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L’oral : un champ d’enseignement peu valorisé et aux contours mal définis

Partie 3 Pistes didactiques et conception d’un programme

1. L’oral : un champ d’enseignement peu valorisé et aux contours mal définis

1.1. La place de l’oral dans l’enseignement des langues

Même si l’on trouve de nombreuses ressources, de multiples recherches sur l’enseignement des activités langagières orales, il n’est pas aisé de définir ce dernier de façon simple et précise. Parmi ces documents, le CECRL aide l’enseignant qui peut s’y référer utilement. La place de l’oral y apparaît aussi importante que celle de l’écrit. En effet, qu’il s’agisse des grilles pour l’auto-évaluation des niveaux communs de compétences (p. 26), des activités de communication langagières orales (p. 48) prenant en compte la réception, la production et les stratégies mises en place mais également de la communication non verbale, le CECRL offre des axes de travail communs et permet de concevoir son enseignement et l’évaluation des apprenants de façon progressive. Pourtant, il ne peut être exhaustif et ne fait pas toujours l’unanimité. Pour ne citer qu’un exemple : Alazard, Astésano, Billières & Espesser, (2005 : 50) considèrent que la progression de certaines compétences n’est pas tout à fait cohérente. C’est le cas de la compétence phonologique qui prévoit la prise en compte de la compétence prosodique seulement à partir du niveau B2. Ils déduisent que cette compétence est estimée être acquise naturellement par le contact répété avec la langue étrangère.

Concernant les méthodes de langues, Weber (2015 : 42) mentionne des analyses effectuées par Bento (2007 : 196) dont le critère est la présence de documents sonores dits « authentiques ». Elle remarque que l’accès au sens est la plupart du temps facilité par un débit plus lent et par des structures syntaxiques qui se rapprochent de celles de l’écrit. Même si ces choix sont souvent légitimes, l’oral y perd sa spécificité. C’est comme si la didactique de l’oral manquait de « consistance ». D’ailleurs, Alazard (2013 : 25) souligne que les recherches portant sur l’analyse des discours oraux datent des années quatre-vingt. Elles sont donc récentes. Auparavant, dès 1970, les travaux du Conseil de l’Europe ont permis d’orienter la didactique des langues vers de nouvelles approches en développant, en particulier, l’approche communicative, définie comme :

« une conception nouvelle de l’enseignement des langues, avec pour références théoriques majeures la linguistique de l’énonciation, la pragmatique et l’analyse de discours. Le concept de compétence de communication se trouve mis au cœur de l’approche communicative. La connaissance d’une langue ne se réduit plus à celle du système linguistique, elle inclut

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également la connaissance des règles d’emploi de cette langue en fonction du contexte social, la maîtrise des discours, la saisie des normes et de l’histoire culturelle 59».

1.2. Quelques représentations autour de l’oral

Nos représentations sont parfois incomplètes, voire erronées concernant l’oral. On peut être amené à penser que cet apprentissage se fait de façon automatique, en pratiquant. Il peut arriver que des apprenants et des enseignants voient dans cette pratique, une perte de temps. Le peu d’intérêt accordé jusqu’alors à l’oral serait dû à plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’écrit a toujours eu une place privilégié dans notre système d’enseignement. Comme cela a déjà été souligné, il est difficile de se passer d’un enseignant pour apprendre à lire et à écrire, ce qui n’est pas le cas de l’oral.

Par ailleurs, certains enseignants estiment que l’oral peut s’apprendre par expérience directe, simplement en communiquant lors d’activités de jeux de rôle, de dialogues ou de débats. Alazard (2015 : 28) en citant Lauzon (2009) indique que :

« L’oral ne donne pas lieu à un enseignement ciblé et structuré […] cette absence d’enseignement structuré et orienté de l’oral correspond à l’idée selon laquelle on apprend en communiquant » (Lauzon et al, 2009). Pour Dolz et al. (1998), cette difficulté à concevoir

l’oral comme un véritable savoir est liée d’une part au peu de recherches portant sur la langue orale et à la nature même de l’oral qui le rend difficilement scolarisable, du moins dans une vision traditionnelle de l’enseignement ».

D’ailleurs cette « vision traditionnelle de l’enseignement » correspond à ce qui a pu parfois être observé en contexte vietnamien, où l’écrit est davantage valorisé que l’oral60

. Dans ce sens, Weber (2015 : 27) souligne que :

« les cultures où l’écrit est valorisé préfèrent privilégier les activités formelles (exercices de grammaire) ; l’entraînement à l’échange (dialogue, jeux de rôle, débat) est ressenti comme ludique et non comme objet d’apprentissage ».

Ce ressenti est partagé par des enseignants mais également par des apprenants. Dans son ouvrage, C. Weber, relate le cas d’un étudiant coréen qui, en se plaignant du contenu des cours, affirmait qu’il n’était pas là pour faire du théâtre mais de la grammaire.

1.3. L’oral : une notion aux contours imprécis Pour Weber (2015 : 5), l’oral est :

59 Source : Weber, C. (2015 : 48).

60 À ce sujet, les résultats des observations de classe et du questionnaire distribué aux enseignants

« une désignation générique d’usages, courante dans l’enseignement/apprentissage des langues, d’un objet flou, multiforme et complexe, derrière lequel se cachent des réalités variées, selon les contextes éducatifs ».

Alazard (2013 : 26) va dans le même sens en précisant :

« Il est vrai, comme le souligne Gadet (1996), que contrairement à l’écrit « codifié, fixé, stabilisé, normé », l’oral se présente sous des formes très variées : variations diachroniques (temps), diatopiques (régionales), diatrastiques (sociales) et diaphasiques (situationnelles) mais aussi inter et intra locuteurs ».

Ces formes, par la multiplicité de leurs variétés et leur caractère instable, sont peut- être en partie à l’origine de l’imprécision dans les représentations et dans les pratiques des enseignants. Effectivement, un enseignant tiendra à ce que toutes les liaisons soient prononcées parce que c’est ainsi que l’on se doit de prononcer le français, un autre estimera qu’il convient de formuler des phrases complètes (en se référant aux règles de l’écrit) même dans une situation où cela n’aurait pas été nécessaire. Le « oui » à la place du « ouais » sera systématiquement exigé parce qu’il correspond à la prononciation du français standard, des élisions seront corrigées alors qu’elles sont couramment pratiquées par les natifs. Les contours du champ de l’enseignement de l’oral et de sa didactique paraissent, comme cela a été dit, souvent vastes et mal définis.

Par ailleurs, des observations et des lectures amènent à remarquer qu’il y a parfois un décalage entre les objectifs visés par les enseignants et les attentes des apprenants. Cela peut être dû à des habitudes éducatives différentes (cas de l’étudiant coréen cité précédemment), mais cela peut également provenir d’habitudes d’enseignement, de représentations figées, d’une méconnaissance des objets à enseigner ou bien de nouvelles possibilités et ressources à disposition de l’enseignant encore inexploitées. Pourtant, la prise en compte de critères spécifiques permettrait de tenir compte davantage des particularités de l’oral et pourrait aider à préciser nos exigences et nos objectifs.