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L’époque traditionnelle (jusqu’à l’occupation française en 1858)

CHAPITRE 2. Le réseau relationnel de l’entrepreneur et cadre théorique

3.1. L’époque traditionnelle (jusqu’à l’occupation française en 1858)

A cette époque, c’est le statut social et non pas la richesse économique qui est important pour les habitants. La subsistance de la population est assurée par des paysans propriétaires de petites parcelles de terre. La guerre civile et le commerce avec l’extérieur pendant deux siècles XVIème et XVIIème, malgré leur durée, n’ont pas renversé cet équilibre soutenu par l’Etat dans une doctrine confucéenne.

3.1.1. La production agricole

Le Vietnam est un pays de riziculture. La production du riz se concentre dans les deux deltas, qui hébergent une forte densité de population, notamment le Delta du Fleuve Rouge dans le Nord. Ce Delta du Fleuve Rouge est aussi le berceau de la civilisation vietnamienne.

De dynasties en dynasties, la production agricole est soutenue par le pouvoir central. Le travail agricole exige, à certains moments de l’année, une grande quantité de main d’œuvre. La production est réalisée à l’échelle de la famille et du village. Le village est ainsi au centre de la vie communautaire. Il garde un statut autonome par rapport à la cour, assurant les tâches de production et sécurité. Les autorités

97 centrales, quant à elles, ont le rôle de protection contre les risques majeurs comme les crues des fleuves qui reviennent chaque année, ou la guerre.

La production économique est juste suffisante pour les besoins alimentaires. La population est en croissance or il n’y a pas d’améliorations dans les techniques agricoles. Le pays cherche des solutions dans le défrichement de terres nouvelles et l’expansion du territoire. Au XVIIème siècle, pour combler le manque du riz, de nouvelles denrées alimentaires apparaissent : le maïs, les cacahouètes, les patates douces originaires d’Amérique et venues au pays par la Chine, ou les haricots des Hollandais (Nguyen Thanh Nha, 1970).

Pour fidéliser les paysans à l’exploitation agricole, la politique de possession privée de la terre est appliquée pour une bonne partie des terres cultivables. Les paysans ont leurs propres petits champs. Ils y appliquent des soins comme du jardinage pour obtenir la meilleure productivité avec les moindres moyens financiers (Nguyen Van Huyen, 2016).

Le caractère autarcique est nettement marqué. Il n’existe pas des systèmes de commerce ou de transport. La rubrique 3.2.1.3 décrit plus en détail les activités commerciales.

3.1.2. Les guerres Nord-Sud

Au cours du XVIème et XVIIème siècle, 100 ans de guerre ont eu lieu entre le Nord (Dàng Ngoài, qui deviendra le Tonkin et l’Annam) et le Sud (Dàng Trong, la future Cochinchine). Les familles Trinh et Nguyen prennent un pouvoir importance pour avoir escorté le roi contre les rebelles. Mais ces deux familles deviennent vite rivales. Pour ne pas se mettre sous l’ombre des Trinh, en 1558, Nguyen Hoang, le futur fondateur de la dynastie Nguyen, va conquérir la région méridionale (province de Thuan Hoa). Il y installe son administration seigneuriale, puis élargit son territoire vers le Sud. Les deux seigneuries, qui sont des vrais maîtres malgré la présence du roi, se font de grandes guerres pendant 200 ans de leur existence.

Deux événements économiques marquants liés à la guerre ont eu lieu. Ce sont : l’expansion agricole sur des vastes nouvelles superficies cultivables à Dang Trong

98 (la marche vers le Sud), et les commerces extérieurs par voie maritime via les ports Van Don, Phô Yên (Pho Hien) et Faifo (Hoi An).

La marche vers le Sud, un mouvement multiséculaire, donne lieu au défrichement des terres nouvelles. Les autorités emploient des migrants chinois, tantôt comme soldats d’avant-garde, tantôt comme défricheurs, leur accordant des conditions d’impôt et d’appropriation préférentielles. Les défricheurs chinois vont devenir des grands propriétaires de terre et vont soutenir le roi Nguyen Gia Long pour prendre le trône en 1801. Les communautés chinoises allaient gérer de nombreuses activités commerciales notamment les marchés du riz.

