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Divergence de la perception des fonctions des SI entre « Manager » et « Opérationnel »

Le temps de la « technologie invisible » de M. Berry (1983) est totalement dépassé. La plupart des acteurs connaissent désormais les fonctions des SI et leur pouvoir sur leurs comportements. Néanmoins il peut être constaté que selon le rapport de l’acteur au SI et selon l’outil en question, la perception des fonctions de ce dernier peut changer d’un acteur à un autre. Dans une organisation, deux populations peuvent être distinguées : les « opérationnels » utilisateurs d’un SI pour exécuter leur activité et les « managers » utilisateurs de ce même SI pour coordonner, piloter, ou bien contrôler l’activité de cette population d’opérationnels.

Pour les managers, un SI est d’abord un moyen pour faciliter la remontée d’information et de rendre celle-ci plus transparente, plus disponible, plus fiable (en minimisant la marge d’erreur due à la complexité de sa production) et donc plus exploitable pour assurer un pilotage efficace de l’entreprise et répondre aux exigences des parties prenantes (standardisation des pratiques en termes d’achats, à travers un outil Achats, pour améliorer le pouvoir de négociation avec les fournisseurs, intégration d’un CRM pour améliorer la qualité de la relation client, intégration d’un ERP pour remonter les données financières et juger de la bonne santé de l’entreprise …). L’intérêt qu’accordent les managers aux SI se rapporte donc plus à l’esprit de la technologie (à quelle fonction répond-elle ?) qu’à ses traits matériels (qu’est-ce qu’elle permet de faire ? quoi ?). Pour les utilisateurs, un SI correspond à une façon de faire le travail au quotidien, il propose un processus standard à suivre (la manière de gérer une commande, de répondre à une demande client, de demander un congé…). Les utilisateurs sont souvent très sensibles aux changements apportés par le SI sur leur processus de travail ainsi qu’aux acteurs qui y seront impliqués. Selon l’organisation, les fonctions attendues suite à la mise en place d’un SI leur sont peu communiquées

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et les formations qui leur sont dispensées sont généralement focalisées sur les aspects techniques et matériels de l’outil, excluant ainsi ses finalités organisationnelles et managériales. Par exemple, dans le cas d’un directeur de région qui décide de mettre en place un SI collaboratif permettant de remonter les données entre filiales pour avoir une meilleure vision sur les ventes au quotidien, les utilisateurs du SI en filiales pourraient considérer que la mise en place de cet outil a pour objectif principal de les contrôler.

Si la différence entre la vision des managers et celles des utilisateurs est facilement perceptible dans le monde de l’entreprise, chaque acteur est plus ou moins conscient de la vision de l’autre. Sauf que les actions mises en œuvre pour réduire cette différence ne sont pas toujours efficaces : une communication sur les objectifs du projet concentrée sur la phase du lancement du projet, des objectifs parfois oubliés sous la pression de la complexité technologique de certains projets, des objectifs parfois inadaptés à la structure du département voire de l’organisation, des formations souvent centrées sur les traits matériels et sur l’utilisation de l’outil, difficulté à faire adhérer les acteurs concernés au projet etc. Cette différence de perception des fonctions d’un SI entre utilisateurs et managers peut provoquer des tensions au sein des équipes ou bien entre départements.

De plus, le manque de visibilité sur les objectifs de déploiement d’un SI peuvent conduire au contournement de cet outil, ou à la sous exploitation de celui-ci (par exemple, des conseillers clientèle qui utilisent un CRM pour gérer la relation client et non pour améliorer la qualité de service ou pour fidéliser la clientèle, ne pas utiliser le SI Achat pour choisir le fournisseur avec qui on a signé un contrat spécial ou un contrat de préférence, mais « juste » pour passer une commande de manière harmonisée…).

