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Partie II : Problématique et propositions de recherche

1.2 Mise en perspective des propositions de recherche

Comme nous l’avons expliqué dans la précédente sous-partie, la construction de nos propositions de recherche repose sur notre question de départ dans la thèse : « Comment s’imbriquent le matériel et le social dans l’organisation pour contribuer aux trois fonctions du SI : pilotage, contrôle, coordination ? ». Ces propositions s’inscrivent dans le cadre d’une exploration théorique de la sociomatérialité ; considérée comme pertinente. Dans le cadre de notre étude, nous avons fait le choix de se limiter aux trois principales notions de la sociomatérialité à savoir la performativité, la matérialité et les pratiques. La matérialité en général a été une des grandes absentes des débats académiques de ces trente dernières années au sein des sciences des organisations (Orlikowski, 2007 ; Leonardi et Barley, 2008 ; de Vaujany, 2011 ; Leonardi, 2012 ; de Vaujany et Mitev, 2013 ; de Vaujany et Vaast, 2014a) et le retour de cette notion dans les débats organisationnels et

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managériaux peut sembler étonnant dans un contexte où dominent de plus en plus l’immatériel, l’abstrait, le complexe et le liquide (de Vaujany et Vaast, 2014b). Le choix de redonner une place à la matérialité dans les organisations et de limiter la mobilisation du cadre théorique de la sociomatérialité aux trois notions de matérialité, performativité et pratiques repose sur la vision de De Vaujany et Mitev (2015, p.19) qui insiste sur le fait que « c’est précisément parce que les produits et les services diffusés et vendus par les organisations ont une matière problématique qu’il faut des processus et des pratiques particulières afin de les (re-)matérialiser et les (re-)performer. Pour les clients comme les citoyens, il faut plus que jamais incarner, démontrer, matérialiser, simuler, illustrer les activités, les produits et les services. La légitimité de leur prix repose en grande partie sur le succès de cette démarche fortement « performative » ».

Notre démarche scientifique met en perspective quatre propositions qui tentent d’apporter des réponses satisfaisantes à la question de la contribution de l’imbrication des structures matérielles et des structures sociales aux organisations au travers le SI et ses fonctions.

Les propositions de recherche sont construites en se basant sur la définition que donnent Charreire et Durieux (1999, p.85) à une hypothèse dans leur livre Explorer et Tester : « Fondée sur une réflexion théorique et s’appuyant sur une connaissance antérieure du phénomène étudié, l’hypothèse est une présomption de comportement ou de relation entre des objets étudiés […] Par construction, une hypothèse doit posséder les deux critères suivants : doit être exprimée sous forme observable et il ne faut pas qu’elle soit une relation fondée sur des préjugés ou des stéréotypes de la société ».

1.2.1 Proposition relative à l’interaction Propriétés structurelles - SI

Les structures, qu'elles soient technologiques ou humaines, n'ont pas de fonctions inhérentes, mais ce qui compte, c'est leur interconnexion (Orlikowski et Scott, 2008). Dans la sociomatérialité, les technologies ont des propriétés matérielles et des fonctions qui peuvent offrir différentes possibilités, donnant aux hommes la possibilité d'agir et d'exploiter les énormes capacités de ces technologies (Orlikowski et Scott, 2008). Ces propriétés ne sont pas statiques, mais sont multiples et dynamiques dans le temps (Barrett et al., 2012). Ainsi, dans certains cas, les hommes et le SI ; en tant que système technique ; s'imbriquent pour créer ou changer les modes et pratiques de travail, alors que dans d'autres cas, les propriétés structurelles et matérielles se réunissent pour développer ou modifier des technologies.