Les guerres Nord – Sud ne sont pas sans lien avec le commerce extérieur et la production artisanale. Ces développements sont expliqués ci-dessous.

3.1.3. L’artisanat et le commerce extérieur

Au XVIIème siècle, pour l’Europe, l’Orient fait partie des circuits commerciaux. Il s’agit d’une des formes de la globalisation, dont les premières remontent aux voyages de découverte faits par les Européens au XVème siècle. En ce qui concerne le Dai Viet (le nom du Vietnam à l’époque), les produits principaux de ces commerces furent la soie, l’argent et plus tard, la céramique.

Ces produits proviennent de l’activité artisanale, une tradition de la riziculture. Le calendrier agricole a des périodes creuses, les paysans utilisent ces temps libres pour des activités secondaires.

Au XVIIème siècle, l’artisanat a connu une grande croissance. Il s’agit de métiers à part entière. La production est plus organisée. Plusieurs familles travaillent sur un produit, chacune étant chargée d’une tâche dans le processus. Le travail dépasse le niveau familial mais reste toujours au niveau du village. (Nguyen Thanh Nha, Tableau économique au Vietnam du XVIIème et XVIIIème siècles, Paris, Editions Cujas, 1970, p. 104, cité par Le Thanh Khoi, 2014, p. 170).

La croissance de l’artisanat est due à l’augmentation de certaines demandes locales, par exemple celles du papier grâce à l’écriture nouvelle de la littérature ordinaire en caractère démotique . Mais cette croissance est due aussi à la participation du

99 Vietnam aux circuits d’échange régionaux et mondiaux de cette époque. Hoang Anh Tuan, dans son livre Le commerce mondial et l’intégration du Vietnam aux XVIème et XVIIème siècles, Editions de l’Université Nationale du Vietnam, 2017, explique cette participation.

A Dang Trong, sous la dynastie Nguyen, Faifo (Hoi An) est construit et devient un grand port avec l’implantation des compagnies commerciales néerlandaises anglaises et françaises. A Dang Ngoai, l’ouverture à l’extérieur se fait plus tard. Mais l’ouverture aux commerçants étrangers est maintenue pendant les 8 premières décennies du XVIIème siècle.

Autant au Nord qu’au Sud, les rois ont besoin d’argent et d’armes pour mener leur guerre civile. Cette ouverture a sauvé le pays des crises économiques qui normalement ravagent les pays en guerre.

Cette plongée dans les mouvements commerciaux mondiaux ne fut pas liée aux progrès économiques ou productifs, elle s’éteignit sans laisser d’influence significative à la fin du XVIIème siècle. Deux raisons principales sont présentées, l’une du côté de la Cour, l’autre au niveau international. Du côté de la Cour, la volonté d’ouverture ne vient pas d’une quête de richesse mais des contraintes de la guerre. Selon l’auteur Hoang Anh Tuan, les relations entre la cour et son partenaire principal, la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, se dégradent vite après l’an 1672, moment où la guerre prend fin. Du côté international, les échanges se ralentissent lorsque la soie de Dang Ngoai n’est plus concurrentielle par rapport à celle du Bengale (Inde) et la céramique est moins recherchée face aux produits chinois. Dans les circuits mondiaux, au début du XVIIIème siècle, le commerce de la soie est remplacé par celui du thé, de la céramique et du café. Le Dai Viet y tient une faible place. De plus, Faifo (Hoi An) va être détruit par les rebelles de Tay Son. Le commerce bicentenaire arrive à sa fin.

