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Les visions socialisées de l’entrepreneur

CHAPITRE 2. Le réseau relationnel de l’entrepreneur et cadre théorique

2.2. Les visions socialisées de l’entrepreneur

Ces visions socialisées apparaissent dans la théorie de l’« encastrement social » proposée par Granovetter (1985 ; 2007), acteur de la nouvelle sociologie économique américaine (NES).

La notion de consistance sociale de l’entrepreneur est l’approche sociologique proposée par Zalio (2004). L’auteur présente cette notion dans une revue de la littérature de la sociologie économique française depuis les fondateurs Max Weber et Emile Duckheim. Cette sociologie économique française suit de près la dynamique de l’entreprise, mettant l’entrepreneur au milieu de son terrain d’observation.

Une autre théorie qui s’interrompt avec l’esprit néo-classique est celle de l’économiste Sarasvathy (2001), la théorie effectuale. C’est une théorie de l’action dans laquelle l’entrepreneur est considéré comme agissant en réponse à des contingences et non par un principe de planification préalable. Il est néanmoins remarqué que cette théorie ne fournit pas un cadre susceptible d’observer l’entrepreneur dans son contexte social et même son contexte économique.

2.2.1. L’encastrement de l’entrepreneur (Granovetter, 1985 ; 2007)

Le programme de sociologie économique de Mark Granovetter s’organise autour de trois propositions principales :

- Contrairement à ce que considère la théorie économique standard, les actions humaines, notamment économiques, ne sont pas sous-socialisées et atomisées

- Les actions de l’entrepreneur ne sont pas non plus sur-socialisées, mais encadrées dans des réseaux de relations personnelles

71 - Sur le marché, la poursuite d’objectifs économiques par les acteurs s’accompagne également de la poursuite d’objectifs non économiques, tels que la sociabilité, la reconnaissance sociale, le statut et le pouvoir

L’auteur explique: ―Actors do not behave or decide as atoms outside a social context,

nor do they adhere slavishly to a script written for them by the particular intersection of social categories that they happen to occupy. Their attempts at purposive action are instead embedded in concrete, ongoing systems of social relations‖.

(Granovetter, 1985)

L’encastrement social d’une personne est ainsi défini comme l’influence des systèmes courants et concrets des relations sociales de cette personne sur ses comportements.

L’objectif de Granovetter est d’installer une théorie de l’analyse des réseaux sociaux. Il l’explicite dans son Introduction for the French reader (Granovetter, 2007) : « we placed our hope for the success of theory on what we took to be the far more concrete and real analysis of social networks. In doing so, we meant […] to restore to a central place in theory the action of individual and how those linked to the actions of others”.

L’encastrement selon Granovetter « rend compte de l’insertion des actions

économiques dans des réseaux sociaux, qu’il convient de cerner à partir des relations personnelles et des structures de celles-ci. Il s’agit d’étayage sur des réseaux sociaux qui peuvent, par exemple, expliquer l’itinéraire suivi par des entreprises dans leur développement, certains choix techniques renvoyant à des relations de confiance entre responsables d’entreprises et experts ». (Laville, 2008)

2.2.2. La consistance sociale de l’entrepreneur et de son entreprise

Selon Zalio (2004), la sociologie passe d’une sociologie de l’entreprise où l’accent est mis successivement sur le travail, l’organisation et l’institution sociale à une sociologie économique des entrepreneurs. Le développement de la sociologie économique et les effets sur la connaissance sociologique de la réorganisation du capitalisme pourraient marquer une nouvelle inflexion où la sociologie regarde

72 l’entreprise à travers une de ses figures majeures, longtemps négligées : l’entrepreneur.

« Sociologie économique, entrepreneur, deux inflexions de l’analyse dont il convient de rendre compte ».