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Comme indiqué auparavant, Leonardi (2011) considère que l’homme et les technologies ont chacun une agence ; les deux peuvent d’imbriquer dans un contexte organisationnel, mais inévitablement les hommes décident comment répondre à des technologies spécifiques afin de tenir compte des propriétés structurelles de l’organisation. Cette forme relationnelle peut s'expliquer par le fait que « les hommes qui ont des buts et la capacité de les atteindre (l'agence

humaine) sont confrontés à une technologie qui réalise des tâches spécifiques (avec des fonctions spécifiques) qui ne sont pas complètement sous leur contrôle » (Leonardi, 2013, p.70). Dire que

l'agence matérielle signifie que les non-humains22 subissent des actions ne signifie pas révoquer

des contributions humaines ; les hommes peuvent s'adapter et s'approprier ce que les non-humains produisent comme action (Leonardi, 2011). S'inspirant de cela, une structure avec son personnel, y compris ses pratiques représentent l'agence sociale ; imbriquée avec le SI qui représente l'agence matérielle et qui est ajustable en fonction des propriétés de l’organisation.

En conséquence, le rôle d’un SI se constitue lorsque les acteurs s’imbriquent avec ce système dans la pratique pour générer diverses utilisations et améliorations du système, et lorsque le SI permet à une structure d’accomplir au fil du temps des fonctions indispensables pour son bon fonctionnement à savoir le pilotage, la coordination et le contrôle de ses processus et résultats. Ainsi, les fonctions attribuées à un SI ne sont pas inhérentes à ses propriétés matérielles, mais émergent des propriétés structurelles de l’organisation, représentées par la façon dont les acteurs expérimentent leur agence pour changer et adapter les systèmes à leurs besoins et aux fonctions de l’organisation. Ces fonctions sont également basées sur la façon dont le SI donne aux hommes l'occasion de trouver de nouvelles utilisations pour le système, comme le développement de nouvelles pratiques et fonctions ou la modification des modes de travail existants. A ce stade nous pouvons déjà poser la proposition de recherche suivante :

Proposition 1 : Les propriétés structurelles d’une organisation nécessitent une configuration singulière du SI.

22 En sociologie, un non-humain est un acteur non humain. Cette notion a notamment été développée par les sociologues Bruno Latour et Michel Callon dans le cadre de la théorie de l’acteur-réseau.

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Figure 23. Conception simplifiée de la proposition 1

1.2.2 Proposition relative au Design organisationnel et SI

Le SI est un instrument de fabrication de l’information et est une composante du système général de l’organisation comprenant un ensemble organisé de moyens humains et techniques de façon à atteindre ses objectifs. Comme indiqué précédemment, chaque SI répond à une ou plusieurs fonctions avec un degré d’importance qui diffère d’une organisation à l’autre. Aussi, au niveau du chapitre 1, nous avons présenté et analysé les différentes formes organisationnelles et ce en croisant chacune d’elles avec les trois fonctions du SI : coordination, contrôle et pilotage (voir tableau 4, tableau 5 et tableau 7).

La revue de littérature, combinée à notre analyse, démontrent l’existence d’une interaction entre les fonctions du SI et l’organisation. Cette interaction diffère selon le design de chaque organisation favorisant des fonctions plus que d’autres, suivant la stratégie et les attentes des managers et utilisateurs du SI.

Cao et al. (2016) indique que la valeur d’un SI dépendra de la manière dont les hommes d'une organisation interagissent intentionnellement au sein de l'organisation et avec son environnement. Les interrelations de l'organisation façonnées par les décisions et les connaissances des hommes (Conner et Prahalad, 1996) conduiront à des fonctions de SI qui affecteront à leur tour la façon dont l'organisation profitera de son SI. Cela peut expliquer pourquoi différentes entreprises dans une industrie ont des fonctions SI qui diffèrent par rapport à d’autres organisations utilisant le même système car chaque organisation est susceptible d'avoir des relations variées entre ses propriétés IT et son design, affectées par les comportements managériaux et par les hommes en général. Ainsi, les fonctions d'un SI tendent à être spécifiques au design de l’organisation où il se situe.

