• Aucun résultat trouvé

Partie 3 Pistes didactiques et conception d’un programme

2. Mise en place du dispositif

Après avoir montré comment j’avais envisagé l’évaluation des apprenants ainsi que de l’efficacité du programme et dans la mesure où ce dernier n’a pas été mis en place, il m’a semblé indispensable d’examiner les différents éléments qui auront pu influer sur cet état de fait. Ainsi, il s’agira davantage d’une analyse que d’une évaluation. Puis, selon la façon dont le programme a été conçu et les possibilités de partage existantes, je montrerai comment le dispositif global parce qu’il a également été pensé à long terme, pourrait être pérennisé.

La session d’été commencerait trois semaines après mon retour en France. Les rappels faits par P à propos de l’impossibilité de connaître le niveau du groupe ont contribué à notre prise de décision de ne pas concevoir l’intégralité du programme avant mon départ. En effet, il semblait plus judicieux de l’adapter au fur et à mesure de son avancement. Ainsi, deux séquences, représentant deux semaines de cours avaient été finalisées. J’avais prioritairement effectué la première séquence « promenade dans la jungle » en détail, pour qu’il y ait une base de démarrage, la cinquième « préparer le concours de dessin » également car elle concernait une tâche commune à tous les enseignants de l’équipe. Les autres séquences étaient en cours d’élaboration. P et moi avions expérimenté en classe une séance de la deuxième séquence « je fais mon arbre généalogique » ainsi qu’une activité de la sixième séquence « témoignage en direct ». Je disposais des bases nécessaires qui me permettraient par la suite de concevoir la programmation en fonction des thèmes et de certains contenus déjà définis pour ajuster les objectifs et le niveau de difficulté des activités au niveau réel des apprenants. Cette façon de procéder était coûteuse en temps mais me paraissait plus efficace. C’est d’ailleurs, celle que j’aurais adoptée si j’avais pu rester sur place. En effet, j’aurais aimé continuer à travailler en binôme pour accompagner, participer à la session et modifier les séquences en fonction de nos observations. Comme cela n’était pas possible, nous avions prévu de communiquer par mail et par Skype pour faire le point et pour analyser ce qui avait ou n’avait pas fonctionné. De cette façon, je pensais poursuivre et peaufiner la conception des séances en fonction du niveau global du groupe et des difficultés repérées par P. Cela m’aurait permis de réagir et d’adapter le programme entre chaque séance. Je m’étais attendue à avoir des retours réguliers, une fois par semaine, pour adapter ce que j’avais pu

réaliser. Toutefois, lors de la première semaine, il me semblait important d’avoir des retours après chaque séance dont j’espérais obtenir les éléments suivants :

- évaluation diagnostique selon les critères établis ; - enregistrements de S1a2e2, S2a2e3, S3a2 ; - activités de production écrite : S2e2a2, S3a2.

Je considérais ces premiers retours comme une évaluation diagnostique pour me fournir des informations qui me permettraient d’adapter cette séance au niveau des apprenants et évaluer les progrès constatés à l’issue de la session. Il me semblait que cela ne serait pas aisé dans la mesure où je n’étais pas présente. Par ailleurs, j’avais bien conscience que certains éléments ne seraient peut-être pas complets ou assez clairs et qu’il me fallait compléter les observations « à chaud » de mon collègue par des données concrètes et chiffrées.

Les échanges rétroactifs ne se sont pas passés comme prévu. J’ai reçu un mail lors de la première semaine sans détails, hormis le fait qu’il y avait 25 apprenants au lieu des 15 attendus et qu’il n’y avait aucun matériel dans la salle. Puis, nous avons pu communiquer par Skype à la fin de la première semaine. Il est ressorti de cet échange que P ne pourrait pas mettre en place le programme parce que les apprenants étaient trop nombreux et l’hétérogénéité du groupe trop importante. Il me paraît important d’examiner de plus près les raisons de cette non mise en place du dispositif. En effet, hormis le facteur matériel qui est très important puisqu’il y a nécessité de projeter des vidéos dans de nombreuses activités, les raisons me semblent être essentiellement d’ordre institutionnel.

