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Après avoir répondu aux questions ontologiques et épistémologiques, nous nous tournons à présent à la question méthodologique en précisant notre méthode d’approche de la réalité sociale étudiée, autrement dit « comment je cherche ? » (Charreire Petit et Durieux, 2007). Notre réponse est contrainte et dépend logiquement des deux premières (Guba et Lincoln, 1994). Nous déclinons la présentation de notre positionnement méthodologique en précisant le type de raisonnement adopté, puis la méthode de recherche utilisée.

1.2.1 Choix d’une approche déductive

La méthodologie de recherche est l’ensemble des « démarches générales structurées qui

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va analyser, découvrir, décrypter un phénomène » (Hlady-Rispal, 2002, p.26). Il existe deux

grands processus de construction des connaissances, l’exploration et le test (Charreire Petit et Durieux, 2007) L’exploration incite le chercheur à la découverte de résultats théoriques novateurs, alors que le test cherche à mettre à l’épreuve la réalité d’un objet théorique. Ces deux logiques répondent à deux types de raisonnement, l’induction et la déduction.

La volonté de faire émerger du terrain des éléments nous permettant de discuter les SI dans les organisations en mobilisant la sociomatérialité faible comme cadre théorique, inscrit notre recherche dans une démarche exploratoire. Cette démarche a pour but tout d’abord de comprendre et d’analyser en profondeur l’interaction du SI avec les processus sociaux au sein des organisations où des facteurs organisationnels façonnent l'utilisation de ces systèmes. Ensuite, elle permettra d’analyser les implications de ces systèmes dans les organisations ; à travers leurs nombreux rôles et pratiques organisationnelles.

D’après Evrard, Pras et Roux (2000, p.23), « L’étude exploratoire est utile dans deux contextes :

l’exploration d’un problème vague afin de déterminer un certain nombre de propositions plus précises, d’hypothèses spécifiques ; et la compréhension d’un phénomène et son analyse en profondeur, avec toutes ses subtilités, ce que ne permettrait pas forcément une étude plus formalisée ». Ceci rejoint d’ailleurs les propos de Caumont (1998, p.36) lorsqu’il précise que

l’objectif d’une recherche exploratoire consiste : « d’abord de mettre en évidence et ensuite de

permettre de comprendre en profondeur, et de manière assez détaillée, une situation, un comportement, un système d’opinions, etc., qui sont mal connus au moment où le problème est posé ».

A l’instar de ces deux extraits, nous pouvons constater, de prime abord, que la visée exploratoire et la compréhension d’un phénomène complexe ne sont d’ailleurs pas dissociables. Comme nous avons eu l’occasion de le préciser dans le paragraphe qui traite de la clarification du positionnement épistémologique de notre thèse, le caractère complexe du phénomène de l’imbrication des structures matérielles et des structures sociales dans les organisations renvoyait à plusieurs aspects en même temps : aspects organisationnel et structurel, aspect social, aspect interactionnel et aspect technologique. Complexe, car ladite imbrication dépend des fonctions de la performativité, de la matérialité du SI et des pratiques des hommes face à la technologie. Dans notre travail, nous nous appuyons sur les développements intellectuels récents qui remettent en question la notion d'une définition unique ou statique de la technologie, et qui proposent une

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réflexion en termes de matérialité. Le large scope de la sociomatérialité représente une opportunité pour une re-conceptualisation de la réflexion sur la façon dont les technologies comme artefacts discrets influencent les humains, et à examiner comment les actions et les relations sont matériellement constituées en pratique, et donc sociomatérielles dans la nature.

