‟elle a idéalisé Madame Michèle en poétesse. En cherchant à savoir ce que Madame Michèle pouvait écrire du point de vue de la forme, elle a déduit par ses signes extérieurs et sa mise en scène, l‟étiquette de poétesse. D‟où sa grande déception : « [d]écouvrir Madame Michèle en joueuse de Rapido était pour moi un choc. Je la prenais pour une poétesse à qui j‟allais raconter mon histoire et là j‟étais en face d‟une poétesse qui

jouait au Rapido. C‟était cela la poésie et, moi, je n‟avais rien compris. C‟était cette incompréhension de la poésie, qui avait gâché ma vie. » (MHAM, p. 242)

La relation entre l‟auteur et le lecteur, qui s‟inscrit dans Mes hommes à moi, découle d‟une expérimentation par interversion des postures. Monsieur Pierre, seul personnage à être représenté directement comme lecteur dans le roman, transpose le mouvement de la narratrice, puisqu‟il s‟adonne aussi à un jeu de perpétuel positionnement : « [l]e miroir lui servait comme dans un exercice de maintien. Il se contemplait. » (MHAM, p. 220) Ce n‟est qu‟à la fin de son récit que Dior entre en communication avec lui, acceptant de s‟asseoir à ses côtés et le regardant à son tour dans le miroir : « Monsieur Pierre, sur qui j‟avais imaginé des tas d‟histoires, était là bien en face de moi, une main dans la poche. » (MHAM, p. 247) Elle note son positionnement singulier (« une main dans la poche »), qu‟elle met en relation avec sa position à elle (« en face de moi »). D‟ailleurs, elle rapporte ses paroles seulement lorsqu‟elles lui servent à exploiter les modalités du récit de soi :

Vous voyez, mademoiselle, dans la vie il n‟y a que des histoires à raconter ou à taire à jamais. Mais j‟ai trouvé dans mon travail des motifs de satisfaction. C‟est par mon travail que j‟ai su qu‟un homme et une femme peuvent se dire autre chose que des histoires lugubres. Par la suite, je me suis intéressé à des revues spécialisées, vous voyez ce que je veux dire, parce que chez vous il paraît que ça y va fort. (MHAM, p. 249)

Monsieur Pierre émerge peu à peu comme critique littéraire, ayant commencé à lire des lettres d‟amour au bureau, travaillant ensuite à comprendre « qu‟un homme et une femme peuvent se dire autre chose que des histoires lugubres ». Il s‟est finalement « intéressé à des revues spécialisées ». Ce parcours le met en scène en train d‟apprendre à lire les textes en spécialiste. Par l‟utilisation de « chez vous autres », employé par la narratrice du Baobab

fou pour montrer que cette dernière ne pouvait rapporter de son histoire que le sentiment

d‟altérité qu‟elle percevait dans les actes et dans les discours des Européens qui l‟entouraient, l‟auteure déplace la valeur sémantique de ce syntagme (« chez vous autres ») au statut de l‟écrivaine. Dior, par la réminiscence de l‟histoire de son récit de soi, montre bien qu‟elle ne pouvait saisir le discours de ses interlocuteurs qu‟en rapport à son étrangeté vis-à-vis des figures idéalisées de la poétesse (Madame Michèle), du critique d‟art (Monsieur Pierre), du lecteur fidèle (l‟homme à la veste de cuir) et du penseur (les deux intellectuels). Par un jeu de miroir, ces figures reflètent surtout sa position à elle dans ces différents domaines qu‟elle sait peindre dans son récit.

Par la reprise des schèmes narratifs et des stratégies figuratives, plus encore que par la redondance des biographèmes, Ken Bugul explore différentes figures pour faire entendre son identité narrative éclatée et polyphonique, lui donnant alors une posture de romancière. Elle ne se fige dans aucun schéma, sauf celui de la recherche continue du meilleur positionnement possible. Maurice Couturier soutient à juste titre que c‟est dans « le jeu croisé des désirs197 » entre le lecteur et l‟auteur que le texte est produit. Après avoir expérimenté le récit de soi dans cet espace du bar, métonymie du champ littéraire, Dior comprend que ses interlocuteurs ne se prêtent pas plus qu‟elle à la fixité. Elle se rapproche d‟eux par la démarche de recherche qu‟ils partagent : Monsieur Pierre traque ses lettres d‟amour et tend de plus en plus à une lecture de spécialiste, l‟homme à la veste de cuir tente de comprendre le récit de Dior pour continuer de maîtriser l‟espace du bar qu‟il investit et Madame Michèle cherche le moyen de gagner à la loterie. À la fin du roman, lorsque l‟auteure propulse la narratrice dans un saut temporel qui la ramène au même endroit, soit celui du bar, ce lieu est transfiguré, mais Dior explique : « [u]n homme seul était debout au comptoir qui avait été redessiné. Quand je levai la tête vers lui, il me regarda, mais sans me sourire. C‟était peut-être le fantôme de Monsieur Pierre qui était resté accroché au zinc. » (MHAM, p. 251) Ce spectre de tous les récits possibles n‟est-il pas le symbole du lecteur qui gravite dans la tête d‟une auteure en train de se demander comment raconter sa vie?

La clôture du roman abonde en ce sens. Dans cette prolepse, la narratrice sort de l‟espace du bar pour revenir à celui du récit. La circularité du roman se remarque lorsque Dior réitère sa résolution de ne plus entretenir de relation intime avec les hommes. Le récit de la narratrice n‟est toutefois pas resté statique, puisqu‟elle a changé son regard sur le