Le bureau des études116 n’a pas tenu compte de la demande de l’ensemble de l’équipe pédagogique chargée de la session d’été de limiter les groupes à une quinzaine d’enfants. Certains groupes comportaient 18 enfants ; ceci me paraît dommage mais gérable. Cependant le groupe de P était constitué de 25 apprenants avec apparemment un niveau très hétérogène. Dans l’absolu et en admettant que le problème matériel ait été résolu, la première séquence aurait été réalisable avec 25 apprenants en adaptant certaines activités sauf si le groupe présentait des disparités telles qu’il me les a décrites. Lors de notre première conversation à distance, il me racontait qu’un des apprenants n’avait pas compris la question répétée plusieurs fois « comment tu t’appelles ? » ; il doutait du fait que cet enfant provienne de classe bilingue. Une autre apprenante, inscrite habituellement

116

114

dans ses cours du soir, risquait, selon lui, de s’ennuyer. Ce constat conduit à évoquer un deuxième écueil, celui de l’absence de tests de placement. En effet, les groupes sont constitués en fonction de l’âge des apprenants et non pas de leurs compétences. Toutefois, il y a un autre aspect à prendre en compte. Comme cela a déjà été vu, au Viet Nam, le français est en perte de vitesse ; dès lors, on peut comprendre qu’il soit délicat de refuser des apprenants. Le problème est encore plus complexe si l’on envisage également la difficulté qu’il y a à recruter des professeurs natifs bien qu’ils soient mieux rémunérés. Était-ce pour cette raison que les apprenants du groupe de P étaient si nombreux ?

Si le facteur institutionnel est le plus important, il me semble que ce mauvais démarrage a conditionné la suite et peut-être le fait que je n’aie pas obtenu de retour quels qu’ils soient sur la session d’été en elle-même. Effectivement, P a dû faire avec l’absence de matériel et réagir très vite avec 25 enfants. Nous avions passé du temps à échanger sur le programme. Nous avions également testé des activités dans ses classes du soir, nous nous étions réunis pour améliorer le dispositif. Nous nous étions investis dans cette préparation et étions motivés pour amener un groupe d’enfants à améliorer ses compétences communicatives orales. Je suppose que cette contrariété de départ a conditionné la suite de nos échanges. Rapidement, j’ai senti qu’en fin de semaine P n’avait pas envie d’évoquer la session d’été lors de nos conversations. La distance est un facteur non négligeable dans les échanges. J’arrivais a posteriori de ses problèmes et ne pouvais que constater ce à quoi il avait dû faire face durant la semaine. Le fait de devoir échanger régulièrement est une contrainte supplémentaire et faire face aux différentes contrariétés institutionnelles et contraintes cumulées a certainement été trop coûteux.

Par ailleurs, nos priorités n’étaient pas les mêmes. La mienne était double. Tout d’abord, je devais obtenir rapidement des informations fiables de façon à adapter le programme au niveau des apprenants. Dans le même temps, j’avais conscience de la nécessité de définir des objectifs linguistiques et pédagogiques pertinents et précis d’autant plus que l’élaboration des séquences était l’aboutissement de mon projet de stage. P n’avait pas besoin de toutes ces précisions, son besoin était de faire face à l’urgence et de gérer la classe au quotidien. Si j’avais été sur place, j’aurais pu l’accompagner pour faire face aux difficultés techniques et d’effectif afin de mettre en place le programme. Or, il me semble que la situation de P était réellement inconfortable. Le fait que toutes les séquences du programme n’étaient pas finalisées, cumulé avec les difficultés auxquelles il a dû faire face (effectif trop nombreux et matériel manquant), a certainement amené P à se retrancher dans

ses habitudes d’enseignement. Même si la volonté d’innover est réelle, il est parfois difficile de ne pas se laisser happer par le quotidien. En effet, le changement nécessite du temps.