C’est ainsi que l’ambition d’explorer la place des SI dans les organisations voire de comprendre, en profondeur, comment l’imbrication des structures matérielles et des structures sociales contribue aux fonctions du SI dans les organisations, explique raisonnablement le choix de la démarche exploratoire au regard de notre recherche. Cette démarche se déroulera en deux phases : une première phase basée sur dix entretiens semi-directifs exploratoires et une deuxième phase reposant sur une analyse processuelle d’un SI de ventes (Odex). Ceci nous permet, in fine, de mettre en exergue de nouvelles portées sous forme de « clefs de compréhension » pouvant contribuer à faire progresser notre connaissance du rôle du SI dans les organisations en utilisant la sociomatérialité comme grille de lecture.

Toutefois, la qualité d’une recherche exploratoire dépend nécessairement de deux éléments complémentaires, au sens de De Ketele et Roegiers (1996), à savoir la « créativité » et la « rigueur ». Ainsi, une telle combinaison : « peut cependant se faire dans des proportions très variables : il

peut y avoir des recherches exploratoires très libres, d’autres au contraire s’appuient sur des plans expérimentaux très rigoureux. Elle est essentiellement au service de la recherche expérimentale, que ce soit la recherche scientifique ou la recherche technologique. Inversement, toute recherche peut également avoir une fonction exploratoire, c'est-à-dire qu’elle peut faire émerger d’autres hypothèses qu’il faudra vérifier par la suite » (De Ketele et Roegiers, 1996,

p.102). C’est d’ailleurs ce que Evrard, Pras et Roux (2000, p.24) veulent dire en notant que : « ces

recherches ne sont pas seulement des préalables à d’autres études mais peuvent former en elles-mêmes un tout ».

Notre méthodologie de recherche s’apparente à une démarche déductive. En effet, nous nous servons de la sociomatérialité comme cadre théorique afin de comprendre et d’analyser l’imbrication entre le social et le matériel dans le terrain étudié ; en partant de propositions posées au préalable.

La déduction suppose que le chercheur pose à priori la proposition d’une relation entre différentes variables, et l’applique ensuite à l’étude d’un certain nombre d’observations empiriques. Elle

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consiste à tirer une conséquence à partir d’une règle générale et d’une observation empirique (David, Hatchuel, Laufer, 2012).

En fait, la logique déductive « se caractérise par le fait que, si les hypothèses formulées

initialement (prémisses) sont vraies, alors la conclusion doit nécessairement être vraie […] »

(Charreire et Durieux, 1999, p.59).

1.2.2 Une méthode de recherche qualitative

Compte tenu de notre positionnement paradigmatique et de notre cadre théorique, il nous semble naturel de travailler à partir de données qualitatives.

Allard-Poesi (2015) indique que la recherche qualitative est souvent rabattue à une voie principale qui se définirait par un design d’études de cas, le recours à des données de discours (entretiens, documents), au détriment des données d’observation et de conversations spontanées entre les acteurs (naturally occuring talk, Silverman, 2006), et ce, alors même que ce sont les actions et pratiques des acteurs, dans leur contexte, que l’on souhaite étudier (Rouleau et Balogun, 2010). Certes, l’observation ou l’enregistrement de conversations ne sont pas toujours possibles mais le recours privilégié à ces données d’entretiens ne va pas sans poser question quant à la nature des discours collectés. Baumard et Ibert (2014, p.109) soulignent ainsi, suivant Stablein (2006), que les données sont des représentations qui permettent de maintenir une relation entre réalité empirique et système symbolique, entre monde « réel » et monde théorique. Concrètement, les données sont des extractions de la réalité sociale réalisées par un chercheur et ne peuvent donc prétendre l’embrasser (Allard-Poesi, 2015). En ce qu’elles dépendent de l’instrumentation qui aura permis de les collecter (une échelle de mesure dans la recherche quantitative, une grille d’observation, d’entretien, une méthode de retranscription de réunion dans la recherche qualitative), instrumentation dépendante elle-même de la problématique de recherche mais également de ses fondements théoriques et épistémologiques, ces données ne peuvent être considérées comme des reflets du réel étudié (Allard-Poesi, 2015). Soulignant la perméabilité des données aux choix théoriques du chercheur, Quatrone et Hopper (2005) les définissent comme des « deplations » (néologisme formé des termes description et explication), montrant par-là que les données contiennent toujours en eux-mêmes des germes d’explication.