Par ailleurs, les fonctions d’un SI au moment de son déploiement ne sont pas perçues de la même manière selon les acteurs. Le choix du SI dans les grandes entreprises est généralement motivé par la volonté d’harmoniser les processus de travail, de les standardiser et/ou de les rationaliser afin de rendre l’information plus fiable et plus transparente facilitant ainsi le contrôle et le partage de bonnes pratiques entre entités, d’optimiser le pilotage, de gagner en productivité etc. Ces processus forment la couche générique d’un SI tel qu’il est proposé par un éditeur donné qui « prétend

répondre aux besoins de plusieurs entreprises selon des solutions éprouvées et référées à des best practices qui sont autant de règles standards de gestion. Tandis que sa couche spécifique, configurable donc personnalisable, a pour objectif de tenir compte des caractéristiques

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particulières de l’organisation à l’occasion d’un long et fastidieux travail de paramétrage. »

(Guffond J.L. et Leconte G., 2004 ; p.36).

Lors de sa création, une organisation peut choisir un SI plutôt qu’un autre en fonction de ses besoins. Un SI répondant à une fonction initiale de contrôle par exemple devrait suivre les exigences de l’organisation pour répondre à d’autres fonctions comme le pilotage ou bien la coordination.

Pour répondre à un besoin de changement, les organisations dotées d’un SI optent souvent pour l’évolution de ce dernier. Or, même si tous les acteurs perçoivent bien l’impact de cette évolution en matière de changement de pratiques, la transition d’une fonction du SI à l’autre n’est pas toujours perçue comme attendu. Par ailleurs, les acteurs impliqués (managers et utilisateurs) ont tendance à voir dans le nouveau SI la cause de ces changements (dont ils ne perçoivent pas tous l’intérêt à cause de la différence de perception de la portée de l’outil, plus particulièrement, de son esprit) et non l’occasion d’apporter des changements voulus à la structure de l’organisation. Cette subtilité dans la perception des acteurs du rôle d’un SI entre cause du changement et occasion ou opportunité d’apporter le changement voulu à l’organisation, fait naître chez les acteurs des réticences et une certaine appréhension vis-à-vis du système.

Ainsi, nous remarquons que les différences dans l’appréhension du rôle et des fonctions du SI dans l’organisation est une première source de conflit et de perte d’efficacité au sein des entreprises. Dans certaines entreprises, le pilotage de l’activité via les SI est considéré comme une source de structure de l’entité en question. Les indicateurs qui en résultent ont dans ce cas une double dimension : cognitive et normative. En effet, le pilotage et le contrôle mensuels, par exemple sur la base d’un tableau de bord d’indicateurs, permet aux acteurs de prendre conscience de leur situation actuelle (à travers la performance réalisée) et de celle vers laquelle ils veulent aller (à travers des objectifs cibles à atteindre). Cette source de structure (ou propriété structurelle selon la terminologie de Giddens, 1984) présente pour les acteurs à la fois une ressource (une motivation, un objectif à atteindre…) et une contrainte à leur action (cadrage et contrôle de leurs actions, obligation d’atteinte des objectifs…). Elle est ainsi utilisée comme une action d’accompagnement du changement. De ce fait, le pilotage et le contrôle de l’organisation n’est pas un résultat de l’institutionnalisation des interactions entre les acteurs et les propriétés structurelles de l’entreprise, mais une des propriétés structurelles identifiées comme critiques à la réussite du déploiement d’un SI. Un SI devrait être pensé à la base dans une perspective utilisateur ; intégrant

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l’ensemble des fonctions qui facilitent le travail et l’atteinte des objectifs de cet utilisateur. En effet l’apport du pilotage à la structuration des équipes dotées d’un SI est reconnu par les acteurs de ces équipes et même réclamé (un utilisateur qui n’a pas reçu le dernier tableau de bord suite à un retard de production, dit « manquer de repères chiffrés »).

L’analyse du rôle du SI dans le pilotage, le contrôle et la coordination d’une organisation ne peut se faire d’une manière isolée des autres propriétés structurelles de l’organisation et de leur interaction avec les acteurs. Le besoin de ces derniers en termes de suivi des évolutions du SI dans le temps et d’être informés des objectifs qui leur sont liés devient une nécessité.

1.2 Multitude des SI provocant un décalage par rapport aux fonctions de contrôle, pilotage et