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Markus (2010) indique que depuis au moins les années 1950, les chercheurs ont proclamé le grand impact potentiel du SI sur les managers et les organisations. Celles-ci ont redoublé à la fin des années 1980 et ont commencé à adopter de nouvelles formes organisationnelles complexes. On note que le design organisationnel et le SI évoluent mutuellement à travers le temps. En d’autres termes, les fonctions du SI influencent le design de l’organisation et contribuent à son évolution. Au vu des éléments précités qui soulignent notamment le fait que les fonctions de contrôle, de coordination et de pilotage sont communes au design organisationnel et au SI, il nous parait nécessaire d’étudier le rôle du SI technique dans le design des organisations et ses évolutions, d’où la formulation de la proposition suivante :

Proposition 2 : Les trois fonctions du SI déterminent le design des organisations et ses évolutions possibles.

Figure 24. Conception simplifiée de la proposition 2

1.2.3 Proposition relative à la matérialité du SI et pratiques des acteurs

Les aspects matériels de la technologie étaient toujours au cœur de la recherche initiale sur la relation entre la technologie et les organisations. En effet, la technologie était principalement définie en termes de types de matériel : les petits objets, y compris les équipements, les machines et les instruments (Orlikowski 2010).

En outre, l'abstraction croissante du concept de technologie au fil du temps peut aider à expliquer pourquoi l'influence des artefacts technologiques et de leurs aspects matériels a été négligée dans les moindres perspectives théoriques. Par exemple, le concept de technologie a été élargi au-delà des environnements de production ou de fabrication en le rendant plus abstrait afin qu'il puisse également être appliqué aux processus et aux connaissances utilisés dans les bureaux et les organisations de services. De plus, la technologie a commencé à être décrite en fonction des

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caractéristiques des tâches qui ont été considérées comme des intermédiaires (proxies) pour la technologie (Orlikowski, 2010). Orlikowski (2010) explique que l'abstraction du concept de technologie au fil du temps a permis une plus grande généralisation de la recherche en la rendant applicable à plus de types de technologie et de contextes organisationnels.

Cependant, elle note que cette abstraction a malheureusement conduit à la négligence des caractéristiques spécifiques et des aspects matériels des technologies.

D. Tunçalp (2016, p.1076) indique que « la matérialité d'une technologie influence ses aspects

sociaux à travers son existence et son interaction quotidienne avec le social ». Cependant, le degré

de co-influence entre les aspects sociaux et matériels d'une technologie dépend de sa position dans l’organisation et des ressources des acteurs qui entourent sa matérialité. La matérialité dépend en fin de compte d'un contexte spécifique où les deux agences (social et matériel) sont apparues et où les objets matériels apparaissent dans un ordre social préexistant à un moment donné (Tunçalp, 2016).

Nous avons donc choisi d’étudier la matérialité des artefacts technologiques à l'aide de la sociomatérialité. Comme indiqué précédemment, la sociomatérialité est basée sur une ontologie relationnelle et se concentre sur la façon dont les significations et les matérialités sont mises en œuvre ensemble dans les pratiques quotidiennes (Orlikowski 2010). Orlikowski (2010) explique que selon une perspective performative de la sociomatérialité, les technologies n'ont pas de propriétés, limites ou significations inhérentes, mais sont liées aux pratiques matérielles-discursives spécifiques qui constituent certains phénomènes. Un nombre croissant de tâches organisationnelles et managériales sont réalisées par l'utilisation d'artefacts matériels impliqués dans de multiples processus organisationnels interdépendants. Une telle affirmation nécessite une interrogation sur l’action que la matérialité du SI a sur les pratiques des acteurs et sur leurs perceptions des fonctions de contrôle, de coordination et de pilotage dans l’organisation.

Proposition 3 : Les propriétés de la matérialité d’un SI agissent sur les pratiques des acteurs et sur leurs perceptions des fonctions contrôle, coordination et pilotage dans l’organisation.

