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1.1 Développement durable

1.1.1 Mise en contexte et Rapport Brundtland

Les avancées de la mondialisation et la crise économique qui les a précédées marquent un point tournant dans la manière de penser et de théoriser le développement. À partir des années 1970, avec l’achèvement des trente glorieuses et la montée des critiques à l’égard du mode de développement industriel consumériste, le Nord perd peu à peu son autorité de modèle tandis qu’il contraint les pays du Sud à des programmes d’ajustement structurel aux conséquences lourdes pour les populations. Tant la chute du bloc communiste, l’intégration croissante des économies nationales à l’économie mondiale que les discours des institutions de la mondialisation proposent une nouvelle avenue de développement axée sur la libéralisation des échanges, la privatisation de services publics et l’implantation de mesures facilitant différentes formes de déréglementation. L’idéologie de la mondialisation envisage une uniformisation des modes de vie et discrédite l’idée de modèles nationaux de développement, tout en assumant une spécialisation des productions nationales source d’une interdépendance sanctionnée par la thèse des avantages comparatifs (Gendron, 2004 : 4)1.

Les éléments contextuels et conjoncturels résumés par Corinne Gendron sont au cœur d’un processus qui, des travaux du Club de Rome au début des années 1970 à la tenue de grands évènements, telle la Commission mondiale sur l’environnement et le développement au milieu des années 1980, ont contribué à l’émergence d’une réflexion sur le développement durable. En effet, cette commission fut créée en 1983 lors de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies afin de remédier en partie à l’échec de la Conférence des Nations unies sur l’environnement de Nairobi de 1982. Présidée par Mme Gro Harlem Brundtland, la Commission des Nations unies sur l’environnement et le développement est issue d’une large consultation auprès de plusieurs pays dans le monde. Le Rapport Brundtland, intitulé Notre avenir à tous, est publié en 1987. Ce document présente tant les principaux problèmes internationaux sur les plans social, environnemental et économique que leurs interconnexions; et suggère des orientations afin de résoudre les problèmes urgents.

1 Corinne Gendron, 2001, « Émergence de nouveaux mouvements sociaux économiques ». Paris : Revue

Pour, No 172 (décembre), pp.175-181, cité dans Corinne Gendron et Christianne Gagnon, 2004, « Développement durable et économie sociale : convergences et articulations ». Cahiers de l’ARUC-ÉS, no R-17-2004, p.4.

Comme défini dans le Rapport Brundtland (1987), le concept de développement durable avance l’hypothèse qu’il est rendu possible de concilier des objectifs économiques et sociaux tout en ménageant les ressources naturelles des écosystèmes de la planète. Par développement durable, les auteurs du rapport entendent :

Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. […] Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir (CMED, 1987 : 51).

Bien que le rapport Brundtland ait donné une impulsion remarquable à la façon de penser le développement, le traitement de la notion de développement durable a précédé ce dernier rapport. Déjà, des précurseurs avançaient de nouvelles réflexions sur l’environnement. On pense à Ignacy Sachs qui fonda, en 1973, le Centre international de recherche sur l'environnement et le développement duquel il publia le bulletin Nouvelles de l’éco- développement, les Cahiers de l’éco-développement (1974) et le livre Stratégies de l’éco- développement (1980). Mais aussi Ernst Friedrich Schumacher qui travailla sur les questions de la décentralisation dans Small is beautiful : une société à la mesure de l’homme (1973). Plusieurs auteurs indiquaient, dès les années 1970, que le développement ne pouvait se réaliser sans intégrer la dimension environnementale. Parmi eux, nous retrouvons Commoner (1972) qui a travaillé sur les ressources renouvelables et les technologies douces, Pierre Dansereau (1973) avec La terre des hommes et le paysage intérieur, et enfin, Herman Daly qui a travaillé sur le concept de l’économie stationnaire qui mettait sur la table l’exigence d’un modèle de développement durable ou soutenable. Jusqu’à ce jour, nombre d’acteurs et d’intellectuels se sont approprié le terme en fonction de leurs intérêts et de leur vision du développement.

Il demeure que le Rapport Brundtland propose une vision globale et articulée d’un équilibre possible entre les dimensions environnementale, sociale et économique du développement.

Cette vision normative fait le postulat que nous n’avons d’autre choix que d’agir pour les générations futures et de consentir les efforts nécessaires pour modifier les façons de produire de la croissance économique.

Cette proposition normative donne lieu à une littérature abondante. Dès 1989, John Pezzey, de la Banque Mondiale, ne recensait pas moins de 37 définitions de ce que l’on pourrait entendre par développement durable. C’est ainsi qu’un débat prend place sur le sens profond à donner au rapport à définir entre « économie » et « environnement ». À l’idée de durabilité s’ajoutent d’autres qualificatifs, tels ceux de « viabilité » ou de « soutenabilité », lesquels prennent des sens plus ou moins complémentaires ou critiques par rapport à l’idée première proposée par le rapport Brundtland.

L’adjonction des qualificatifs durable, ou viable, peut donc être vue comme (...) un ajustement à la marge, une tentative d’internalisation des anomalies du paradigme dominant; ou, au contraire, le concept de « développement durable » peut être vu comme un nouveau paradigme du développement, en rupture épistémologique avec l’ancien et candidat à la prochaine révolution scientifique au sens de Kuhn ou témoin de l’émergence d’une nouvelle vision du monde au sens de Lipietz (Gendron et Revérêt, 2000 : 115-116).

Depuis 1987, le débat persiste sur la façon de concevoir le rapport entre « développement et environnement ». Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de définition qui fasse consensus. Pour guider notre réflexion, nous nous en tiendrons aux travaux présentés par des auteurs spécialisés sur la question qui présente une vision du développement durable qui permet de bien étudier la façon dont ce type de développement est pris en compte par certaines entreprises de l’économie sociale.

1.1.2 Une lecture du développement durable à l’interface de la théorie québécoise de