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CHAPITRE 2. Le réseau relationnel de l’entrepreneur et cadre théorique

3.2. Epoque coloniale française

3.2.2. Milieu urbain

Pendant la colonisation, le Vietnam a été le cœur actif de l’Indochine. Son milieu urbain connait une modernisation galopante.

Pierre Brocheux aborde, dans plusieurs de ses livres , la question des transformations au Vietnam pendant cette période : « Le capitalisme français, les techniques et la culture occidentale moderne déterminèrent la recomposition des sociétés indochinoises mais à des degrés divers, le Viet Nam fut le théâtre principal des transformations parce que son organisation sociale, culturelle et politique « avancée » la rendit plus perméable et réceptive à la civilisation européenne » . Ces changements ont lieu principalement dans les milieux urbains.

3.2.2.1. Les activités économiques en Indochine

Patrice Morlat résume le poids économique de l’Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge): « L’Indochine des années vingt répond à bon nombre des espoirs de la

métropole. Sur le plan économique, elle sert de base au placement de capitaux, en une période de spéculation sur le franc. De 1924 à 1928, plus de 450 millions de francs-or y sont investis, rapportant des plus-values bancaires exceptionnelles. Dans le même temps, un sérieux coup de pouce est apporté à la production. Celle du riz passe de 1,18 million de tonnes à 1,7 million, celle du maïs de 8 800 tonnes à 64 700, celle du teck de 4 000 tonnes à 14 000, celle du caoutchouc de 2 000 tonnes à 13 000, enfin celle de la houille monte à 1 235 000 tonnes. Il est possible d’estimer,

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pour une période allant de 1896 à 1928, l’apport financier total de l’Indochine à la métropole (excédent commercial, contributions budgétaires, intérêts des emprunts et plus-values des capitaux investis) à 3,156 milliards de francs-or, soit 54,280 milliards actuels » .

L’Indochine, d’abord simple enjeu stratégique, maritime et commercial, se métamorphose en une terre d’opportunités d’affaires (Huber Bonin, préface de Morlat, 2016 ). Les entreprises françaises « tirent parti bien évidemment de la «mise

en valeur » des ressources indochinoises : caoutchouc, riz, charbon, denrées agricoles, produits de la mer, etc. C’est une « petite Inde » qui se bâtit, beaucoup moins « riche » que la péninsule indienne, à coup sûr, mais bel et bien dynamique, diversifiée et portée par une croissance soutenue, quels que soient les aléas causés par la Première Guerre mondiale ou des tensions vécues en Chine toute proche dans les années 1920-1930. Des groupes industriels, commerciaux et financiers, à l’échelle de l’époque, se sont structurées, bien connus, mais désormais présentés dans toutes leurs connections et ramifications » (Huber Bonin, préface de Morlat,

2016).

3.2.2.2. Les entreprises françaises

Il existe 26 entreprises européennes travaillant essentiellement au Vietnam en 1900. Ce chiffre passe à 78 en 1912 selon Gilles de Gantès . Selon Morlat (2016), « en

1926, l’annuaire économique de l’Indochine brosse un tableau complet des entreprises françaises établies dans l’Union [indochinoise], et cela par branches spécialisées. L’annuaire répertorie 1742 sociétés, maisons familiales, concessions, entreprises artisanales, commerces, et professions libérales ».

Les banques et les compagnies foncières ou immobilières jouent un rôle important dans ce monde des affaires local. « Il existe, en dehors du Crédit foncier de

l’Indochine, qui a un statut un peu à part, sept compagnies foncières, ou immobilières. Une trentaine de sociétés immobilières, et de prêts hypothécaires viennent s’y ajouter. Il convient d’ajouter le Crédit foncier d’Extrême-Orient, présent aussi dans la colonie. On trouve en plus sept institut bancaires ou sociétés financières françaises ».

106 L’agriculture est un secteur où les Français sont très présents, avec 548 concessions accordées à des sociétés françaises. Les autres secteurs sont les mines, la petite métallurgie, la construction, le transport indochinois sur eau et sur terre, et tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne.

Dans le monde des affaires en Indochine, il y a peu de Vietnamiens (des Indochinois). Il y a eu un rendez-vous manqué entre les Français et les Indochinois.