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Figure 25. Conception simplifiée de la proposition 3

1.2.4 Proposition relative à la performativité et aux pratiques organisationnelles

F. Aggeri (2017. p.29) indique que « la performativité est un concept en vogue en sciences sociales

[…]. D’une façon générale, ce concept renvoie à la capacité de certains énoncés délibérés à changer la réalité et les pratiques qu’ils désignent […]. L’orientation performative invite à considérer l’action non pas seulement dans ses principes (dimension ostensive) mais dans ses pratiques (dimension performative) (Latour, 1984). Elle considère que la réalité est une construction qui se fonde sur des interventions concrètes et situées, médiatisées par des instruments ».

La performativité (Barad, 2003) est l’un des aspects clés de la sociomatérialité, elle fait référence à la mise en œuvre (enactment) d’une action et trouve ses racines dans la notion de « énonciations performatives » (Austin, 1962), c’est-à-dire au langage qui exécute l’action. L’aspect de performativité dans les artefacts technologiques intégrés dans les pratiques organisationnelles renforce le rôle de guide qu’ils jouent pour l'action humaine dans ces pratiques. Comme les éléments organisationnels tels que les processus de travail, les données, les rôles et les relations entre eux peuvent être inscrits dans les artefacts technologiques qui peuvent servir comme guide ou modèle pour l'action humaine en influençant les actions à entreprendre (Feldman Et Pentland, 2003). Ce rôle d'orientation est souvent associé à un rôle contraignant la création et l'application des pratiques et considéré comme un mécanisme primaire de gestion (Feldman et Pentland, 2003). La performativité des artefacts technologiques intégrés aux pratiques représente pour les managers des moyens supplémentaires pour contrôler l'agence humaine de leurs employés, piloter les performances organisationnelles et coordonner le travail.

Vue de l’angle de la performativité, la technologie est celle qui se constitue à travers les interactions sociales (socio) qui intègrent et reconstituent ses objets (matérialité) au cours de sa

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diffusion (Leonardi, 2011). ERP, Intranet, CRM, etc. deviennent des objets qui peuvent aider une organisation à atteindre ses objectifs.

Le concept de performativité est très important car il permet de caractériser la dynamique relationnelle entre acteurs humains et non-humains (technologique), ce qui signifie selon Orlikowski et Scott (2004) que les frontières entre humains et non humains ne sont ni prédéfinies, ni fixes, mais qu’elles émergent de la pratique. Dans notre travail de recherche, nous nous rapprochons plus de la conceptualisation de la performativité selon Leonardi (2012) qui considère que les humains et les non humains peuvent être étudiés distinctement.

Bia Figueiredo et Morley (2015) observent que la capacité d’action des acteurs humains se confronte aux contraintes et possibilités des acteurs matériels ce qui induit au final au renforcement de certaines fonctions du SI. Ils ont également constaté dans une organisation divers arrangements entre les acteurs humains et l’objet « espace ». Par exemple, dans les espaces partagés (open-spaces) les humains peuvent s’exprimer à voix haute ou chuchoter : dans les deux cas, l’utilisation de l’espace renvoie des messages aux occupants et aux visiteurs (ne pas déranger l’autre ou ne pas rester dans son coin). L’espace alloué aux équipes peut soit être habité comme un lieu d’échange et de collaboration, ou vécu comme un ensemble de zones individuelles pour le travail personnel. Dans cet exemple, la notion de performativité permet un contrôle et un pilotage de la pratique organisationnelle et de la coordination du travail en équipe dans les espaces partagés.

Proposition 5 : L’aspect de performativité renforce les fonctions de contrôle, pilotage et coordination du SI dans une organisation, en agissant sur les pratiques organisationnelles.

Figure 26. Conception simplifiée de la proposition 4

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Encadré 4. Synthèse de la Partie II