Le Thanh Khoi (2014) avance une autre explication sur ce développement raté. Pour l’auteur, les vrais patrons de ces systèmes sont les marchands Chinois et Japonais. Le prêtre Borri, venu à Dai Viet en 1618 en témoigna : « Les [marchands] Chinois et les Japonais [qui ont installé des comptoirs dans ce port prospères] sont ceux qui prennent des parts principales dans le commerce à Dang Trong » (Les Européens

100 qui ont vu le vieux Hué: Cristofori Borri, 7-12, 1931, cité par Le Thanh Khoi, p. 332). En plus, le profit obtenu est accaparé par la Cour et ses mandarins. A Dang Trong comme à Dang Ngoai, les européens doivent vendre en premier lieu aux rois, et seulement ensuite aux mandarins, et les restes à la population. Les achats, de la soie à Dang Ngoai et du poivre à Dang Trong, sont soumis, aussi, aux mêmes contraintes de la Cour.

Par conséquent, les commerçants et les artisans n’ont pas de ressources financières suffisantes pour assurer l’augmentation de la production. A la fin du XVIIème siècle, l’explorateur William Dampier note : « ce pays est si pauvre que les commerçants (européens) doivent attendre trois ou quatre mois, après avoir payé, pour pouvoir recevoir les marchandises, car les pauvres artisans ne peuvent travailler que s’il y a un bateau pour avoir une avance pour procéder à la production » (Dampier, Un voyage au Tonkin en 1688, cité par Le Thanh Khoi, 2014, p. 332)

Pourtant une évolution politique dans le Nord comme dans le Sud a eu lieu : la désacralisation de la monarchie et le desserrement du carcan idéologique confucéen.

3.1.4. Le manque à gagner d’un changement radical

Pour Nguyen Thanh Nha (1970), des mouvements économiques ont eu lieu au Vietnam à la fin de l’époque traditionnelle. Le pays est à un point similaire à la société japonaise avant l’épanouissement de Meiji et est prêt pour un changement radical. Pourtant le changement n’a pas eu lieu.

Les Rois successifs considèrent que comme sur un arbre, l’agriculture est la racine et le commerce les branches. Le commerce est considéré comme l’activité la plus vile de l’activité humaine. Ils prennent des décisions politiques sur la gestion de la terre ou des impôts pour « nuoi goc » (cultiver les racines) et « chat ngon » (affaiblir les branches). Dans la hiérarchie sociale, les commerçants sont classés au dernier rang, les trois précédents étant, dans l’ordre prioritaire, les mandarins et lettrés, les paysans et les artisans.

Les rares commerçants et artisans Vietnamiens, une fois avoir construit leur fortune, ne se précipitent pas pour investir dans nouvelles affaires. Ils achètent des parcelles

101 agricoles, car la notion de propriété leur permet d’obtenir une position favorable dans la société. Il n’y a pas une régénération productive et une accumulation du capital. Ces commerçants et artisans n’orientent pas leurs enfants vers la poursuite du métier de la famille, mais les incitent à faire des études pour entrer dans l’administration.

Enfin, le pouvoir d’achat est trop faible pour favoriser les activités économiques sur une plus large échelle.

Le Thanh Khoi (2014) explique cette stagnation par l’éducation et la concentration du pouvoir. Pour l’auteur, l’éducation traditionnelle est toujours capable de générer des hommes extraordinairement cultivés, des juges impartiaux et des gouverneurs habiles, mais quand l’administration bureaucratique se sclérose, l’éducation est détériorée. L’éducation ne sert qu’une voie directe pour intégrer la Cour. En dehors de cette situation, le pouvoir politique est extrêmement fort. Ce pouvoir permet aux autorités de maintenir le contrôle dans la société, en accord avec la doctrine confucéenne.

L’historien souligne que la Cour cherche à maintenir pour la population un principe d’austérité, ce qui correspond toujours aux principes d’une pensée confucéenne. (Le Thanh Khoi, 2014, p.458)

Pour Le Thanh Khoi, il est surprenant que le régime traditionnel mette en valeur les lettrés, qui ne produisent pas, et les place au sommet de la hiérarchie sociale, devant les paysans, les artisans et les commerçants. Cette hiérarchie met en priorité une situation sociale des individus plutôt que qu’un rôle économique. (Le Thanh Khoi, 2014, p. 443)