Miles et Huberman (1991, p.11) soulignent que les données qualitatives sont séduisantes car elles « permettent des descriptions et des explications riches et solidement fondées de processus ancrés

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sont aujourd’hui largement acceptées par le champ des SI, notamment du fait des travaux de Walsham (1995) ou de Klein et Myers (1999) qui ont posé des principes précis de méthode et de validité23.

Notre étude empirique ; se servant de la sociomatérialité comme grille de lecture ; mobilise l’approche qualitative. Selon Dumez (2010, p.12) « en recherche qualitative […] il convient de

rechercher avec ténacité le mécanisme de liaison étroite entre cadre théorique et matériau empirique, ce mécanisme seul permettant une réelle discussion scientifique ».

Le recours à une démarche qualitative dans l’étude de l’imbrication des structures matérielles et des structures sociales permettant de prendre en compte cette relation dans sa globalité nous parait nécessaire. Eisenhardt (1989) souligne par ailleurs l’intérêt d’une méthode quantitative pour mettre en évidence une relation, mais le nécessaire recours à une démarche qualitative pour expliquer cette relation. Une approche qualitative, non réduite à la seule dimension technologie ou organisation, nous est donc apparue nécessaire pour l’explicitation de cette imbrication.

Une étude qualitative dans le cadre de la sociomatérialité offre une approche intéressante pour réfléchir et analyser différemment des problématiques précédemment considérées séparément (Scott & Orlikowski, 2014). En s’appuyant sur ce cadre théorique qui considère l’imbrication entre le social et le matériel, la rationalité et la performativité, nous sommes amenés à poser les questions du comment et quand les SI font une différence dans une vie organisationnelle ? Notre analyse inclut une compréhension particulière de la matérialité qui offre différents termes de référence pour l'étude des pratiques.

Après avoir clarifié notre positionnement de recherche nous allons procéder désormais à l’analyse de notre « stratégie d’accès au réel » (Wacheux, 1996).

1.2.3 Choix de l’étude de cas comme stratégie de recherche : démarche et implications méthodologiques

Nous adoptons une méthode de recherche qualitative se traduisant par une étude de cas.

L’étude de cas est souvent appréhendée par les travaux en sciences sociales en général, et en sciences de gestion en particulier, comme une stratégie de recherche à part entière (Eisenhardt, 1989). Sa légitimité et son intérêt scientifique ne sont plus à démontrer (Yin, 1989, 2003 ; Denzin

23 Leclerc (2008) nous rappelle combien les méthodologies quantitatives, souvent utilisées dans une approche positiviste, ont dominé la recherche en SI. Nous reprendrons le chiffre de Reix et Fallery (1996) qui considère que 80% de la recherche en SI est positiviste, ce qui laisse envisager au lecteur la quantité d’articles élaborés sur des méthodologies quantitatives.

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et Lincoln, 1994 ; Stake, 1998). Toutefois, comme toute démarche de recherche, pour peu que l’on ne respecte pas ses principes et ses critères de validité, l’étude de cas peut rapidement devenir un piège pour le chercheur. En effet, avec son ouverture aux méthodes de recherche diverses et variées, sa souplesse apparente et la masse d’informations spécifiques qu’elle manipule et qu’elle produit, l’étude de cas risque de rendre le travail d’analyse et notamment de remontée en généralité, nécessaire à toute démarche scientifique, délicat à réaliser (David, 2004).

Aussi, nous revenons dans cette partie sur la démarche de l’étude de cas, sa typologie, ses apports et ses limites, avant d’examiner dans un deuxième temps le type d’étude de cas le plus pertinent pour notre problématique de recherche, et d’en extraire les implications méthodologiques à appliquer pour la suite de l’analyse.