« […] peu d’hommes [indochinois] ont été promus au rang de responsables réels, au sein d’un système « coopératif » de cogestion de ces territoires indochinois ». « On aura donc ici une Indochine sans Indochinois, celle du monde des affaires locales et métropolitain » (Hubert Bonin, préface de Morlat, 2016). Hubert Bonin et Patrice

Morlat appartiennent « à cette petite communauté de chercheurs et écrivains «

humanistes », c’est-à-dire ceux qui imaginent, pensent ou croient que la construction d’une économie moderne outre-mer, et notamment en Indochine, aurait pu bénéficier du potentiel d’élites, même à un niveau de « classe moyennes », dans les structures des entreprises notamment » (Hubert Bonin, préface de Morlat, 2016).

3.2.2.3. Les entreprises chinoises

Selon Morlat (2016), les Chinois immigrés au Vietnam jouent un rôle important notamment dans le commerce. Ils développent toutes sortes d’activités de négoce au Vietnam mais aussi au Cambodge.

Les Chinois sont spécialisés dans la chaîne du riz. Ils ont de nombreuses rizeries. Ils sont également présents dans le commerce de la cannelle, des noix d’arec, du sucre. Ils achètent les thés de l’Annam, ils sont implantés dans les fabriques d’alcool indigènes, exportent et vendent cet alcool dans l’Union, mais aussi en dehors. Ils sont en concurrence avec les Français pour le maïs. Ils font commerce avec le charbon.

En 1927, le commerce annamite avec Hong Kong, tenu par les Chinois, représente plus de 65% de l’ensemble du négoce du Trung Ky (le Centre). Les Chinois ne vendent pas uniquement en Chine mais ils jouent également un rôle dans le négoce intérieur de l’Indochine, en commerçant avec Saigon (le Sud), et avec le Tonkin (le Nord), notamment dans le secteur du riz où ils détiennent un quasi-monopole de fait.

107 3.2.2.4. Les entreprises vietnamiennes

Le développement du transport, la croissance de l’économie monétarisée et l’élargissement des concessions agricoles ont facilité la naissance des entreprises tenues par des Vietnamiens à la première moitié du XXème siècle. Ces personnes sont désignées souvent sous le nom de « classe bourgeoise ». Dès la Première Guerre mondiale, on voit apparaître au Tonkin quelques entreprises dans le domaine des travaux publics, du transport maritime et du transport routier. Cette classe sociale se développe pendant la période prospère après la guerre, mais elle se heurte aux intérêts des Français et des Chinois qui empêchent ces Vietnamiens de pénétrer les industries modernes et les grands commerces. Ainsi, la classe bourgeoise vietnamienne ne peut créer que des entreprises de taille moyenne dans les domaines du transport, de l’imprimerie, du commerce de détail et des manufactures comme la filature, le sucre, l’alcool, le riz, les huiles et le savon (Le Thanh Khoi, 2014).

Pierre Gourou (1936) puis Pierre Brocheux (2009) constatent également que les activités commerciales de moyenne et de grande envergure sont majoritairement dans les mains des Chinois ou des Européens.

Les bourgeois vietnamiens, selon Le Thanh Khoi (2014), construisent leur richesse à partir de la terre. Leur fortune se génère tout d’abord par l’exploitation de la terre agricole et le prêt à intérêt aux paysans. Ils ont, sous le régime colonial, le droit de posséder une quantité illimitée de terre, ce qui avait été interdit à l’époque Minh Mang (1820-1841).

La classe bourgeoise vietnamienne semble, alors, vouloir jouer un rôle économique et politique plus important, mais ceci a été refusé par le régime colonial et ses monopoles financiers. « Dans le domaine politique ils n’ont pas de droit aux postes

ayant lien avec le pouvoir et la justice. En économie, les capitalistes étrangers s’emparent des grands commerces et des industries. Les colonialistes français n’ont pas su préparer une classe puissante ayant des intérêts liés aux leurs pour les remplacer lorsque l’occasion viendrait, ils auraient pu ainsi garder l’essentiel, leur avantage économique » (Le Thanh Khoi, 2014, p. 532).

108 3.2.2.5. Le mouvement de réformisme et l’appel pour un esprit

entrepreneurial

Un mouvement moderniste a eu lieu au début du XXème siècle : Dong Kinh Nghia Thuc - Ecole de la juste cause de la Capitale du Nord. Elle revendiqua l’instruction du peuple. ―Nous sommes aujourd’hui trop Français, trop Chinois, nous sommes

doctrinaires éclectiques, nous sommes socialistes autoritaires : nous devons être