Du côté de la sociologie, depuis des années 1970 aux Etats-Unis, la nouvelle sociologie économique se développe, mettant au cœur de sa recherche les activités sociologiques spécifiques qui sont activités économiques. Le phénomène est entré en France avec de nombreuses traductions, des publications originales et des numéros de revue spéciaux. Le phénomène s’épaule avec la tradition française de sociologie économique et des nombreuses recherches dans des champs disciplinaires existants. Cependant, l’économie sociologique anglo-saxonne se nourrit des recherches en économie, en management et en science des organisations, alors que la sociologie économique française se construit sur l’étude de la construction sociale des marchés, des institutions marchandes ou des réseaux. L’entreprise y occupe encore une place relativement faible. Zalio (2004) souligne l’intérêt d’une perspective de sociologie économique de distinguer, à la lumière d’une lecture critique des théories économiques, ce qui peut constituer le socle d’une sociologie de l’entrepreneur distincte d’une simple sociologie du marché.

« L’objet d’une théorie sociologique de l’entrepreneur est, dans cette perspective, de définir le statut sociologique de cette perception singulière [perception sociologique de l’entrepreneur]. Comment lui donner une épaisseur sociologique sans pour autant la rabattre sur les seuls effets des appartenances culturelles et sociales ou sur la seule hypothèse d’un habitus économique reposant sur une position dans le champ économique ? »

Une sociologie de l’entrepreneur peut d’abord exploiter le sujet de l’hétérogénéité sociale. Cette hétérogénéité est à l’origine des écarts de prix ou de qualité entre les biens et d’attentes entre les agents. L’entrepreneur est, par définition, amené à jouer sur ces écarts. Mais la sociologie de l’entrepreneur peut aussi exploiter le milieu social spécifique de l’entrepreneur. Dans son milieu, l’entrepreneur recompose, bricole, utilise les multiples éléments que sa vie sociale met à sa disposition pour envisager singulièrement les choses actuellement disponibles et imaginer des

73 choses nouvelles. « Etudier l’entreprise dans cette perspective, c’est étudier la consistance de ce milieu social qui est le lieu même du repérage des bonnes occasions et l’espace où est forgée cette capacité à les repérer. » (Zalio, 2004)

2.2.3. La théorie de l’effectuation et la mobilisation des

connaissances sociales (Sarasvathy, 2001)

Sarasvathy propose une nouvelle vision où l’entrepreneur est étudié dans sa pratique concrète. Son étude expérimentale sur 27 entrepreneurs experts révèle une logique de l’action entrepreneuriale, « l’effectuation», qui s’écarte de la logique rationnelle appelée « causale » dans son mode de raisonnement, son processus et ses principes (Sarasvathy, 2001). Le raisonnement effectual suppose qu’à partir des ressources qui sont à la disposition de l’entrepreneur (son capital humain, intellectuel et social), l’effectuateur imagine une série d'objectifs possibles issus de leur combinaison (Venkataraman, 2008). Sarasvathy qualifie ce raisonnement de pensée entrepreneuriale. A contrario, le raisonnement causal implique de sélectionner une série de ressources permettant d’atteindre un objectif prédéterminé. C’est le mode de pensée dominant dans les organisations, qualifié par Sarasvathy de managérial.

Le capital social de l’entrepreneur est ainsi mis au sein de la logique d’action de l’entrepreneur :

―Importance of the individual: What individuals do, what they care about and value, and how their interactions with one another change these actions and values are integral elements of entrepreneurship. Large social forces are taken to influence entrepreneurship only indirectly. Instead, I argue that entrepreneurial actions are painstakingly sculpted through the exchange of advice and mutual negotiations between particular stakeholders in particular situations. This is what enables entrepreneurship itself to become a powerful socio-economic force‖. (Sarasvathy,

2008, p.4)

La mobilisation de la situation sociale de l’entrepreneur est un des éléments clés du processus entrepreneurial :

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―Expert entrepreneurs begin with who they are, what they know and whom they know, and immediately start taking action and interacting with other people. They focus on what they can do and do it, without worrying much about what they ought to do. Some of the people they interact with self-select into the process by making commitments to the venture. Each commitment results in new means and new goals for the venture‖. (Sarasvathy, 2008, p. 20)

Malgré la place centrale des relations sociales de l’entrepreneur dans l’action entrepreneuriale, la théorie de l’effectuation n’apporte pas un encadrement théorique liant l’entrepreneur et sa situation sociale, ni son rôle dans l’économie. La théorie est dès lors mobilisable pour une étude sur l’action individuelle de l’entrepreneur, mais pas sur un cadre où l’entrepreneur est intégré dans son contexte socio-économique.